Diamant : Mbuji-Mayi respire un air de soulagement

Dans la ville, les exploitants artisanaux, les négociants et les acheteurs espèrent que le changement politique à la tête de la province mettrait fin à des pratiques dans lesquelles l’ancien gouverneur était champion.

POUR PERCEVOIR les 2 % dus à la province du Kasaï-Oriental sur la valeur de chaque gemme, l’ex-gouverneur Alphonse Ngoy Kasanji ne lésinait pas sur les moyens. Ce n’est pas une révélation : perquisition, arrestation sur base de simples suspicions de détenir une « pierre », voire des poursuites jusqu’à Kinshasa étaient systématiquement les pratiques mises en place. Des opérateurs économiques du secteur du diamant ont bu le calice de l’humiliation jusqu’à la lie. 

La ville respire un air de libération, depuis que l’UDPS Jean Maweja a remporté l’élection du gouverneur au Kasaï-Oriental. De lui, l’on espère une manière tout autre de gérer la chose publique, même au SAESSCAM mué en Service d’assistance et d’encadrement et d’exploitation des mines artisanales à petite échelle (SAEMAPE). 

Alors que l’exportation du diamant artisanal devrait rapporter au moins 3 509 874 819 FC à la douane, 2 116 743 341 FC au ministère des Mines en tant que service d’assiette, voilà qu’aucune prévision des recettes n’a été programmée pour les produits ex-SAESSCAM pour l’exercice 2019. Mais comme les années précédentes, l’État devrait se contenter de quelques dividendes à la fin de l’année. En 2015, par exemple, le fait générateur dit « produits SAESSCAM » avait cependant rapporté plus de 84 millions de nos francs sans prévision au préalable. En 2016, juste 37 000 FC ont été versés par des exploitants artisanaux. 

En 2017, à mi-exercice, sans assignation aucune, plus de 200 000 FC de produits SAESSCAM ont été versés au Trésor public. Rien à signaler en 2018. Par ailleurs, dans la loi de finances 2019, les prévisions pour l’appui aux communautés de base par SAEMAPE ne se limitent qu’au suivi des activités liées aux droits des communautés de base. Les crédits accordés au Service d’assistance et d’encadrement et d’exploitation des mines artisanales à petite échelle, soit 600 000 000 FC, ne constituent qu’une goutte d’eau dans un océan des besoins financiers, compte tenu de la dimension du pays et des pesanteurs d’ordre technique et humains. 

Modicité des crédits

Dans un récent rapport sur le budget 2019, le Réseau gouvernance et démocratie (REGED) estime que la modicité des crédits ne permet pas de lutter efficacement contre l’utilisation des enfants dans les sites miniers. Le grand réseau d’associations de la société civile rapporte que les prévisions du projet de loi de finances 2019 ne concernent uniquement que les missions de contrôle des services spécialisés (SAEMAPE) du ministère sur les conditions des enfants dans les mines et les communautés de base. 

REGED recommande au gouvernement de ramener à 1 milliard de nos francs les allocations du SAEMAPE pour améliorer les missions de contrôle sur les conditions des enfants dans les mines. Le service de SAEMAPE qui est censé, selon le code minier, s’occuper de la petite mine évolue dans une totale opacité, de l’avis des experts. 

En 2015, ses assignations étaient de 84 131 330 FC, mais aucun rond n’a été versé par ce service d’assiette à la Direction générale des recettes administratives, judiciaires, domaniales et des participations (DGRAD). Autant qu’en 2016 où ses prévisions étaient de 69 450 375,4 FC. Pour l’exercice 2017, rien n’a été prévu. Idem pour 2018. Les produits du Centre d’expertise, d’évaluation et de certification  sous gestion, naturellement, du CEEC,  sont davantage confus: alors qu’aucune prévision n’a été mentionnée pour les deux précédents exercices, le CEEC a versé au Trésor public près de 340 millions de francs et environ 280 millions, respectivement en 2016 et 2017. Pour autant, dans les budgets 2018 et 2019, l’État n’a rien prévu comme recettes  sur le CEEC, en tant que service d’assiette, relevant du groupe du Portefeuille. Toutefois, l’État a décidé, pour 2018, d’assigner plus de 592 millions de francs au CEEC pour ce qui est de la taxe rémunératoire de la valeur expertisée des substances précieuses. En 2015 et 2016, ladite taxe n’avait aucune prévision alors qu’elle a, respectivement, rapporté plus de 100 millions et 83 millions de FC. La DGRAD n’a rien perçu sur la redevance annuelle anticipative pour les laboratoires d’analyse des produits miniers marchands en 2015 et 2016. Mais en trois mois de gestion de Samy Badibanga, entre janvier et mars 2017, la redevance a rapporté plus de 333 millions à l’État, soit un taux de réalisation de 160 %. Hélas, dans le budget de Tshibala, la redevance annuelle anticipative pour les laboratoires d’analyse des produits miniers marchands n’a pas été activée, sans justification aucune. Les droits d’octroi de carte d’exploitation artisanale des substances précieuses et semi-précieuse n’ont pas non plus été activés dans le budget 2018 alors qu’ils avaient précédemment rapporté plus de 15 millions de FC au Trésor. 

La quotité de la taxe ad valorem à payer à chaque exportation de l’or, du diamant et des pierres de couleur de production artisanale pour le Trésor public a pratiquement été éteinte depuis 2015 alors que les exploitants artisanaux soutiennent la payer régulièrement auprès des commis de l’État. 

Alors qu’elles ont rapporté, ces dernières années, en moyenne 45 millions de francs, les ventes résiduelles de biens des établissements non marchands dont les droits de vente des cahiers de charge (DAO) pour l’attribution de gisements miniers n’ont pas d’assignation pour l’exercice 2019 alors que le secteur minier a repris de plus belle. 

Invité lors de l’analyse du budget 2018 effectuée, il y a peu, par la société civile, cet expert en mines estime que le service chargé de la gestion de la petite mine, SAESSCAM, fait office du parent pauvre dans le secteur, pas d’allocations budgétaires conséquentes et son déploiement dans les 26 provinces pose problème alors que l’exploitation illicite des minerais comme la cassitérite, le coltan et le wolframite, l’or et le diamant par des exploitants artisanaux a tendance à devenir une activité normale. Le gouvernement a plutôt préféré poursuivre le déploiement du cadastre minier à travers le pays. En 2016, plus de 1,750 milliard de FC avait été alloué à l’opération et 2,015 milliards de FC étaient prévus pour 2017. Par ailleurs, le gouvernement a programmé la création du Service géologique national avec plus de 7 milliards de FC. La Banque mondiale a, une fois, encore porté ses préférences sur le projet Promines avec 5,8 milliards de FC en 2018. 

Coulage des recettes

Les experts font aussi remarquer que les investissements sur ressources propres de l’État dans le secteur minier accusent des incohérences de chiffres en dépenses. Dans un document fourni par le ministère du Budget (Analyses explicatives des dépenses en 2017), les dépenses pour la réhabilitation des bâtiments et l’acquisition des véhicules terrestres étaient de l’ordre de 902 840 934 FC, alors que dans le document sur  le développement des titres et crédits 2017 fourni par le même service, les dépenses n’étaient que de 702 840 934 FC. Plus de 200 millions de FC d’écart! 

La loi de finances publiques de 2017 et ses appendices ont été votés avec ces écueils par les deux chambres du Parlement. Par ailleurs, des analystes de la société civile ont fait remonter à la surface des pratiques susceptibles de passer pour des manœuvres dilatoires de coulage des recettes de l’État. Dans la rubrique « fonctionnement des  ministères », les indemnités kilométriques prennent une grosse part de l’enveloppe, soit 204 304 455 FC et autres prestations, soit 395 342 508 FC pour le cabinet du ministre et 287 991 994 FC pour le secrétariat général, contrairement à d’autres cabinets tels que les Hydrocarbures qui n’ont que 74 154 517 FC et dont le secrétaire général n’a même pas d’indemnités kilométriques. 

Décidemment, les recettes des mines ont grise mine. Pour mémoire, l’ex-SAESSCAM, créé en 2003, est sous la tutelle du ministère des Mines et dispose d’une autonomie de gestion. Il a pour objectif principal d’encadrer techniquement et financièrement les exploitants du secteur de la petite mine et lutter contre la fraude en canalisant les productions dans le circuit officiel de commercialisation.