Il faut auditer la CENI

La Commission électorale nationale indépendante serait-elle devenue une « machine à sous facile » qui échappe à tout contrôle ? Un flou artistique entourerait la gestion des fonds alloués à la centrale électorale. Des voix s’élèvent pour exiger un audit externe. Selon toute vraisemblance, il y a un cadavre dans le placard de la CENI.  

Après le 1ER Ministre, Bruno Aubert Tshibala Nzenzhe, dont il réclame la tête, le député MP, Henri Thomas Lokondo Yoka, a désormais dans son viseur le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Corneille Naanga. Comme le député Lokondo, des politiques autant que des activistes de la société civile demandent à gratter sur sa gestion des fonds alloués à son organisme pour l’organisation des élections générales en République démocratique du Congo. Rien à faire, Corneille Naanga est sur le gril, contraint de « s’expliquer sur ses engagements financiers et le coût global et définitif des élections ».

Bref, on exige un audit externe, à mi-chemin. Il semble que le président de la CENI qui est comptable devant l’Assemblée nationale sur gestion, ne peut et ne doit le faire qu’à la fin de l’exercice de sa mission. Dans tous les cas, son entourage laisse entendre qu’il n’est pas formellement opposé à l’idée d’un audit de ses comptes. Il n’a rien à dissimuler, dit-on. Pourtant, les chiffres parlent, alors que rien n’est encore acquis, quant à l’organisation des élections.

Interrogations et inquiétudes

La gestion financière de la CENI, telle qu’établie à fin octobre 2017, par le ministère du Budget suscite interrogations et inquiétudes sur fond de suspicion. Que de dépassements gargantuesques ! En un mot, jusque-là, le gros des dépenses effectuées de la CENI porte sur des « à-côtés » plutôt que sur « l’essentiel », c’est-à-dire les élections. Les prévisions annuelles sont arrêtées à 15 milliards de francs, et les dépenses de fonctionnement courant à 144.3 %, à fin octobre 2017.  La centrale électorale a, en effet, absorbé plus de 21 milliards de francs (21 653 895 000 FC).

Dolce vita

À l’analyse des chiffres, la CENI s’illustre davantage comme « une machine à sous ». Jugez-en plutôt : dans la rubrique « Interventions économiques, sociales, culturelles et scientifiques », le budget voté est de 311 364 235 francs. L’exécution à fin octobre est de 3 720 000 000 francs, tandis que le taux de décaissement est de 1194.7 %. Selon des sources du ministère du Budget, la rubrique porte, en effet, sur « un appui à la CENI ». En quoi et pourquoi ? Les sources donnent leur langue au chat.

En ce qui concerne la rubrique « Rémunérations », le budget voté est d’environ 26 milliards de francs (25 978 746 809 FC). Et dans le document du ministère du Budget intitulé « Exposé général du projet de loi de finances de l’exercice 2017. Document n°2), plus précisément dans la rubrique « Principales actions de la politique salariale pour l’exercice 2017 (en FC) », il est prévu un complément de rémunération de la CENI pour les six derniers mois de 2017, avec une enveloppe mensuelle de 2 166 666 667 francs, soit plus de 13 milliards de francs dans l’ensemble. La centrale électorale aligne des effectifs qui rappellent la Fonction publique. Plus de 2 600 agents ! Combien seront-ils à la période proprement dite des élections ? Tant pis pour personne. Corneille Naanga, semble-t-il, n’a de compte à rendre à personne.

Tout sauf les élections ? 

Dans l’entre-temps, le financement du cycle électoral a pratiquement été gelé. Le gouvernement finance, en effet, les opérations électorales par des dépenses exceptionnelles sur ressources propres. Voté à 1 110 899 527 729 FC dans le budget 2017, le gouvernement Tshibala n’a versé que 42 751 714 000 FC à la CENI à fin octobre, soit un taux de décaissement de 3.8 %. « Ce financement modique du cycle électoral démontre à suffisance, si besoin est, que le gouvernement avait déjà maudit et craché sur l’Accord politique du 31 décembre 2016 », fulmine un opposant du RASSOP. D’après lui, cet accord projetait les élections, particulièrement la présidentielle et les législatives, à fin 2017. Et pourtant, jamais l’État n’a eu d’opportunités de financer le processus électoral comme courant 2017.

Évoquant, en effet, la question de l’environnement économique national en 2017, dans la loi de finances publiques 2018 présentée « avec succès » par Bruno Tshibala à l’Assemblée nationale, le ministère du Budget note que « l’année 2017 a été marquée sur le plan interne par la reprise de la croissance économique du fait de la remontée des cours des produits miniers et énergétiques sur le marché international ». Et que « les cours des principaux produits d’exportation intéressant l’économie congolaise se sont inscrits à la hausse en 2017 comparativement à l’année 2016.  En effet le cours moyen du cuivre s’est situé autour de la moyenne de 6 084,67 dollars la tonne métrique en 2017, soit une hausse de 25,4 %, une année auparavant. Le cours moyen  du cobalt s’est établi à 55 464,52 dollar la tonne contre 30573,75 dollars la tonne en 2017, soit une hausse de 81,4 %. Le cours du baril du pétrole a oscillé autour d’une moyenne de  53,98 dollars en 2017 contre 43,57 dollars en 2016, soit un  accroissement de 23,9 %. (…). Les projections à fin 2017 laissent présager que les réserves internationales pourraient  atteindre 777,35 millions de dollars, représentant 3,4 semaines d’importation des biens et services, grâce aux entrées de devises provenant des recettes d’exportation des miniers et pétroliers ».

Hélas. Le processus électoral a été mieux financé, à des moments difficiles, où le fisc ne perçoit pas grand-chose, c’est-à-dire au premier trimestre 2017, avec plus de 55.8 milliards de francs, soit 60 millions de dollars, des dépenses exceptionnelles effectuées avec des crédits provisoires par le 1ER Ministre, Samy Badibanga Ntita. Et à fin mai, quand il quittait la primature, la CENI avait également reçu 152 milliards de francs. Comme Henri-Thomas Lokondo,  l’ancien chef de file du groupe parlementaire UDPS & Alliés soutient qu’« on ne peut pas laisser l’intégralité de l’organisation des élections, colonne vertébrale de la démocratie à des technocrates sans qu’ils répondent de leur responsabilité devant le Parlement ».