Des têtes tombent dans le Haut-Katanga

Une commission d’enquête de haut niveau présidée par le directeur de cabinet du chef de l’État et le ministre des Finances était dépêchée à Lubumbashi pour tirer au clair ce que l’on peut désigner aujourd’hui « l’affaire du bois rouge du Katanga saisi en Zambie ». Des sanctions ont été prises en urgence.

Des responsables des services publics, notamment de Direction générale des douanes et accises (DGDA), de la Direction de migration et du ministère de l’Environnement dans le Haut-Katanga sont suspendus de leurs fonctions pour des affaires liées au trafic du bois rouge. Par ailleurs, des mesures conservatoires sont prises sur la cargaison du bois saisie et interdiction formelle de coupe jusqu’à nouvel ordre. Telles sont les premières retombées de la visite d’inspection du directeur de cabinet du chef de l’État, Néhémie Mwilanya, et le ministre des Finances, Henri Yav Mulang, dans le Haut-Katanga. Ces responsables provinciaux sont soupçonnés d’avoir trempé dans le trafic frauduleux et quasi quotidien du bois rouge. Ce bois précieux qui est coupé sans autorisation à Kasanga, à plus ou moins une centaine de km de Lubumbashi.

C’est dire que l’affaire du bois rouge saisi en Zambie continue de défrayer la chronique au Katanga, commente un journaliste lushois, joint au téléphone. Des quantités importantes de ce bois sortent chaque jour du pays vers le port de Dar es Salaam en Tanzanie ou vers la Zambie pour être exportés vers des pays lointains. La Chine est pointée du doigt. Plusieurs étrangers sont impliqués dans l’exploitation illégale et le commerce illicite du bois au Katanga. Il y a quelques années, de nombreux ressortissants chinois avaient été pris la main dans le sac, mais aussitôt relâchés après une intervention de quelques personnalités influentes.

Retour sur l’affaire du bois saisi

À Lubumbashi, on se félicite de l’action qui est aujourd’hui menée contre la contrebande du bois rouge, mais on se demande si elle va se poursuivre. Il y a quelques semaines, des camions transportant du bois rouge ont été saisis de l’autre côté de la frontière avec la Zambie. « Au départ, Kinshasa a semblé minimiser cette affaire. Mais le fait qu’une mission de haut niveau soit venue de la capitale témoigne que l’affaire est prise au sérieux », a confié notre interlocuteur. Le vice-ministre sortant à l’Environnement, Aje Matembo, a d’abord botté en touche, déclarant à l’Agence France Presse (AFP), qu’il était « inadmissible que le bois coupé sur le territoire congolais soit bloqué en Zambie ». Ce qui n’a pas manqué de soulever une vague de réactions. « Comment un officiel peut-il se permettre de tenir des propos irresponsables alors que la République démocratique du Congo est depuis longtemps dans le viseur des ONG internationales, comme Greenpeace, qui l’accusent de violer le moratoire sur le gel d’attribution de nouvelles concessions forestières ? », s’est offusqué un défenseur de l’environnement à Lubumbashi.

Dans la capitale cuprifère, on refuse de croire qu’il s’agit d’un « simple incident ». La majorité des Lushois dénonce « une véritable maffia » autour de l’exploitation du bois rouge dans la région. Le confrère de Lubumbashi pense qu’il y a un problème de « perception de culture politique » entre Kinshasa et Lusaka autour de cette affaire. L’exploitation illégale du bois rouge est devenue un sport provincial au Katanga, souligne-t-il. Cela se pratique au vu et au su de tout le monde. Et sur la question de l’exploitation illégale et de la fraude du bois, le gouvernement congolais est souvent mis à l’index. En se rendant précipitamment à Lubumbashi, à la suite de cette affaire de saisie de bois en Zambie, le vice-ministre à l’Environnement, Aje Matembo, a sans doute vite réalisé que le gouvernement zambien prenait l’affaire très au sérieux. « Les pays colonisés par les Britanniques ont une vision de l’État et de ses intérêts que nous, nous n’avons pas. Chez nous, on met les intérêts personnels avant tout. C’est là toute la différence entre eux et nous », fait remarquer ce confrère.

Un diplomate zambien en poste à Kinshasa a laissé entendre que les véhicules transportant les cargaisons de bois ont été saisis du fait que des Zambiens, en complicité avec des Congolais, contournent l’interdiction de coupe et d’exportation du bois rouge de Zambie. Comment ? Ils s’arrangent pour obtenir facilement par la fraude des documents d’exportation délivrés en RDC pour le bois en réalité coupé sur le territoire zambien. Aje Matembo a défendu que le bois saisi provenait réellement de la RDC. Cela sous-entend que le bois continue à y être coupé illégalement. La preuve ? Près de 500 camions transportant chacun entre 30 et 37 m3 d’une variété de Padouk, bois très dense prisé pour la construction et l’ébénisterie sont immobilisés depuis plusieurs semaines en Zambie pour besoin d’enquête. Le bois saisi serait en partance pour la Chine.

Rétropédalage

L’enquête prendra du temps parce qu’« il n’est pas facile de démêler le bois coupé effectivement en RDC de celui coupé en Zambie », a laissé entendre le même diplomate zambien. Aje Matembo a fini par reconnaître qu’il y a des « failles dans les contrôles en RDC », et a promis de « procéder sans plus tarder à la traçabilité du bois congolais ». Les Zambiens, pragmatiques, ne se laissent pas démonter par des déclarations de « simples bonnes intentions ». C’est peut-être pour cela que Kinshasa a dépêché sur place une importante délégation par sa composition, et conduite par des originaires de la région. « N’oublions pas que la RDC et la Zambie sont membres de la Conférence internationale sur la région des Grands lacs dont l’une des objectifs est de lutter contre l’exploitation illégale et le commerce illicite des ressources naturelles dans la région », commente le confrère.

Selon des sources administratives et commerciales, les autorités locales délivrent des permis d’exploitation et d’exportation au mépris de la législation nationale. Voilà pourquoi, sans attendre la fin de l’enquête en cours, des responsables des services provinciaux sont suspendus et des mesures conservatoires prises. Pour notre interlocuteur, Kinshasa veut donner un signal fort pour rassurer Lusaka de sa volonté politique de lutter contre ce fléau décrié. Mgr Fulgence Muteba, évêque catholique de Kilwa-Kasenga, ne s’embarrasse pas pour fustiger les coupes « sauvages » du bois rouge dans son diocèse du centre du Haut-Katanga. En matière forestière. « Aucune norme n’est respectée », a-t-il déploré.

Mgr Fulgence a salué la décision des autorités zambiennes d’intercepter des centaines de camions chargés de bois rouge en provenance de la RDC. C’est une « prise de conscience au niveau de la région », a-t-il déclaré à Jeune Afrique. « Si la RDC ne parvient pas à remplir son devoir de protéger l’environnement, les autres pays de la région ont la responsabilité de décourager cette exploitation anarchique du bois rouge congolais », a insisté l’évêque de Kilwa-Kasenga. Qui explique que des Chinois, « soutenus par des gens », sont en train de couper les bois rouges systématiquement. Ils utilisent des jeunes désœuvrés, et transportent jusqu’à cinq camions de bois par jour à Lubumbashi dans « un lieu bien connu », puis en Tanzanie. Mgr Muteba qui regrette que ces bois soient coupés et exportés « sans le moindre respect des lois douanières et du commerce international », et dénonce « l’impunité qui entoure ce trafic. »

Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga, alertait déjà que plus de 100 hectares de forêts sont coupés chaque jour sur la route entre Kasenga et Pweto. Les convois destinés à l’exportation passent par la Zambie, puis le bois rejoint l’Asie, selon des sources sécuritaires locales. Aje Matembo a dénoncé la coupe illicite du bois rouge dans le Haut-Katanga. « La commercialisation du bois rouge n’est pas autorisée. C’est une espèce protégée dans notre pays », a-t-il rappelé. Selon lui, « les vrais exportateurs de notre bois, ce sont les Chinois. (…) Les Congolais ont pris des documents pour exporter le bois. Mais, en réalité, ce sont des Chinois qui exportent ». Les documents portent sur l’achat, la vente et l’exportation des bois d’œuvre et non des bois rouges. « Nous sommes en train de combattre cette exploitation illicite parce qu’il est difficile de maintenir une traçabilité de ce bois en RDC. Nous ne savons pas qui coupe où ? Où sont stockés ces bois et comment sont-ils commercialisés », a-t-il poursuivi.