Dans un contexte de dollarisation poussée, la politique monétaire ne peut qu’être en difficulté

MALGRÉ une forte dollarisation du système financier, la Banque centrale du Congo (BCC) poursuit un objectif intermédiaire : la stabilisation de la monnaie de base, le franc congolais. Pour mener à bien sa politique monétaire, elle a institué un comité de politique monétaire (CPM). Celui-ci définit une trajectoire de croissance de la masse monétaire compatible avec son objectif d’inflation et avec sa projection de croissance de l’économie. 

En principe, le CPM définit hebdomadairement les objectifs de la croissance de la masse monétaire sur la base des projections actualisées de demande de monnaie. Il peut arriver que la croissance à court terme projetée de la masse monétaire dévie par rapport à la trajectoire programmée. Dans ce cas, la BCC intervient et injecte ou absorbe des liquidités en achetant ou vendant des instruments émis. 

Confrontée à la dépréciation du taux de change, la Banque centrale vend souvent des millions de dollars auprès des banques commerciales et a décidé de maintenir le taux d’intérêt directeur inchangé. En relevant à 14 % le taux d’intérêt qui était de 2 % en 2016, la BCC cherche à accroître l’attrait des actifs en monnaie nationale, réduisant la liquidité dans le système financier. Lorsque l’inflation atteignait des taux à deux chiffres, on s’en souvient, la Banque centrale visait un taux directeur réel d’environ 10 %. Les banquiers disent qu’il faut compter environ deux ou trois mois pour que le taux directeur ait réellement un impact sur la demande de monnaie. À la Banque centrale, la chambre de compensation n’opère qu’en monnaie nationale. 

La RDC applique le taux de change flottant, déterminé par l’équilibre entre l’offre et la demande sur les marchés des changes. La Banque centrale a mis en place une politique de change pour ancrer les taux du marché monétaire et les autres taux d’intérêt. Pour gérer l’inflation et garder le système de change stable, elle a sensiblement réduit le taux directeur (ou le coût du loyer), auquel les banques empruntent et placent la liquidité auprès d’elle, jusqu’à moins de 2 % depuis 2013. 

Sur la monnaie, la Banque centrale a pour mission de contrôler la liquidité (franc congolais) sur le marché en vue de la stabilité des prix. Son rôle dans l’économie consiste à vendre ou acheter des titres via des opérations d’appel d’offre et à augmenter ou diminuer le ratio des réserves obligatoires bancaires. Le coefficient de réserves obligatoires sert également à réguler la masse monétaire en circulation. 

Les instruments de la BCC jouent uniquement sur la monnaie nationale. D’où sa vulnérabilité en cas de choc exogène. Par ailleurs, le taux directeur (instrument de refinancement des banques) de la Banque centrale n’influe pas sur le taux débitaire qui varie entre 13 % et 30 %, selon les banques, du fait de la dollarisation de l’économie à 86 %. 

Le billet vert est roi

En janvier 2001, le décret-loi n°004/2001 instituait la circulation concomitante du franc congolais et des monnaies étrangères, notamment le dollar. Mais en septembre 2014, la Banque centrale avait mis en place une réglementation de change visant la culture de la monnaie nationale dans les transactions quotidiennes. Cette directive, appuyée par le gouvernement, interdisait d’acheter ou de vendre les marchandises en devises, particulièrement en dollar, sauf dans quelques cas exceptionnels. 

Dans la pratique, rien n’a vraiment changé, car tout s’achète et se vend en franc congolais et/ou en dollar. D’ailleurs, le petit billet vert est préféré au franc dans les commerces, les stations-service, dans les écoles, voire dans les églises. Bien plus, le cambisme de rue qui avait été formellement interdit à la suite de la directive de la BCC, étend ses tentacules partout. Le constat est que la dollarisation a été une réponse spontanée aux politiques budgétaires erratiques et à l’hyperinflation des années 1980-1990. La perte de marge de manœuvre en termes de politique monétaire et la dépendance excessive à l’égard des réserves en devises pour maintenir la stabilité monétaire et bancaire sont les principaux effets induits de la situation. 

Selon la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), pour renouer avec une politique monétaire efficace, l’État doit réduire la propension au dollar. Cela devrait être même la priorité dans la politique monétaire en vue d’une gestion macroéconomique prudente. Avec le régime actuel de taux de change flottant, la Banque centrale a une certaine marge d’autonomie pour fixer sa politique monétaire, malgré un grand nombre de facteurs limitatifs, comme le peu de profondeur du marché des capitaux, la forte répercussion du taux d’intérêt, la faiblesse des institutions monétaires et la dollarisation du marché du crédit. 

Des experts sont d’avis que vouloir inverser la tendance à la dollarisation, cela devrait prendre du temps. Mais d’autres cadres de politique monétaire pourraient permettre une plus grande efficacité même si chaque cadre présente des inconvénients dans le contexte économique et institutionnel actuel. La plupart des mesures visant à encourager l’utilisation du franc, outre qu’elles contribueraient à la dé-dollarisation, permettraient aussi de renforcer l’économie et d’améliorer son fonctionnement. 

Le renforcement de la gestion de la liquidité et des actifs, notamment la gestion de la dette, l’émission de nouveaux billets et de nouvelles pièces ayant des valeurs mieux adaptés aux besoins et l’approfondissement financier grâce à une meilleure supervision bancaire, permettraient de réduire les coûts de transactions et contribueraient à la croissance. 

Choix difficiles à faire 

Ce sont là des choix difficiles à faire. Il a été observé que la dollarisation procède souvent d’un choix rationnel des agents économiques en situation d’instabilité politique et économique. Elle s’observe généralement lorsque la monnaie nationale ne représente plus une valeur de réserve fiable, un moyen de paiement pratique et une unité de compte ou lorsqu’elle remplit moins bien ces fonctions que ne le feraient d’autres monnaies. 

La dollarisation n’est pas qu’entièrement une mauvaise chose. Par exemple, en période d’instabilité macroéconomique, elle peut contribuer à stabiliser et à remonétiser l’économie plus rapidement que ne le permettrait la monnaie locale, expliquent certains experts. D’après eux, la dollarisation peut aussi être le signe d’une intégration croissante à l’économie mondiale. Tout comme elle peut être aussi source de problèmes, particulièrement si elle se produit à grande échelle. C’est le cas de la RDC où la proportion de la monnaie locale dans la base monétaire est faible. 

Dans ce cas de figure, la Banque centrale réalise moins de recettes de seigneuriage. La domination du dollar dans la fixation des prix intérieurs implique la renonciation à une politique effective des taux de change. Comme les prix sont fixés en dollar, une dépréciation du franc ferait augmenter l’inflation, mais le taux de change réel serait quasiment inchangé. 

Par ailleurs, poursuivent les mêmes experts, une dollarisation partielle accroît le risque d’asymétrie actifs/passifs (risque de change) ou le risque lié aux prêts bancaires en dollar à des clients dont le revenu est en franc (risque de portefeuille). Une forte dollarisation limite la capacité de la Banque centrale à agir comme prêteur de dernier ressort. La BCC peut injecter des liquidités en urgence en franc, mais sa capacité à le faire en dollar est limitée aux réserves internationales qu’elle détient. 

Cependant, la coexistence de deux monnaies dans une économie accroît les coûts de transaction et réduit l’efficience des systèmes de paiement, étant donné que les coupures étrangères ne sont pas forcément adaptées au commerce local. Un système de dollarisation totale ou d’ancrage fixe pourrait être un moyen rapide de renforcer la crédibilité et améliorer la stabilité macroéconomique. Ce ne sont là que des théories pour les Congolais, car l’exercice est bien complexe sur le terrain.