Débat de fond entre la FEC et les régies financières

Sauf imprévu, un forum sur la réforme de la fiscalité se tiendra en septembre prochain à Kinshasa, à l’initiative du président de la République. La Fédération des entreprises du Congo (FEC) s’en réjouit, disons qu’elle en est même demanderesse.

Si c’est forum a lieu, ça sera la suite logique du dernier message du chef de l’État, Joseph Kabila Kabange, à la Nation devant les deux chambres du Parlement réunies en congrès. On se souviendra que le président de la République s’est fait le « devoir » de rappeler, une fois de plus, « la fragilité des fondamentaux de notre tissu économique ». Tournée essentiellement vers le secteur tertiaire et marquée, d’une part, par l’importation des biens de première nécessité, et, d’autre part, par l’exportation des matières premières, source des principales recettes budgétaires, l’économie congolaise va mal. Vraiment mal, vu sa taille très réduite.

Il va sans dire que tant que ce paradigme ne sera pas changé, l’économie nationale restera « fragile » et fera continuellement les « frais des soubresauts » de la conjoncture économique internationale. Et tant que le système fiscal sera « écrasant, discriminatoire et truffé d’une parafiscalité lourde, le climat des affaires ne sera pas propice à l’investissement productif ni au civisme fiscal. », propos sans complaisance du chef de l’État, lui-même. C’est tout dire. Dans son message, le président de la République a semblé poser clairement les bases du nouveau paradigme. Du moins, il a dévoilé des pans entiers de ce que devrait être ce paradigme : « Aujourd’hui, nous avons pris la mesure du défi. Il nous faut agir sans plus attendre. En plus des investissements publics légitimes, l’option est donc définitivement levée de promouvoir le soutien au secteur privé productif à travers particulièrement l’appui direct aux PME/PMI… »

Et le président de la République a insisté sur « l’impérieuse nécessité » pour le gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat de prendre des « dispositions utiles » en vue de l’adoption, dans les plus brefs délais… d’« une nouvelle loi sur la fiscalité », de celle sur le partenariat public-privé »… C’est donc de la fiscalité et du partenariat entre la FEC et les régies financières qu’il a été question, jeudi 10 août, au Memling lors d’une matinée d’échange et d’information autour des innovations et réformes dans la loi de finances 2017.

Mobilisation des recettes

La réalisation des prévisions des recettes de l’exercice 2017 est tributaire de la mise en œuvre effective de mesures fiscales et administratives ainsi que des actions envisagées à travers les administrations financières. En matière des recettes des douanes et accises, la loi de finances pour l’exercice 2017 prévoit la construction des installations douanières pour la meilleure prise en charge des marchandises ; le renforcement des sanctions positives et négatives à l’égard des agents des douanes ; la rotation des effectifs dans le cadre du renforcement de la performance ; le renforcement du contrôle a posteriori et de régularité des opérations de dédouanement (contrôle de destination et de mise en œuvre des marchandises exonérées, contrôle mixte DGDA-DGI, etc.) ; le marquage moléculaire des produits pétroliers ; le marquage par vignettes des produits d’accises autres que le tabac ; la révision à la hausse des prix planchers en matière des télécommunications ; l’audit du secteur de télécommunication ; la comptabilisation dans la loi de finances au titre de recettes et dépenses du stock de sécurité émargeant dans la structure des prix des produits pétroliers ; le renforcement de l’application des dispositions du code des douanes relatives à l’accomplissement de dédouanement par soi-même ; l’optimisation du dispositif centralisé d’évaluation en douane (circuit orange) ; le recouvrement des déclarations liquidées non payées ; le recouvrement des dossiers ayant fait l’objet des paiements échelonnés ; le renforcement des conditions d’octroi des exonérations ; le renforcement de l’application du décret n°036/2002 du 28 mars

2002 désignant les services habilités à œuvrer aux frontières ; l’adoption par le Parlement du nouveau tarif des droits et taxes à l’importation et à l’exportation ; le renforcement de l’efficacité de l’administration douanière par le recouvrement des dossiers contentieux ; la mise en œuvre du programme de sécurisation des frontières ; l’extension du suivi électronique des cargaisons ; la signature, la ratification et la mise en œuvre des accords d’assistance mutuelle administrative en matière douanière ; l’interfaçage des systèmes informatiques ; la création et le fonctionnement des bureaux de représentations.

En matière des recettes des impôts, la loi de finances prévoit l’implémentation du dispositif de la remontée au serveur installé à la Direction générale des impôts (DGI) des informations sur la TVA collectée (caisses enregistreuses) ; la mise en œuvre de l’unité sur le prix de transfert ; le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale ; la restauration de la structure « contrôle qualité » ; l’intensification de la sensibilisation, du recensement et du recouvrement de l’impôt forfaitaire à charge des micro-entreprises au titre de l’IBP, en impliquant les autorités des provinces et des entités territoriales décentralisées ; la création d’un guichet unique pour le paiement de l’IBP des micro-entreprises et de la patente perçue par les services provinciaux et entités administratives décentralisées ; le recouvrement effectif de l’IPR sur l’ensemble de l’assiette imposable (émoluments, salaires, primes permanentes et non permanentes, collations et autres avantages) à charge des membres des institutions politiques (nationales et provinciales) et assimilés ainsi que des fonctionnaires et agents publics ; la fiscalisation des rémunérations des engagés locaux des missions diplomatiques et représentations des organismes internationaux en RDC; l’application rigoureuse de la réglementation sur le numéro impôt par l’ensemble des services publics (ministères, établissements et organismes publics, provinces, entités territoriales décentralisées…) ; le concours de la police de circulation routière dans le contrôle des véhicules faisant encore usage des anciennes plaques d’immatriculation ; l’intensification des contrôles mixtes DGDA-DGI sur l’origine des produits revendus sur le territoire national ; l’intensification de la campagne de sensibilisation sur l’émission obligatoire de la facture par les assujettis à la TVA ; la facturation et la collecte de la TVA sur les marchés publics financés par le gouvernement tant au niveau central que provincial ; le reversement effectif dans les délais de l’IPR et de la TVA collectés par les entreprises du portefeuille de l’État ; l’application rigoureuse et le renforcement de mesures de recouvrement forcé à l’encontre des débiteurs défaillants (avis à tiers détenteurs, saisies mobilières, immobilières et les ventes qui en découlent, fermeture provisoire des établissements par l’apposition de scellés) ;

le respect du délai limite (30 jours de la saisine du tribunal) d’instruction juridictionnelle des recours contre la validité et la forme des actes de poursuite en recouvrement établis à l’initiative du receveur des impôts ; le recouvrement effectif des créances fiscales des entreprises du portefeuille de l’État constatées au 13 février 2017 ; la signature d’un protocole d’accord DGI-CENAREF pour lutter contre le blanchiment des capitaux ; la communication, par le ministère du Budget, des informations relatives aux bénéficiaires de paiements au titre des marchés publics.

En matière des recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participations, dans le secteur de l’environnement : l’intensification du recouvrement de la taxe rémunératoire annuelle, d’implantation et de pollution auprès des pétroliers, des miniers (entités de traitement et de transformation ainsi que les activités connexes des détenteurs des titres miniers), et des transporteurs (aériens, fluviaux, maritimes, lacustres et terrestres) ; le recouvrement des recettes provenant de l’exploitation, de l’exportation et de la réexportation des produits et sous-produits de la faune et de la flore ;

l’application des textes légaux et règlementaires en vigueur en matière de répartition des recettes provenant de la taxe de déboisement entre la DGRAD et le Fonds forestier national (FFN) ; le respect des textes légaux et réglementaires en vigueur en matière d’encadrement des recettes de la Direction de la gestion forestière provenant de l’autorisation d’achat, de vente et d’exportation des bois d’œuvre.

En matière des recettes fiscales, quatre textes sont concernés par les modifications apportées par la loi de finances 2017. Ce sont les textes relatifs aux impôts cédulaires, au régime applicable aux entreprises de petite taille, à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et sur les procédures fiscales. Par exemple, sur les impôts cédulaires, l’intégration des revenus des bons et obligations du Trésor dans la catégorie des revenus des capitaux mobiliers en vue de clarifier leur régime fiscal ; la déductibilité des charges de créance douteuse et limitation des charges professionnelles déductibles pour les banques ; la révision à la baisse du chiffre d’affaires limite des entreprises de petite taille de 200 millions de francs à 80 millions ; la retenue à la source de la TVA par les entreprises minières lors du paiement des factures des entreprises publiques. Le système est appelé à s’élargir.

En matière des recettes non fiscales, les innovations portent sur la nomenclature, la réclamation préalable en cas de recouvrement forcé et l’adaptabilité des lois nationales aux exigences de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA). Par ailleurs, en matière des recettes douanières, les innovations portent sur l’application du tarif COMESA, les mesures relatives aux recettes, le code douanier… Les mesures d’application de la loi de finances 2017 pourront être rendues publiques dès septembre prochain. En attendant, la FEC, par la voix de son administrateur-délégué, Kimona Bononge, fait part de ses préoccupations.

Premièrement, la loi de finances 2017 est entrée en application en juillet. Pourtant, elle est censée entrer en vigueur le 1er janvier. D’où, l’inquiétude des opérateurs économiques, étant donné que la loi ne rétroagit pas, soutiennent-ils. Que va-t-il arriver sur le plan juridique ? Deuxièmement, cela fait deux ans déjà que la taxe sur la pollution pose problème. Les opérateurs économiques de Kinshasa ne savent pas à qui ils doivent se référer, entre la DGRAD et la DGRK. Les régies financières ont souhaité que la FEC les aide à vulgariser la législation financière auprès des opérateurs économiques. En revanche, le partenariat avec la FEC permet de recueillir les avis du patronat en vue d’améliorer éventuellement la loi de finances, de l’adapter à l’environnement des affaires et de prévenir les litiges par le même entendement des textes. L’impôt, de par sa nature, est une loi qui s’impose à tous. Mais le point d’équilibre est d’avoir une meilleure compréhension des textes des lois et sur la manière de le déclarer. Aujourd’hui et je l’ai toujours dis, vous voulez évoluer dans un système moderne mais il faut payer l’impôt. Pour que les entreprises bénéficient des externalités positives, c’est-à-dire les infrastructures, la baisse des coûts, elles doivent payer l’impôt et mener une vie moderne. Kimona Bononge déclare que la FEC mène une activité de pédagogie tous azimuts.

Par ailleurs, compte tenu de la morosité économique, la FEC se demande comment les régies financières vont devoir relever le défi pour atteindre les assignations budgétaires. Mais le directeur du fisc, José Sele Yalaguli, est optimiste. « Depuis que la nouvelle équipe est arrivée à la tête de la DGI, les recettes sont dans une phase ascendante. Lorsque le ministère des Finances, en son temps, avait lancé ce qu’on a appelé le Pacte de dédoublement des recettes, la DGI faisait des recettes en dessous de 100 milliards de francs congolais par mois. Grâce à ce Pacte, l’équipe précédente a pu relever la barre au-dessus de 100 milliards… », fait-il remarquer.

À propos de l’IBP, la DGI a mobilisé en 2015 autour de 680 milliards de francs sur les recettes totales annuelles d’environ 1 930 milliards avec une économie extravertie. En 2016, elle a mobilisé autour de 360 milliards mais cette année, le fisc compte remonter la pente jusqu’à 400 milliards. « Effectivement, je crois que les attentes seront au rendez-vous », rassure Sele.

Les priorités des milieux d’affaires

En 2016, l’économie nationale a connu un ralentissement de la croissance qui est tombée à 2,5 % contre 9,9 % en 2014 et 6,7 % en 2015 et l’accentuation de la vulnérabilité du pays suite à la baisse des réserves induites par le faible niveau de mobilisation des recettes internes. La baisse des prix des matières premières et de la demande mondiale ont conduit à un impact négatif sur les équilibres macroéconomiques. Ces effets néfastes contraignent le gouvernement à réduire l’incertitude politique et à atténuer les déséquilibres macroéconomiques. C’est dans ce climat d’incertitude que le président Joseph Kabila a dévoilé sous forme de décisions les nouvelles orientations économiques du gouvernement. « Ces orientations présidentielles sont destinées à apaiser les opérateurs économiques », a laissé entendre un conseiller du président de la République.

D’après le président de la FEC, Albert Yuma, le rôle  de l’État est d’accompagner le secteur privé dans son développement et assurer son intégration dans les chaînes de valeurs nationales, régionales et mondiales. Dans les milieux d’affaires, on est persuadé que développer les capacités de production des biens et services permettra de tirer le meilleur parti des cycles de croissance et de résister aux situations de crise.

Les entreprises prennent suffisamment déjà un risque politique pour ne pas revendiquer un maximum de stabilité de la part de l’État, en termes d’environnement politique, juridique, judiciaire, fiscal et monétaire. Elles réclament un partenariat public-privé. Pour cela, l’État doit créer et mettre en place un cadre des règles, qui soient comprises et utilisables par toutes les entreprises, petites, moyennes ou grandes.

Concrètement, les entrepreneurs souhaitent un allègement des charges (fiscales, parafiscales et autres) afin de leur permettre d’investir dans la production, un accès facile aux financements  nécessaires à leur développement, des facilités à l’import-export pour rendre plus rapide les activités de production et de commerce, le soutien de l’État aux PME et créateurs d’entreprises dans la définition et la mise en œuvre des projets et activités. Pour le secteur privé, le gouvernement devra être à l’écoute des entrepreneurs car ce sont eux qui créent les produits, les services et les emplois. Stimuler la production nationale, c’est un défi commun, notamment dans les secteurs agroalimentaire et minier, dans le domaine des services aux entreprises et à la population… C’est ainsi que l’on peut créer de la valeur ajoutée, source de création d’emplois nombreux et durables.  Pour un entrepreneur, la situation de crise est avant tout une situation de changement, de création d’opportunités, de besoins et de potentiels, mais aussi riche en créativité et inventivité.

Les prévisions de 2017 en Afrique mettent en avant des objectifs de croissance égaux ou supérieurs à 5 % pour les pays comme la Côte d’Ivoire, la Tanzanie, le Sénégal ou l’Ethiopie, qui ne sont pas des pays exportateurs de matières premières, mais plutôt les pays qui disposent d’un cadre de gestion macroéconomique plus solide et de réglementation plus favorable aux activités commerciales. Leurs exportations sont plus diversifiées et leurs institutions plus efficaces ». Le président de la FEC a par ailleurs relevé d’autres contraintes récurrentes d’un environnement des affaires et des investissements peu attractifs auquel s’est ajouté de manière circonstancielle, l’inévitable attentisme lié à l’approche des échéances électorales. Dans cette situation difficile que faire pour qu’enfin on trouve la voie d’un développement économique équilibré ?

La FEC a, à plusieurs reprises, mis l’accent sur l’impérieuse nécessité de consolider les acquis de cette stabilité à travers une politique de diversification économique afin de parvenir à terme à une croissance multipolaire à même de renforcer la résilience de l’économie nationales aux chocs exogènes ou externe, en réduisant particulièrement son exposition à la valorisation des cours des matières premières sur les marchés internationaux.

Le pays est importateur net de biens de consommation courante, alors qu’il dispose de grandes potentialités pour devenir une nation industrielle et peut-être un jour, une grande nation industrielle. À ce jour, les principales activités industrielles du pays sont limitées à un nombre réduit de filières de biens de consommation, notamment la production du sucre, des boissons, de la transformation des matières plastiques, des produits cosmétiques, de la panification… Les filières des biens d’équipements sont sous-exploitées, elles tournent principalement autour de la production du ciment et de la construction métallique.

Mais cette industrie fait face à des contraintes qui l’empêchent d’amorcer son redécollage : la lourde fiscalité et la parafiscalité qu’elle supporte, atteignant 51 % du chiffre d’affaires, soit le double de ce qui est payé dans les pays voisins. Ainsi, l’augmentation du taux de droit d’accises sur plusieurs produits, justifiée par la seule maximisation des recettes. Conséquence : une activité génératrice de recettes fiscales, comme les industries brassicoles, a connue une baisse de plus de 20 %. La plupart d’entre elles se sont vues obligées de procéder à des changements structurels, d’autres ont procédé à la fermeture des usines de production avec notamment la fermeture des usines de Bralima à Mbandaka et à Boma en 2015 et 2016.

La FEC en appelle à l’émergence d’un État fort doté d’une administration compétente, sur lequel le secteur privé devrait s’appuyer dans le cadre d’un partenariat durable, sincère et constructif.