Fonds Okapi : investir dans la nature

Pour faire court, c’est une banque pour le financement des projets de conservation de la nature. Après 11 ans de gestation qui ressemblent fort à un parcours du combattant, le fonds a été enfin lancé officiellement le jeudi 13 février au complexe Texaf Bilembo, en présence des invités triés sur le volet. Il pèse quelque 23 millions de dollars.

LE DANGER qui pèse sur la survie de la planète terre à cause du dérèglement climatique dû à l’émission des gaz à effet de serre (GES) nous interpelle tous. Et la prise de conscience universelle de ce danger doit être pour nous tous « une autre façon d’agir ». C’est à cela que peut se résumer le mot de Bob Tumba Matamba, le président du comité exécutif du Fonds Okapi, lors de la cérémonie de son lancement officiel. 

Conscient, définitivement, que le financement de la conservation de la nature est un (nouveau) modèle de développement durable, qui doit émerger. « Vous entendez parfois, dans certains salons, discuter à propos d’un prétendu antagonisme ou conflit d’intérêts entre la conservation de la nature et les exploitations minières ou pétrolières. Ces prétendus antagonismes et conflits sont factices et le fruit d’une opinion populaire mal éclairée, mal renseignée », a souligné Bob Tumba. 

« En effet, mettre en balance la conservation de la nature et la découverture du sous-sol pour ses trésors y enfouis, c’est opposer le court terme au long terme. Les réserves de cuivre, de cobalt, de diamant, d’or, de pétrole et autres sont délimitées, quantifiées, et donc épuisables au terme de leur exploitation. Par contre, la richesse de la biodiversité est, à l’échelle humaine, éternelle », a-t-il poursuivi.

Avantages comparatifs

Le président du Fonds Okapi n’a pas voulu ouvrir une brèche de polémique sur les considérations de vivre à long terme ou à court terme. Mais il a voulu trancher dans le vif : « En procédant à une analyse approfondie, même dans les limites du court terme, et en ne regardant que la rentabilité financière immédiate, la conservation de la nature peut l’emporter sur l’exploitation minière ou pétrolière, en termes d’apport financier. »

Illustration : « En effet, dans la décennie 70, lors du boom des matières premières, au plus fort du rendement de la Gécamines, conjoncture qui avait permis au Maréchal Mobutu de zaïrianiser l’économie nationale, la Gécamines rapportait à l’État congolais 1.5 milliard de dollars, pendant que, pour la même période, l’écotourisme rapportait à l’État kenyan 2 milliards de dollars. Et en investissements inégaux. L’investissement minier ou pétrolier coûte plus cher en équipements (capex) et en charges d’exploitation (opex) que l’investissement dans la préservation de la nature. »

D’après lui, « le schéma économique extraverti hérité de la colonisation, qui consiste à troquer des substances minérales brutes contre leurs produits dérivés finis mais usinés off-shore, contre les produits de première nécessité, et même contre les biens alimentaires, est un schéma dévastateur en termes d’échange, un schéma qui nous rend éternellement dépendant de l’extérieur ». Bref, « un marqueur du sous-développement. In the nutshell, vouloir opposer la conservation de la nature aux exploitations minières, c’est se tromper à la fois d’époque, de guerre, d’enjeux et d’intérêts », selon ses propres termes. 

Le Fonds Okapi s’inspire donc de cette logique implacable. Guillaume de Rouville, le directeur exécutif du Fonds, a expliqué que c’est un fonds fiduciaire, une institution privée, juridiquement indépendante, créée pour fournir un financement durable pour la conservation de la biodiversité en RDC. Son activité principale est de mobiliser des ressources financières auprès des bailleurs de fonds internationaux, des gouvernements et du secteur privé. Le fonds assure aussi la pérennisation du capital mis à disposition en l’investissant à long terme sur les marchés financiers et affecte les revenus de ces placements sous forme de subventions à des programmes de conservation de la nature par l’intermédiaire des gestionnaires des aires protégées (Institut congolais de conservation de la nature et gestionnaires délégués).

Capitalisation

Avec la capitalisation du fonds qui a eu lieu en décembre 2019, grâce à la Coopération allemande à travers la KfW (15 millions d’euros) et la Banque mondiale (7,4 millions de dollars), le Fonds Okapi peut désormais jouer son rôle. Il s’agit de soutenir la protection, la conservation et la gestion durable de l’environnement, des ressources naturelles et de la biodiversité ; d’appuyer l’amélioration des moyens de subsistance des populations vivant à l’intérieur et aux alentours des aires protégées (AP) et d’autres zones d’intérêt pour la biodiversité (ZIB). Il s’agit aussi d’accompagner des recherches dans le domaine de la biodiversité et le suivi écologique ; de promouvoir le tourisme vert ; de mener des opérations de sensibilisation et d’éducation environnementales du grand public et des parties prenantes.

La spécificité d’un fonds fiduciaire, c’est de n’utiliser que le revenu généré par le placement pour ensuite l’utiliser dans le financement des aires protégées du pays. Il s’agit donc d’investir dans les actions et les obligations. Le Fonds Okapi a placé à 6 % le taux de rentabilité de ses placements. Guillaume de Rouville a fait remarquer que c’est un outil flexible, intéressant et innovant. 

C’est le tout premier fonds fiduciaire pour la conservation de la nature en RDC. Il vise à répondre de manière durable aux problématiques de financement des projets environnementaux. Vu sous cet angle, il va constituer un élément important d’une nouvelle vision se fondant sur la volonté des partenaires de prendre en compte les aspects sociaux et l’économie rurale dans le processus de conservation de la nature.

Objectifs et activités

Le rôle du Fonds Okapi, c’est de lever des fonds auprès des bailleurs internationaux, les placer sur les marchés financiers et utiliser les intérêts générés par les fonds de dotation pour financer à long terme les AP et les autres aires de conservation de valeur écologique significative en RDC (ZIB). En 2020, il sera question placer les investissements sur les marchés financiers, développer et mettre en œuvre la stratégie de levée de fonds auprès d’autres bailleurs. Il sera aussi question de d’étudier les besoins des aires protégées, rencontrer les différentes parties prenantes, surveiller le placement des fonds sur les marchés financiers et former les équipes du Fonds.

À partir de fin 2022, il va financer à hauteur d’un minimum de 600 dollars par an les programmes de conservation de la nature dans les AP. Guillaume de Rouville a annoncé que le Fonds Okapi va financer, les cinq premières années, les activités du Parc national de Kahuzi-Biega dans le Sud-Kivu et du Parc national de la Garamba dans la province d’Ituri, les deux sites étant estampillés « patrimoine mondial de l’humanité en danger ». Au fur et à mesure que les investissements et les revenus augmenteront, l’appui sera étendu à d’autres aires protégées en RDC.

La plupart des invités à la cérémonie du lancement du Fonds Okapi ont salué l’initiative. Le Fonds a été officiellement créé le 28 novembre 2013 sous la dénomination « Fonds Okapi pour la conservation de la nature en République démocratique du Congo » (FOCON). C’est une société charity de droit anglais à responsabilité limitée par garantie, enregistré auprès de la Companies House au Royaume-Uni. Il a été reconnu d’utilité publique le 3 juin 2014 (n°1157294). Par décret 17/017 du 4 décembre 2017, le Fonds Okapi a reçu des autorités de la RDC l’autorisation de mener ses activités dans le pays. La RDC rejoint ainsi le cercle de 40 pays qui ont déjà mis en place des fonds pour la bonne gestion des aires protégées.