Jeûner, régime extrême ou vraie thérapie

L’abstinence alimentaire fait de plus en plus d’adeptes chez les Français. Au-delà de la perte de poids, cette pratique serait bénéfique pour la santé. La science tente de le prouver.

Il permettrait de combattre le diabète, d’améliorer notre santé cardiaque, de débarrasser l’organisme de ses toxines, de booster nos capacités mentales et préviendrait même l’apparition des premiers signes de maladies neurodégénératives … Les bienfaits supposés du jeûne séduisent de plus en plus d’adeptes (au moins 5.000 en France) et la science presse le pas pour apporter des preuves irréfutables de son efficacité thérapeutique.

La question a pris un nouveau tour au début de l’année avec la publication de la plus grande étude jamais réalisée sur le sujet. Le docteur Françoise Wilhelmi et son équipe de la clinique Buchinger, qui jouit d’une longue réputation en la matière au bord du lac de Constance, ont observé 1.422 sujets qui ont suivi son programme d’abstinence sur des périodes comprises entre 5 et 20 jours.

Relayés en ligne par la revue Plos One , les résultats ont montré une nette amélioration du métabolisme  pour tous les patients, la perte de poids s’est accompagnée d’une réduction de la pression artérielle mais aussi des taux de cholestérol et de lipides sanguins. Mais surtout, le jeûne a amélioré le sentiment de mieux-être de 84  des sujets souffrant d’une maladie grave, telle que le diabète de type 2, l’arthrite et la stéatose hépatique caractérisée par des excès de graisse dans le foie. « Le jeûne a conduit à une amélioration du bien-être émotionnel et physique et à une amélioration des facteurs de risque cardiovasculaires et généraux pertinents , résume l’auteure.

Le jeûne accélère le métabolisme

Une autre étude publiée dans « Nature par le biologiste Takayuki Teruya, de l’Institut des sciences et technologies d’Okinawa, est venue enrichir cette observation. Elle montre que le jeûne accélère le métabolisme et entraîne la libération de molécules antioxydantes. Le travail a été mené sur quatre volontaires qui se sont abstenus de manger entre 34 à 58 heures. Leur analyse sanguine a mis en lumière une augmentation importante de la concentration de certaines molécules, les métabolites habituellement formés au cours du processus de transformation des nutriments.

Chez le jeûneur le plus tenace, le taux de 44 des 130 métabolites connus s’est significativement accru (dans des proportions de 1,5 à 60 fois…), dont, parmi eux, un certain nombre décline généralement avec l’âge. C’est le cas, par exemple, de la leucine, de l’isoleucine et de l’acide ophtalmique connus pour maintenir les muscles en bonne santé. « L’antioxydation constitue la première réaction au jeûne et suggère la possibilité d’un effet rajeunissant de cette pratique , allègue le biologiste.

Un mécanisme en trois phases

On sait que le jeûne force le métabolisme. « Du temps des premiers hommes, le jeûne était dicté par les conditions de vie. L’Homo sapiens a donc développé un processus complexe pour survivre à ces périodes de disette , explique  le naturopathe Alain Huot , auteur d’un ouvrage de référence récent sur le sujet (« Le Jeûne – Une voie royale pour la santé du corps et de l’esprit , éditions Dangles, 2019). Pour s’adapter, notre corps peut s’appuyer sur un métabolisme bien rodé qui s’exprime en trois phases.

Dans un premier temps, le corps continue comme à son habitude de brûler le glucose qui circule dans le sang. L’autonomie offerte est d’une vingtaine d’heures. Passée cette période, notre corps doit chercher du carburant par d’autres voies. Un mécanisme de néoglucogénèse se met à l’oeuvre pour créer du sucre en transformant les protéines présentes dans les muscles en acides aminés pouvant être transformés en glucose.

Pendant cette phase transitoire, le corps consomme chaque jour 200 grammes de protéines qui fournissent 120 grammes de glucose pour couvrir les besoins énergétiques du cerveau. Mais cette voie peut rapidement nuire au fonctionnement du muscle cardiaque. Un troisième mécanisme se met donc en place  la cétose. Ce nouveau raffinage corporel est actionné par une hormone particulière, le glucagon, qui active une enzyme, la lipase. Cette dernière est capable de dégrader les triglycérides – forme sous laquelle est stockée la graisse – en glycérol et en trois chaînes d’acides gras transformés en cétone. 

 Après quatre jours de jeûne, environ 75  de l’énergie consommée par le cerveau provient de ce supercarburant qui aiguise la vigilance et les capacités cognitives, plongeant parfois les jeûneurs dans un état quasi-mystique. Cette modification métabolique entraîne d’autres effets en cascade  le taux d’insuline baisse, permettant de débarrasser les reins des excès de sel et d’eau, l’adrénaline augmente ainsi que l’hormone de croissance, laquelle double quasiment après cinq jours de jeûne.

« Intox de la détox »

Ces bénéfices ne parviennent pas à convaincre les détracteurs de la pratique.  Dans un communiqué , l’Association française des diététiciens nutritionnistes dénonçait récemment « l’intox de la détox  et mettait en garde contre les dangers et l’inutilité de la restriction alimentaire. « Il faut revenir au bon sens. Le jeûne est dangereux pour l’organisme qui a besoin de toute l’énergie et des nutriments fournis par l’alimentation , explique sa commission scientifique.

Déficit du système immunitaire, déficience en vitamines et nutriments, problèmes hépatiques… Dans son évaluation de l’efficacité de la pratique du jeûne, qui passe en revue la littérature médicale scientifique sur le sujet, l’Inserm ne dit pas autre chose. « Les études cliniques sur l’homme sont trop peu nombreuses et de faible qualité pour conclure , estimait alors sa principale rapporteuse, Juliette Gueguen.

Cette prudence a été adoptée par l’Institut national du cancer confronté à des allégations rapportées par  une étude scientifique américaine du professeur Changhan Lee sur les bénéfices supposés du jeûne en complément d’un traitement de chimiothérapie.  Un article publié dans la revue « BMC Cancer faisait le point des travaux en reconnaissant « une intuition prometteuse . L’Institut maintient aujourd’hui ses conseils de prudence.

Perdre du poids dans les cinq premières années suivant le diagnostic d’un diabète de type 2 offre plus de chances de rémission de la maladie. Pour parvenir à cette conclusion, Hajira Dambha-Miller et ses collègues de l’université de Cambridge ont étudié une cohorte de 867 patients de 40 à 69 ans fraîchement diagnostiqués. Après cinq ans, 30  étaient guéris et parmi eux, ceux qui avaient perdu 10  ou plus de leur poids initial étaient deux fois plus nombreux. 

0« Notre étude montre que cette maladie chronique, qui peut entraîner d’importantes complications, peut être contrôlée et même inversée sans effort trop important , explique la chercheuse. Une autre étude vise maintenant à développer un programme d’éducation nutritionnel adapté. D’après l’OMS qui parle d’épidémie, le nombre de diabétiques de type 2 est passé de 108 à 425 millions depuis les années 1980. Pour simplifier leur vie alors qu’ils doivent quotidiennement s’injecter de l’insuline, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology ont imaginé une petite capsule pourvue d’une aiguille contenant le produit et revêtue d’un polymère résistant à l’environnement acide de l’estomac. Quand la capsule atteint l’intestin grêle, le Ph plus élevé déclenche son ouverture et l’injection du produit dans la paroi.

Différents types de jeûne

Jeûne intermittent. Il consisteà cesser de s’alimenter peu de temps de façon discontinue. Par exemple, 16 heures entre deux repas, ou un jour de jeûne par semaine. Les adeptes parlent d’une hygiène de vie qui laisse le temps à l’organisme de se régénérer.

Jeûne court. On se prive de nourriture entre un et trois jours. Popularisé par les travaux du gérontologue Valter Longo,il aurait pour effet d’accélérer le renouvellement cellulaire et de booster l’immunité.

Jeûne classique. Il dure de 7 à 14 jours, idéalement une fois par an pendant les intersaisons. Les études scientifiques soulignent que les meilleurs résultats métaboliques sont obtenus au bout de 10 jours.

Jeûne long. Certains poussent l’abstinence au-delà de deux semaines. L’intérêt est principalement pondéral. Le record du monde officiellement enregistré est détenu par un Ecossais qui a jeûné 382 jours et perdu 125 kg