Goma-Bukavu : l’étau se renferme sur Mercy Corps

Quand l’ONG britannique fait sa com, dans les chefs-lieux des deux provinces du Kivu, on rit sous cap. La vérité est qu’elle est mise sous pression par les autorités provinciales mais aussi par la population, depuis que le reportage de Business et Finances publié en février dernier sur la ville de Goma a révélé le pot aux roses. Épilogue d’une enquête menée à Goma et Kinshasa.

JEUDI 2 avril. Mercy Corps/RDC publie un communiqué. L’ONG britannique fait savoir que le réservoir d’eau de Nyantende dans la ville de Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu, est désormais connecté au réseau de Panzi, afin de permettre à une partie de cette localité d’avoir accès à l’eau potable. Et dans le même communiqué, elle souligne qu’à Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu, environ 300 000 personnes ont accès à l’eau potable grâce à 53 bornes fontaines construites en 2014, dans le cadre du programme I-Wash (Improved Water Hygiene and Sanitation).

Attaques en règle

Naturellement, Whitney Elmer, la directrice pays de Mercy Corps, ne peut qu’être satisfaite, comme le souligne le même communiqué. Fière de « l’impact positif que le programme Imagine (opérationnel à Bukavu et Goma, financé à hauteur de 36 millions de dollars par la coopération britannique DFID) a déjà fait sur la vie des membres des communautés de Majengo, Magunga Nord, Katoyi, Kasika et du groupement de Munigi en ville de Goma ». Et de poursuivre : « Avec une réduction de temps de collecte de l’eau 35 % depuis 2018 pour les consommateurs et un prix réduit de 35 % par rapport au marché informel, cette approche contribue au développement durable de la République démocratique du Congo. » 

À Goma tout comme à Bukavu, les gens pensent que Mercy Corps cherche à se justifier des accusations. Depuis notre reportage sur la ville de Goma en février dernier, notamment sur la gestion de l’eau par Mercy Corps dans le cadre de son partenariat avec la REGIDESO, des voix s’élèvent pour exiger des comptes à Mercy Corps/RDC. Et parmi ces voix, celle, pas de moindre, de Jean-Paul Lumbulumbu Mutanava Musavuli. Député provincial, vice-président à l’Assemblée provinciale du Nord-Kivu, il veut voir clair à propos de « plus de 64 millions de dollars destinés à la construction des bornes fontaines à Goma ». 

Jean-Paul Lumbulumbu était en conférence de presse avec les médias locaux, le 27 mars dernier. Soucieux du bien-être de la population, surtout pendant cette période d’épidémie du coronavirus où Goma a plus que jamais besoin d’eau, il ne comprend pas qu’une ONG internationale dilapide autant d’argent sans y construire la moindre borne fontaine de 2015 à 2020. Sa sortie a été tonitruante : les « manœuvres de Mercy Corps frisent le blanchiment d’argent ». Sans blague ! Rappel des faits. À la suite du reportage de Business et Finances, Jean-Paul Lumbulumbu avait adressé une demande d’information à Whitney Elmer, la directrice pays de Mercy Corps en RDC. Qui lui répond, le 23 mars dernier, à travers sa lettre n°119/03/MC/DRC/2020. Seulement voilà, le député provincial « regrette » que cette correspondance a l’air d’« une véritable fuite en avant, sinon une diversion basée sur les aspects dérisoires ». C’est ce qu’il signifie à Whitney Elmer dans sa lettre accusé de réception n°2/Hon-JPLMM/DP-NK/2020 du 25 mars dernier.

En effet, Jean-Paul Lumbulumbu fustige qu’« aucune réponse n’a été réservée à toutes ses questions posées aux responsables de Mercy Corps à Goma ». Notamment sur le financement du DFID (la coopération britannique) de 54 millions de dollars (selon Whitney Elmer) dans le cadre du programme Imagine pour la construction de 300 bornes fontaines (dont dans Goma) pour faciliter l’accès à l’eau potable. Ce financement arrive à terme sans qu’une seule borne fontaine ne soit construite à Goma. 

Par ailleurs, il constate que Mercy Corps n’a pas non plus répondu à sa préoccupation sur « les manœuvres frauduleuses tendant à écarter la province du Nord-Kivu et la REGIDESO de la gestion du réseau de distribution d’eau en leur imposant des conditionnalités illégales allant jusqu’à la violation des lois sur les marchés publics en RDC ». Ou encore sur les « mutations du financement à la société Congo Maji Sarl, de celle-ci à Congo Maji Sarl-U, et de celle-ci à une société britannique, Entreprise For Impact (E4I), aujourd’hui gestionnaire du réseau d’eau potable dans la ville de Goma avec des recettes annuelles d’environ 1 million de dollars par an ». 

Pire, rappelle Lumbulumbu à Elmer, Mercy Corps n’a jamais transmis à la province un plan d’action, ni une étude de faisabilité, ni encore un chronogramme d’activités de mise en œuvre de son protocole d’accord avec Congo Maji. Alors que Congo Maji, création du staff de Mercy Corps, a bénéficié des mesures d’exception par rapport aux procédures de passation des marchés publics, sur la base d’une simple promesse aux autorités provinciales sur le « sérieux dans la gestion des services publics de l’eau et la transparence dans la gouvernance des financements obtenus des partenaires ».

La colère de ce député provincial devient encore vive quand il considère que les autorités provinciales et la population ont été prises pour « le dindon de la farce » dans la mise en œuvre du contrat de collaboration entre Congo Maji, REGIDESO et la province. « Inacceptable ! » Tom Mosquera, le directeur du programme Imagine, a reconnu, le 18 mars, qu’aucune borne fontaine n’a été construite dans le cadre de ce programme entre 2015 et 2020. Les bornes fontaines qui sont en service à Goma (dont se satisfait Whitney Elmer) sont le résultat du projet I-Wash qui a succédé à l’autre projet, MAYP.

Avec tous les financements gérés par Mercy Corps/RDC et d’autres intervenants dans le secteur, Jean-Paul Lumbulumbu ne comprend pas que plusieurs quartiers de Goma continuent de faire face à d’énormes difficultés d’accès à l’eau potable. 

Elmer fait profil bas

Acculée par cet élu, Whitney Elmer a tenté de le dissuader à tenir son point de presse du 27 mars, en dépêchant des émissaires auprès de lui (mais aussi auprès du gouverneur de province pour obtenir son soutien). Cela ne suffit pas pour convaincre Jean-Paul Lumbulumbu. 

Comme ce dernier menaçait d’éventrer le boa, la directrice pays de Mercy Corps lui écrit encore, les 1er et 2 avril (lettres n°135 et 139/04/MC/DRC/2020). Elmer baisse alors la garde, reconnaissant qu’aucune borne fontaine n’a été construite dans Goma, et promet la fin des travaux de construction des bornes fontaines en novembre 2020. 

Réponse du berger à la bergère : Jean-Paul Lumbulumbu réagit, le 3 avril. Puisqu’il en est ainsi, il prévient que lui et la population suivront l’exécution des travaux jusqu’à la construction d’au moins 90 bornes fontaines. Il exige qu’un partenaire gouvernemental (province ou REGIDESO) soit associé à l’opération. Et, par conséquent, il demande la gratuité de la consommation d’eau pendant cette période de coronavirus pour un montant équivalent à 5 % pour le préjudice subi (non-exécution du projet).

En conclusion, il déclare qu’il va poursuivre son enquête sur cette affaire, notamment sur la composante Water Service Delivery du programme Imagine. « C’est dans ce programme que plusieurs pratiques contraires à la tolérance zéro, à la corruption et à la fraude sont faites. C’est dans cette composante que Mercy Corps a créé Congo Maji Sarl, et c’est là l’arbre qui cache la forêt ».

Enfin, il nous revient de Bukavu que Venant Burume Muhigirwa, le ministre provincial du Sud-Kivu des Mines, d’Énergies et de l’Environnement, a écrit à Mercy Corps RDC, le 23 mars dernier, pour réagir sur l’échange de correspondances entre l’ONG britannique et la direction provinciale de la REGIDESO. En effet, dans sa lettre n°165/CAB/MINI-PRO/MEE/SK/2020, on peut lire : « Étant donné que votre chronogramme prévoyait de réaliser les différentes jonctions du nouveau réseau à l’ancien pour que la population consomme l’eau des réservoirs Kasihe et Nyantende, je constate malheureusement qu’il y a un retard par rapport au délai d’exécution qui prévoyait de terminer les travaux le 28 février 2020 malgré que la REGIDESO vous ait fourni les accessoires manquants et ait décanté la difficulté avec l’Office des Routes. » Et pour permettre au gouvernement provincial de « tirer les choses au clair », Venant Burume a enjoint Mercy Corps de lui transmettre « toutes affaires cessantes » tous les éléments du dossier.