Goma-Bukavu : l’étau se renferme sur Mercy Corps (suite)

Dans cette affaire à l’allure d’un scandale financier, les yeux sont désormais rivés sur l’Assemblée provinciale à Goma. Le ministre provincial en charge des Ressources hydrauliques devrait y édifier les députés provinciaux au cours de la session parlementaire. On s’attend aussi à ce que tous les personnages-clés du dossier y soient entendus.

IL Y A EU irrégularité dans l’octroi du marché. À Goma, dans la haute ville, d’aucuns n’hésitent plus à dénoncer « la maffia organisée par Mercy Corps en RDC », à travers la société Maji Congo, puis E4I, dans l’exécution du projet de fourniture d’eau dans le chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Pour tout résumer, en date du 7 avril 2018, Mercy Corps/RDC a conditionné le financement de la construction des infrastructures d’eau du programme Imagine (qui s’achève en décembre 2020) par sa participation à la gestion commerciale du réseau EGN (Extension Goma Nord). C’est un réseau de distribution d’eau autonome opérationnel dans les quartiers Majengo, Kasika, Magunga Nord, Katoyi et Munigi. 

La construction de ce réseau, doté de 49 bornes fontaines, a été financée par l’ONG britannique de 2011 à 2014, avant de le remettre à la REGIDESO. 

Qui a confié, à son tour, la gestion à l’ONG locale Yme Grands Lacs (YGL), en fondant sa décision sur l’expérience antérieure de cette dernière à Mugunga. En effet, YGL a fait preuve de bonne gestion commerciale, allant jusqu’à réaliser 1 million de dollars de chiffre d’affaires par an. 

Sans doute, jalouse comme une tigresse de la performance d’une ONG locale pendant 4 ans, Mercy Corps va user de subterfuges pour que la REGIDESO retire la gestion d’EGN à YGL pour la lui confier. Et pourtant, en tant qu’ONG internationale, elle ne peut pas mener une activité commerciale, surtout à travers un projet qu’elle a financé avec des fonds des bailleurs (DFID, UE et USAID), de crainte d’être en situation de conflit d’intérêt. 

Contrat de collaboration

La conditionnalité de Mercy Corps pour devoir poursuivre le financement des infrastructures d’eau ressemblait à un couteau pointé à la gorge de la REGIDESO. De peur de perdre le financement pour la construction des ouvrages et faillir à sa mission d’apporter l’eau potable à la population, la REGIDESO va signer (malgré elle ? On parle des dessous des cartes) une « Note de concept ». En réalité, une « Offre spontanée » à Mercy Corps, pour peu que la gestion commerciale lui soit cédée sans passer par le processus classique d’octroi de marché des services publics. 

La fameuse « Note de concept » avait été approuvée par Jean Pierre Engau Is’Eleza, alors secrétaire général de la REGIDESO, et par Mark James Dwyer, en tant que directeur exécutif WSD (Water Service Delivery) du programme Imagine chez Mercy Corps/RDC. 

Puis, Mercy Corps va pousser la REGIDESO et la province du Nord-Kivu à approuver la « Lettre d’intention ». Un document qui va donner lieu au « Contrat de collaboration » entre Mercy Corps et REGIDESO avec comme témoin la province. 

Il faut dire que la REGIDESO et l’autorité provinciale se sentaient frileuses. Elles voulaient voir clair à propos du financement de 64 millions de dollars de DFID  (la coopération britannique) pour la construction des ouvrages (dont les bornes fontaines) en 2014. 

Quatre ans après, rien n’était visible sur le terrain. Mais c’était sans compter avec Jean Pierre Engau à la manœuvre (décédé, cet homme est considéré comme la cheville ouvrière dans ce dossier). 

Mercy Corps va même réussir le coup de faire déplacer l’ambassadeur UK en RDC à Goma afin de convaincre la REGIDESO et la province de signer la « Lettre d’intention », qui sera paraphée le 14 mai 2018 par toutes les parties. La « Note de concept » et la « Lettre d’intention » en poche, un boulevard s’ouvrait alors devant Mercy Corps pour obtenir le « Contrat de collaboration ». Où ? C’est à Bangkok, une ville des plaisirs, en Thaïlande ! Tous ceux qui ont travaillé à l’élaboration de ce contrat, ont eu droit à une « retraite dorée » offerte par Mercy Corps, confie un agent de la REGIDESO à Kinshasa. Tout cela à l’insu des autorités provinciales. 

Mercy Corps était représentée par Mark James Dwyer tandis que la REGIDESO par Jean Pierre Engau, le même. La même source renseigne que personne ne connaît les dessous des cartes de la « Déclaration de Bangkok » qui a été confectionnée en l’absence du représentant du gouvernement provincial du Nord-Kivu.

Congo Maji Sarl

En vertu de la loi 15/026 du 31 décembre 2015 sur l’eau, Mercy Corps, en tant qu’ONG internationale, était contrainte de céder à un tiers ses droits nés de la signature de la « Lettre d’intention ». 

Et dans ses velléités d’avoir la gestion de l’eau dans les villes de Goma et Bukavu, Mark James Dwyer (Britannique) et Papy Saïdi Byamungu (Congolais), tous deux employés de Mercy Corps, créent la société Congo Maji Sarl, en date du 23 janvier 2018. Capital : 25 000 dollars dont 51 % pour Mark James Dwyer et 49 % pour Saïdi Byamungu. La REGIDESO sera mise au courant de l’existence de cette société à quelques jours seulement de la signature du « Contrat de collaboration ». 

Le 20 août 2018, sans l’avis de son partenaire, Mercy Corps communique à la REGIDESO le transfert de tous ses droits et obligations à Congo Maji Sarl, sur la base d’un protocole d’accord signé le même jour entre les deux parties. En réalité, Mercy Corps a créé la société Congo Maji pour contourner la loi 15/026 du 31 décembre 2015. Ce protocole d’accord a été approuvé à Edinburgh, au Royaume-Uni, siège de Mercy Corps, par Simon O’Connell (Mercy Corps) et Saïdi Byamungu (Congo Maji), toujours agent de Mercy Corps. 

Un détail-piège du protocole : Congo Maji s’engage à communiquer à la REGIDESO tout changement de son capital social, conformément à la Déclaration de Bangkok, et le transfert de ses actions à l’Entreprise For Impact (E4I), société de charité de droit britannique, à l’initiative Mercy Corps. Cette société n’existait pas encore à la signature du protocole d’accord d’Edinburgh. Dans le cadre de ce transfert de droits et obligations, Mercy Corps s’engageait à verser à Congo Maji quelque 3 millions de dollars afin de lui permettre de remplir ses nouvelles obligations. En réalité, Congo Maji ne les a jamais reçus si ce n’est que quelque 350 000 dollars. Où est passé alors le reste ? 

E4I sera créée en date du 24 août 2018, et enregistrée au Royaume-Uni sous le n° 1153010. Tous les associés sont de Mercy Corps : Michael John McKean (directeur des programmes Mercy Corps/Europe, il était présent la délégation lors du transfert des obligations à Congo Maji Sarl), Adrienne Elizabeth Karecki, Jean-Philippe Marcoux (directeur pays Mercy Corps/RDC), Abdul-Jalil Ali (Mercy Corps/Europe), Stephen Tomas Mosquera (indépendant, il sera nommé responsable du programme Imagine de Mercy Corps/RDC). Le capital d’E4I est de 5 pounds, soit un apport d’1 pound par associé. C’est à se demander si avec un tel montant, on peut fournir de l’eau aux habitants de Goma et Bukavu. Par ailleurs, nulle part (ni en Angleterre ni en RDC) on voit E4I en activité.