Henri Yav Mulang : « Le chef de l’État fait tout afin que la population puisse préserver son pouvoir d’achat. »

Business et Finances : La dépréciation du franc est sur toutes les bouches et quand on en parle, c’est le ministère des Finances qui est visé. Pouvez-vous expliquer dans les moindres détails, pour la compréhension du Congolais moyen, comment est-on arrivé à la situation actuelle après tant d’années de stabilité ?

Henri Yav : Après une décennie de stabilité économique et financière marquée par une croissance, impulsée par les industries manufacturières, le commerce, l’agriculture, les transports et les télécommunications, la croissance s’est contractée passant de 6.9 % en 2015 à 2.5 % en 2016. Le ralentissement de l’activité économique et le recul des exportations ont réduit l’espace fiscal national, dans un contexte de constance, voire d’accroissement des dépenses. Les réserves de change ont chuté occasionnant une dépréciation notable du franc congolais (CDF) de 26 % en une année et une poussée inflationniste préoccupante, contenue autour de 1 % entre 2014-2015, atteignant 23,6 % en fin 2016.

La situation économique et financière de notre pays a commencé à se dégrader, dès le début du 2ème semestre de l’année 2015, sous la conjonction, d’une part, du choc externe provoqué par le ralentissement de l’activité économique mondiale à l’origine de la chute des cours mondiaux de principaux produits d’exportation de notre pays et, d’autre part, du choc interne lié au caractère extraverti et peu diversifié de notre économie, auquel s’est greffé un certain attentisme des opérateurs économiques et des investisseurs. 

Cette dégradation de la situation économique s’est traduite par le ralentissement du taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) réel qui est passé de 9,5 % en 2014 à 6,9 % en 2015 et à 2,4 % en 2016. Parallèlement, le taux d’inflation annuel, qui était contenu autour de 1 % à la même période 2014-2015, a augmenté pour atteindre 23,6 % en 2016.

B & F : Quelle en a été la conséquence ? 

H. Y. : La conséquence immédiate de ce mauvais comportement des principaux indicateurs macroéconomiques a été la révision par le gouvernement du budget de l’exercice 2016. Mais, en dépit du vote par le Parlement d’une loi de finances rectificative, le gouvernement a eu à faire face, tout au long de l’année 2016, à une baisse drastique des recettes publiques et à la pression des dépenses, surtout contraignantes, à savoir les rémunérations, les dépenses de sécurité et de souveraineté, le paiement de la dette extérieure, le fonctionnement des institutions, sans oublier les engagements liés au processus électoral.

Cette inadéquation entre les ressources internes, de plus en plus faibles, et des dépenses restées constantes, voire en hausse, a eu comme résultat un déficit important dans l’exécution du budget 2016 et cela, malgré des efforts de compression des dépenses entrepris tout le long de l’année et qui ont permis, au cours de certains mois, de réaliser des excédents de trésorerie. Eu égard au résultat négatif ainsi connu dans l’exécution du budget 2016 et pour éviter une détérioration plus prononcée de la valeur de notre monnaie nationale, nous avons décidé dès janvier 2017, de resserrer davantage l’exécution du budget, en nous fixant comme objectif mensuel zéro déficit ou dans l’impossible, un déficit réduit et facilement compensable avec d’éventuels excédents des mois à venir.

B & F : Qu’est-ce que cet objectif mensuel zéro déficit a donné comme résultat ?

H. Y. : Cette discipline budgétaire a permis de maintenir les finances publiques en équilibre au cours de cinq mois sur les sept premiers mois de cette année et d’enregistrer un ralentissement du rythme de dépréciation du franc congolais contre le dollar, passant d’une moyenne de 4 % par mois entre octobre 2016 et mars 2017 à 2,5 % par mois en avril et mai 2017.

B & F : En quoi le rapatriement des 40 % des recettes d’exportation des produits miniers et leur injection réelle dans l’économie nationale va-t-il contribuer à rétablir les équilibres macroéconomiques ?

H. Y. : Le rapatriement des 40 % des recettes d’exportation des produits miniers et leur injection dans l’économie nationale constituent une des solutions pour la stabilisation de l’économie. Cela dans la mesure où, cette devise rapatriée une fois injectée dans le circuit économique permet d’augmenter l’offre de devises sur le marché et d’éviter des anticipations sur le taux de change de la monnaie nationale et donc d’éviter la dépréciation de celle-ci.

Les producteurs des produits miniers sont en général des expatriés. Ils logent leurs capitaux dans des pays étrangers loin du lieu d’exploitation. Cette solution fait obligation de loger une partie de leurs avoirs ici au pays pour féconder l’économie locale et faire face à la demande de devises étrangères. L’observance de cette disposition légale commence à porter des fruits, certaines entreprises s’exécutent déjà et d’autres piétinent encore. Mais tout va dans le bon sens.

B & F : L’actualité au pays est aussi marquée, ces jours-ci, par les cinq mesures économiques urgentes prises en conseil des ministres à l’initiative  du chef de l’État. Quel est exactement le travail du Comité stratégique mis en place pour veiller à leur application ?

H. Y. : De prime abord, je voudrais souligner que je suis membre de ce comité de pilotage stratégique, mis en place par le chef de l’État lui-même, en sa qualité de garant de la nation.

Dès qu’il a constaté que la dégradation de la situation économique et financière du pays atteignait une cote d’alerte alarmante, ce comité a été chargé notamment de prendre des mesures d’application immédiate pour arrêter cette dégradation, stabiliser l’économie nationale et réfléchir ainsi sur les actions à moyen et long termes susceptibles de relancer durablement l’économie du pays. Parmi ces mesures, les plus importantes sont celles qui  visent une mobilisation plus accrue des recettes publiques…

B & F : Dans l’ensemble, en quoi consistent toutes ces mesures ?

H. Y. : Dans l’ensemble, toutes ces mesures ont pour objectif d’améliorer le climat des affaires et de créer les conditions les meilleures d’exercice des activités économiques dans notre pays. Elles concernent spécifiquement la suppression des taxes illégales, des frais administratifs d’interventions diverses exigés par les différents services aux postes frontaliers ou ailleurs sur le territoire national, des points de contrôle sur les routes ou les voies fluviales, l’assainissement des aires de dédouanement, l’intégration de toute la parafiscalité et autres revenus des prestataires en un taux unique, la stricte application du décret fixant à quatre le nombre des services autorisés à opérer aux frontières, la lutte contre la fraude, la contrebande, l’évasion fiscale, le renforcement des sanctions administratives et des poursuites judiciaires contre les agents de l’État indélicats et les opérateurs économiques véreux, la mise en place d’une stratégie de promotion des exportations agricoles et des produits de l’industrie locale.

Dans la même série, il y a lieu de citer aussi la construction des plates-formes logistiques dans tous les postes douaniers, l’accélération de l’informatisation et l’interconnexion des services des régies financières, dont l’inauguration du serveur installé dans le data center de l’immeuble du Gouvernement a eu le jeudi 31 Août 2017  dans la perspective de la mise en place d’une chaine des recettes.

B & F : D’aucuns doutent déjà de l’efficacité de ces mesures, car, disent-ils, c’est du déjà entendu. Qu’est-ce qui garantit à la population que cette fois-ci sera la bonne ?

H. Y. : Il faut toujours être optimiste dans la vie. Ne jamais penser que lorsqu’une mesure n’a pas marché hier, elle ne le sera pas aujourd’hui. Et puis, les contextes ne sont pas les mêmes.

Comme vous le savez, la situation actuelle du pays, sur le plan économique, bien entendu, exige des mesures exceptionnelles, comme qui dirait à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Je voudrais rassurer la population que le chef de l’État fait tout,  à travers le gouvernement, pour la stabilisation du cadre macroéconomique …

…afin de permettre à la population de préserver son pouvoir d’achat.

B & F : Le budget 2017 a été promulgué en juillet mais prend effet à partir de janvier. À quand la publication des mesures d’application en matière d’impôts, taxes et redevances que les milieux d’affaires attendent avec impatience ?

H. Y. : Je l’ai dit tantôt, des réformes profondes sont attendues dans le domaine de la fiscalité afin de permettre aux contribuables de payer ce qu’ils doivent à l’État. Certaines mesures d’application ont été prises et d’autres sont en cours.

B & F : Comment les régies financières vont-elles atteindre, voire dépasser, les assignations budgétaires en si peu de temps qui reste ? 

H. Y. : Grâce aux dispositifs des mesures mis en place par le gouvernement, il y a lieu d’espérer. Un accent particulier sera mis sur le facteur humain qu’il faudra sanctionner tant positivement que négativement en cas de dérapage. Nos régies financières sont capables de mieux faire.

B & F : À quoi, selon vous, est due la faiblesse de mobilisation des recettes nationales au-delà du potentiel ? Et comment remédier à ce déficit ?

H. Y. : La faiblesse dans l’exploitation du potentiel fiscal est liée aux causes tant conjoncturelles que structurelles. Du point de vue conjoncturel, il y a le ralentissement de l’activité économique et l’attentisme de certains opérateurs économiques du pays ; et du point de vue structurel, le système fiscal lui-même qui est complexe, non attractif et asphyxiant au point d’exiger une réforme en profondeur que nous croyons réaliser à travers le forum de septembre courant. À cela s’ajoute la fraude et la contrebande douanière qui sont les véritables gangrènes de notre système fiscal. Ce qui ne permet pas aux régies financières de faire correctement leur travail.

B & F : Un forum sur la réforme fiscale en septembre, avez-vous dit. Quels en sont les objectifs ?

H. Y. : Ce forum se tient, sauf imprévu, du 11 au 14 septembre au Pullman Hôtel de Kinshasa. Il est considéré comme un cadre ouvert aux professionnels de la fiscalité qui seront en atelier avec les différents partenaires et le gouvernement pour réfléchir sur la possibilité de moderniser notre système fiscal. Doit-on garder le même système ou lui apporter des correctifs dictés par nos spécificités ? Voilà autant de questions qui feront l’objet de nos analyses. L’objectif de ce forum est d’aboutir au terme des diagnostics objectifs et rigoureux à la formulation des proposions et recommandations concrètes devant déboucher sur l’élaboration d’une nouvelle législation et/ou règlementation fiscale qui devra rendre la fiscalité de notre pays simple, attractive, compétitive, à haut rendement et réellement au service du développement.

B & F : Il semble que la RDC va très bientôt renouer avec le FMI. Quels sont les contours du nouveau programme de coopération ? 

H. Y. : Notre pays, en tant que État membre du FMI continue à dialoguer avec cette institution. C’est dans ce cadre que rentrent les missions du FMI qui arrivent en RDC malgré l’absence de programme. Une mission du FMI était ici à Kinshasa au mois de mars, elle a eu des échanges fructueux avec le gouvernement. Après la lettre de Mme Christine Lagarde en mars, une mission du Département du FMI conduite par M. Mario était venue à Kinshasa en juin dernier. Nous avons travaillé avec la mission.

Cette dernière  a mis en évidence le fait que la RDC a été très secouée par la baisse des cours des matières et que cela avait une incidence négative sur les recettes de l’État et a débouché sur une situation critique connue par tous. Et en même temps, la mission du FMI avait félicité le gouvernement pour les efforts consentis afin de contenir la dépréciation du franc congolais et le niveau d’inflation à la même période, fin juin.

Le gouvernement et le FMI avaient convenu que la RDC, en tant que membre de la communauté financière internationale, a droit à accéder à des ressources dans le cadre des facilités des crédits rapides. Des négociations se poursuivent. Il y a une mission prévue en ce mois de septembre. Mais pour des raisons de calendrier, l’échéance a été décalée.

Propos recueillis par DOLAY TSHIMANGA