Entre tradition et modernité

Gage de l’union entre un homme et une femme pour beaucoup, respect de la tradition dans un pays où la femme est de plus en plus transformée en bien économique à acquérir à sa juste valeur, la dot aurait-elle vidée de son symbolisme ? Enquête.   

En République démocratique, concilier modernité et tradition, ou ce qui en reste, relève désormais de l’acrobatie. Il est difficile de savoir si les comportements en matière de dot sont motivés par un attachement aux us et coutumes ou, au contraire, la conséquence d’une conjoncture économique particulièrement difficile. Quoi qu’il en soit, se marier coûte cher, très cher. Olivier Bukaka, auteur de plusieurs études sur les phénomènes sociaux à Kinshasa, souligne que la coutume reste un observatoire privilégié de la société malgré les évolutions modernes et la densification de la population urbaine. Il confirme que concilier les traditions et les valeurs urbaines, notamment en ce qui concerne le mariage coutumier, n’est pas un exercice aisé. « Dans nos sociétés ancestrales, l’union d’un homme et d’une femme a toujours été légitimée à travers un rituel, celui du versement de la dot. Cette dernière est, à coup sûr, une épreuve heureuse dans la vie d’une femme. L’homme étant encore considéré comme supérieur à la femme, c’est à lui de payer la dot pour justifier son statut », explique Olivier Bukaka.

Quand femme rime avec sexe faible 

Pour le sociologue, d’une façon générale, dans les traditions, les hommes n’ont jamais fait grand cas de la condition féminine. La femme est considérée comme un être incapable dont tous les actes doivent recevoir l’aval de son mari. Quand elle n’est pas encore mariée, elle doit être assistée par ses parents dans tout ce qu’elle entreprend. La gent féminine est ainsi traitée pour affirmer la « faiblesse de son sexe ». La pratique de la dot participe donc du principe de la subordination de la femme, qui est réaffirmé par les juristes qui s’y réfèrent, tenant pour acquis l’inégalité des sexes et la supériorité de l’homme sur la femme.

C’est pour cette raison que le code de la famille congolais conditionne la célébration du mariage par-devers l’officier de l’état-civil et à travers un  versement effectif de la dot ou d’une partie de celle-ci. D’après l’avocat Norah Yenga, la dot est versée à titre symbolique. « Le futur époux et sa famille conviennent avec les parents de la future épouse d’une remise de biens ou d’argent constituant la dot au profit des parents de la fiancée. Cependant, le montant de la dot et des prestations à fournir lors d’un mariage coutumier restent méconnus ». En effet, l’article 362 du code de la famille laisse à la famille de la femme le soin d’apprécier la dot, c’est-à-dire sa consistance et son montant, pour autant qu’elle soit conforme à l’ordre public et à la loi. Mais le législateur a prévu à l’article 363 un garde-fou pour cadrer la valeur maximale de la dot. « Faute de promulgation de l’ordonnance-loi devant fixer le prix de la dot, on assiste à des dérives et les personnes lésées ne peuvent pas faire valoir leurs droits », déplore l’avocat.

Constituée de biens en nature et d’espèces sonnantes et trébuchantes, la dot versée à la famille de la fiancée a une fonction symbolique lors de la cérémonie du mariage coutumier. « La dot n’est pas le terme de l’échange, mais le témoin de l’union », fait remarquer le professeur Joseph Mabika Nkata, de l’université de Lubumbashi dans son livre Mystification fondamentale, Merut ne Maât (Presses universitaires de Lubumbashi, 2002). C’est dire que dans les sociétés africaines, le mariage a encore un caractère sacré, comme le souligne Olivier Bukaka. « Certes, le mariage demeure toujours un instant de séparation, mais c’est aussi et surtout le lieu d’un rituel animiste séculaire qui se transmet de génération en génération, selon les traditions », affirme-t-il.

Un rituel à plusieurs variantes

Au Congo, le mariage coutumier a plusieurs variantes selon les coutumes et les tribus. Dans quasiment toutes les tribus, la dot est faite de biens en nature et d’une somme d’argent. La différence se situe au niveau de l’importance accordée aux cadeaux  offerts à la famille de la mariée ainsi qu’au montant de la dot. Certaines belles familles privilège l’argent, tandis que d’autres l’argent et les cadeaux vont ensemble. Dans la plupart des tribus, la cérémonie de remise de la dot se déroule dans un cadre intime limité aux deux familles. Dès que l’union est scellée, on peut s’autoriser une fête.

Différences entre la ville et la campagne 

Alors que dans les communautés rurales la dot est adaptée aux coutumes, dans les villes elle est liée plus à la condition sociale et à la taille du portefeuille.  « Chez les Luba du Kasaï, la dot est faite de tout cela. Mais elle prend encore une valeur particulière lorsque la mère de la future mariée reçoit ce qu’on appelle « mbuji wa nyima » (littéralement la chèvre du dos) au cas où sa fille est vierge.  Il en est de même du fusil de chasse pour le beau-père. Mais, en milieu urbain, les choses ne se passent plus comme c’était le cas en milieu rural. De plus en plus, la chèvre est remplacée par un groupe électrogène ou par une chaîne musicale. Il est faut reconnaître, toutefois, que la virginité n’est plus considérée comme un critère fondamental lors d’un mariage traditionnel. Chez les peuples kongo, par contre, la cérémonie de versement de la dot se déroule à travers le « kinzonzi », une sorte de palabre pratiquée chez les Ntandu du Kongo-Central. Au cours du kinzonzi,  les deux familles unies par les liens du mariage discutent de la « facture », c’est-à-dire la liste des biens et la somme d’argent demandés s par la belle-famille. Les Ntandu  sont très regardants sur le vunga, la couverture.  Mais, de plus en plus, la couverture en tant que telle est remplacée par des casiers de bière : 9 casiers pour le père, 9 casiers pour la mère et 9 pour le mariage lui-même.

Généralement, les Ntandu sont considérés comme un peuple qui exige du marié une importante somme d’argent pour la dot. Chez les Shi, au Sud-Kivu, la dot a son pesant d’or avec les vaches (souvent un mâle et une femelle) qui sont réclamées en signe de fécondité. C’est une façon de souhaiter à la future épouse une grande progéniture. Chez les Ngombe de l’Équateur, l’acceptation des noix de cola par la belle-famille sous-entend son approbation.

Les termes et la nature de la dot varient d’une province à l’autre, d’une tribu à l’autre et d’une coutume à l’autre. Malgré ses variantes, la dot est souvent constituée de biens comme les chèvres, les vêtements (costume pour le beau-père et pagne  wax pour la belle-mère), et chaussures pour les beaux-parents, du  vin, de la boisson, du sel, de l’huile de palme, une houe, une marmite, une bassine.  Le montant de la dot est souvent fixé en dollars.

Après cette cérémonie à la fois émouvante et festive, la femme va désormais vivre avec son mari, avoir des rapports sexuels en vue de procréer pour perpétuer la lignée ou le clan. Enfanter, c’est aussi une autre fonction que l’on donne à la dot. Dans certaines tribus, si la femme n’a pas d’enfant  durant les deux premières années de son mariage, l’union risque d’être cassée et la dot restituée.

Cadeaux précis

Aujourd’hui,  la dot a perdu de sa valeur culturelle et symbolique d’antan. La plupart des familles dérogent à la coutume en réclamant une dot sans commune mesure avec les revenus du prétendant mais. À Kinshasa, tout le monde veut prendre exemple sur les Ntandu qui demandent une dot allant de 1 000 à 2 500 dollars. Matthieu Kande, 34 ans, est chauffeur chez un particulier. Il a un salaire  mensuel de 250 dollars. Il ne sait pas à quel saint se vouer pour obtenir la main de l’élue de son cœur originaire de Kisangani dans la nouvelle province de la Tshopo. Son désarroi vient du fait que la famille de la fille lui demande 1 987 dollars de dot. Pourquoi une telle somme ? La jeune fille est née en… 1987 ! En plus de cela, chaque bien compte : le père de sa dulcinée exige un costume noir de taille S en tissu Mohair, une cravate dorée de marque Gucci, une paire de chaussures noires vero cuio, c’est-à-dire en cuir véritable de marque italienne comme il se doit, une ceinture en cuir, une bouteille de marque Chivas… Quant à la mère, elle demande deux tissus en pagne super wax hollandais Vlisco (plus les frais de couture), deux paires de chaussures dames assorties aux motifs des pagnes, deux montres dames (pas de made in China ! ), deux foulards, sans oublier une houe, une flèche, une machette, du vin, une chèvre, du sel, du thé… En interrogeant sa calculette,  Matthieu Kande se rend compte que la note est salée : pas moins de 3 500 dollars. Rien que pour la dot. « C’est comme si les parents de ma fiancée ne veulent pas me la donner en mariage », regrette-t-il.

En décembre 2014, Dominique Kasongo représentait son ami vivant en Europe au mariage du fils de ce dernier qui épousait une fille originaire du Bandundu.  Sur la liste de mariage, un téléviseur avec écran à plasma de 24 pouces, une caméra numérique, une moto de marque Haodjin, une chaînette et des boucles d’oreilles en or… « Des objets n’ayant aucune signification symbolique. On aurait cru ce jour-là que la jeune fille était vendue. C’était excessif », souligne Dominique Kasongo.

À chaque famille, son prix

La précarité de la vie pousse désormais certaines familles à se référer au statut social du fiancé ou de sa famille avant de fixer le montant de la dot. « Aux riches, on demande toujours plus. La dot d’une fille demandée en mariage par le fils d’un homme politique ou un expatrié ne sera pas la même que celle d’un homme sans grande référence sociale », explique Joëlle Muvuba. En 2006, sa sœur avait épousé un pilote français. Montant de la dot : environ  25 000 dollars. Barthélemy Molele, la soixantaine, originaire de l’Équateur, ne cache pas son dépit : « Certaines demandes relèvent de la cupidité des parents », dit-il. Lui-même, qui marie ses filles et ses nièces, avoue être tombé dans ce piège. En 1984, lorsqu’il mariait, pour la première fois, l’une de ses filles, ses exigences étaient classiques : costume et  pagne wax pour les parents, une chèvre, deux coqs, une marmite, un fusil, une houe, une bêche, une machette, un dame- jeanne de vin rouge, des casiers de bière et la somme de 200 zaïres, soit 400 dollars à l’époque. Cette année, sa fille vient d’épouser le fils du président d’une cour judiciaire. Son gendre a donné une moto à la place du vélo Kinga 4×4 demandé, une montre pour hommes en sus du costume. Pour sa belle-mère, le prétendant a offert des extensions capillaires brésiliennes d’une marque bien précisée à la place du foulard, un sac à main et des bijoux en or. Tous ces cadeaux n’avaient jamais été demandés pour ses autres filles. Les biens en nature étaient soit doublés, soit multiplié par quatre ou cinq… En plus de la dot, 2 500 dollars, 70 casiers (50 de bière et 20 de boissons gazeuses) ont été donnés à la belle-famille. Pour Trésor K., qui s’est marié en 2013, la traditionnelle lampe Coleman (50 dollars) a été remplacée par un groupe électrogène de 5 KVA évalué à près de 1 500 dollars. Les beaux-parents lui avaient donné l’adresse de la boutique de mode où il devait faire des achats pour leur faire plaisir !

Vers un rituel standard

Au Congo, il n’existe pas de cérémonie-type de mariage coutumier. Chaque tribu a ses canons. Mais, à cause des conditions de vie difficiles et le brassage des cultures, le rituel du mariage coutumier tend à se standardiser dans les villes  congolaises. Dans cette propension à l’uniformisation, la tendance est à copier le rituel ntandu (à Kinshasa en particulier). Tout commence par une lettre accompagnée souvent d’un billet de 50 dollars que la famille du prétendant adresse à celle de la jeune fille. La cérémonie dite de « présentation » ou de pré-dot correspond à l’officialisation des fiançailles. Le prétendant et quelques membres de sa famille sont reçus par la famille de l’élue. Quelque cinq casiers de bière, deux coqs et de l’argent (de 50 à 150 dollars) suffisent pour cette étape préliminaire. Elle consiste à demander la « facture ». L’acte a une signification : permettre  au jeune homme d’entrer par la « grande porte » chez les parents de la jeune fille. Ces derniers prennent le temps de se renseigner sur lui avant de répondre à sa lettre. Quelques semaines ou mois après, la famille du fiancé écrit à nouveau à la famille de la jeune fille pour lui signifier la date du versement de la dot, celle-ci ayant été discutée au préalable ou le jour même du dépôt. C’est le kinzonzi. À l’issue de la négociation, le jeune homme et la jeune fille sont considérés comme coutumièrement mariés. L’homme, s’il le veut, peut même repartir avec sa femme ou alors attendre la célébration civile puis religieuse du mariage. Exigée jadis à titre symbolique, la dot n’est jamais exhaustive. L’époux continue à la verser sous d’autres formes. Cette tradition a une double signification : en épousant la jeune fille, le mari a également le devoir de prendre soin de sa belle-famille. De plus, chez les Luba, par exemple, l’argent et les biens en nature perçus pour le mariage d’une fille servent de dot pour le mariage d’un garçon dans la famille.