Des pratiques passibles de haute trahison

Des experts mettent constamment à la disposition de l’État des faisceaux d’indices de collaboration discrète à des fins d’évasions fiscales et stratégiques des opérateurs réseaux avec des États voisins impliqués dans l’instabilité de l’Est de la RDC. 

 

En ce temps où les Néonazis se réorganisent pour commémorer la mort d’Adolphe Hitler, l’Histoire renseigne que le 16 janvier 1945, le gouvernement provisoire de la République française a nationalisé les usines Renault pour cause de collaboration avec le régime nazi et confisqué les biens de son président, Louis Renault. Ferdinand Boss, propriétaire de la grande entreprise de couture Hugo Boss a été condamné à 80 000 marks d’amende et privé de ses droits civiques à cause de la fourniture des tenues militaires aux troupes nazies en 1944. Il a été établi à la suite du procès de Nuremberg un chapelet d’entreprises et d’industriels sévèrement sanctionnés pour avoir financé et équipé l’Allemagne nazie. 

La République démocratique du Congo a été le théâtre de ce que les experts de Crisis Group ont qualifié de « Guerre mondiale africaine » avec son corollaire des centaines de milliers de morts, de déplacés internes et de réfugiés. De la guerre ouverte avec des troupes des armées régulières rwandaises, burundaises et ougandaises aux premières lignes de front, les populations congolaises des Kivu et de l’ex-Province orientale font à ce jour les frais des miliciens locaux sous le label des Maï-Maï et des hors-la-loi ADF, FDLR, etc., venus des pays voisins. Mais il demeure une lapalissade, au sein de la Conférence internationale pour la région de Grands lacs (CIRGL), on ne le dit pas tout haut pour des « convenances diplomatiques » : l’instabilité de l’Est de la RDC est un gage d’un certain équilibre financier pour les États voisins dont la sincérité, le principe du respect de la parole donnée… de pacta sunt servanda ne tiennent que pour la consommation des médias. 

Sur le terrain, ils machinent que l’Est de la RDC reste ZAÏRE (zone africaine d’intérêts réservés aux étrangers). Non seulement pour ses ressources naturelles (mines, faune, flore…) mais aussi ses ressources intelligentes, biens et services NTIC.

Liquid Telecom DRC

La firme Vodacom a installé des serveurs à Gisenyi au Rwanda pour détourner les appels internationaux entrants en RDC, tandis que Airtel et Orange ont installé les leurs en Ouganda. Ces informations à prendre avec les « précautions d’usage » ont cependant été fournies à la presse par une source crédible, un agent de l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPTC) de 2010 à 2015, Serge Ndjoli, ci-devant ingénieur en système d’informations, réseaux et télécommunications. Explication d’expert : « Quand l’on fait le ping (commande informatique permettant de tester l’accessibilité d’une autre machine à travers un réseau IP, Ndlr) pour vérifier tous ceux qui sont connectés sur Vodacom par réseau mobile, on constate que tous les pings sont orientés vers MTN, une société basée au Rwanda. 

Pour cela, Vodacom s’est bien équipée à Goma avec des BTS de liaison (ensemble d’émetteurs-récepteurs et gère les problèmes liés à la transmission radio (modulation, démodulation, égalisation, codage correcteur d’erreur…). Quant à Orange, elle opère à travers Liquid Telecom, basée en Ouganda qui se connecte à la RDC par les villes de Bukavu et Goma, poursuit l’ex-agent de l’ARPTC. Début 2018, le ministre des Postes, des Télécommunications et des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (PT&NTIC), Emery Okundji Ndjovu, a, en effet, attribué une licence de 20 ans renouvelable pour l’établissement et l’exploitation d’un réseau public à fibre optique en RDC à Liquid Telecom DRC Sarl. 

L’arrêté du ministre a été unanimement désapprouvé par la mouvance syndicale de la Société congolaise des postes et des télécommunications (SCPT SA), entreprise d’État à travers une correspondance verte lui adressée fin mars 2018.  Au cabinet du ministre, l’on explique que l’offre faite à Liquid Telecom l’a été en accord avec l’ARPTC. Que les attributions et le champ d’exploitation de Liquid Telecom sont conformes à la loi de 2002 sur les télécoms. Que Liquid Telecom se connectera sur la fibre optique de la SCPT. Qu’un contrat d’achat des capacités sanctionnera ce partenariat. Que la SCPT gagnera gros. Que Liquid Telecom s’emploierait seulement à créer des rings métropolitains dans des zones où l’exploitant public ne saurait se déployer comme à Goma… 

Il est tout de même curieux que le ministère des PT&NTIC, donc le gouvernement, anticipe sur l’incapacité sinon l’impossibilité de son entreprise de s’étendre sur une partie du territoire sans raison aucune. Selon la Société congolaise de fibre optique (SOCOF SA) – une autre entreprise publique des télécoms créée par l’État en violation de sa propre loi sur le secteur -, le projet Cable African Backbone (CAB5), financé par la Banque mondiale, reliera le Nord-Est du pays à Kinshasa.

Les hôteliers de Goma

Après l’étape de Muanda-Kinshasa-Kasumbalesa, la fibre remontera le pan est du pays, Uvira, Bukavu, Goma et Beni pour s’interconnecter à l’Ouganda et le Rwanda. Mais l’insécurité créée par l’activisme des groupes armés, redoutent des experts, pourrait renvoyer le projet à la Saint glinglin. Ce n’est plus une révélation, dans l’Est, une attaque armée peut éclater à brûle-pourpoint, pour des motivations financières, contrôle d’une carrière, évacuation d’un stock des minerais sinon pour faire échec à un projet, à une décision politique. C’est dans ce contexte trouble que des experts situent le massacre de 15 casques bleus tanzaniens de la MONUSCO, début 2017, à Semuliki, par des présumés rebelles ougandais. Le limier de l’ONU, le Russe Dimitri Titov, à qui le secrétaire général Antonio Guterres avait confié l’enquête, a notamment fait état dans ses investigations préliminaires, des enjeux de la (télé)communication dans cette attaque. (…) 

La firme Airtel, ex-Zain et anciennement Celtel, n’est pas du reste, elle tourne la RDC en bourrique en intelligence avec une firme installée en Ouganda. L’ex-agent de l’ARPTC atteste que les concessionnaires GSM de la place qui font la téléphonie IP (protocole internet est une famille des protocoles de communication des réseaux informatiques conçus pour être utilisés sur internet. Ndlr) disposent chacune des gateways à travers lesquels des appels téléphoniques aussi subissent l’aiguillage de simboxing partant de l’Est de la RDC.  Outre le phénomène Sim box, a confié Serge Ndjoli à Scoop.net, un média en ligne de la RDC, beaucoup d’hôtels de Goma tout comme de Bukavu utilisent la connexion VSAT (Very Small Aperture Terminal (terminal à très petite ouverture) provenant du Rwanda et de l’Ouganda. Cette connexion ne rapporte malheureusement rien au Trésor public. Et c’est une perte en termes de millions de dollars. 

Antennes V-SAT 

Le 6 février 2018, le ministre des PT&NTIC avait demandé à toute personne physique que morale, de droit public ou privé, détentrice d’une antenne VSAT et fournisseuse de services d’accès à l’internet de se faire identifier, au plus tard le 28 février, à l’ARPTC à Kinshasa ou à ses succursales de Bukavu, Kananga, Kisangani, Lubumbashi et Matadi. L’appel quoiqu’assortie de menaces des sanctions pénales, n’a guère porté d’écho. « Emery Okundji n’est pas si influent au point d’inspirer la peur de l’État », commente un analyste politique. Les antennes VSAT permettent de transformer des appels venant de l’étranger en appels locaux, créant ainsi un important manque à gagner au Trésor public en termes de taxes. 

Du temps où il était à la tête de ce ministère, Tryphon Kin-kiey Mulumba avait déclaré que cette pratique frauduleuse faisait perdre chaque mois près de 12 millions de dollars au Trésor public. Et il avait nommément cité la firme Orange. Comme le pétrole, les télécoms en RDC sont emberlificotées dans des intérêts privés qui s’enchevêtrent et se ramifient à travers des fibres ethno-financières insondables depuis la création, en 1989, de la première société privée GSM, Télécel, par le Rwandais Miko Rwayitare (décédé en 2007), ancien numéro un du service informatique de la présidence sous Mobutu. 

Près de 30 ans après, les télécommunications, pourtant secteur stratégique, singulièrement pour l’Est du pays, demeurent encore tributaires des États voisins… par complaisance sinon par complicité des acteurs étatiques de la RDC. L’ARPTC ne s’est pas présentée aux conférences budgétaires pour défendre son budget 2018, renseigne-t-on à la DGRAD. Les experts du Budget ont d’autorité reconduit les prévisions de 2017 : 77 083 721 411 francs en recettes, soit 42 507 842,40 dollars au taux budgétaire de 1 813.4 francs le dollar, et 2 210 550 667 francs, soit 1 219 010 de dollars pour le fonctionnement. 

L’ARPTC est rattachée à la présidence de la République contrairement aux prescrits de la loi sur les télécoms qui la place sous la tutelle du ministère des PT&NTIC. Aucune mission assignée en 2017 par le gouvernement à l’ARPTC n’a été exécutée. Il s’agit notamment de l’installation effective du gateway unique, de la mise à niveau de son équipement de contrôle des flux des communications, de l’acquisition d’un laboratoire d’homologation des équipements des télécommunications. Tous ces projets ont été reconduits en 2018. Pour Serge Ndjoli, l’ARPTC qui aurait saboté le système de contrôle de flux installé par la société Thalès France, ne serait pas encore prête à admettre des outils de contrôle performants.