Jusqu’où les banques vont subir les contraintes et les exigences de conformité ?

u mois de mai, Business et Finances consacrait la couverture de son édition 224 à la relation financière, sous la manchette « Les banques vont-elles craquer ? ». Les dirigeants de l’ACB reviennent d’une mission des trois jours (10-12 juin) à Washington. Le compte-rendu de ce voyage montre à suffisance que la situation est vraiment préoccupante pour le système financier national.

QUELQUE chose ne va pas. Dans les colonnes de l’édition 224 datée de mai 2019, nous écrivions : « L’année 2019 est un tournant pour les établissements bancaires dans notre pays. Comme si les difficultés en interne ne suffisaient pas, voilà que des institutions internationales décident de couper tout lien d’affaires avec eux parce que n’étant pas ou plus suffisamment outillés pour la surveillance prudentielle ». Un directeur à la retraite de la banque des banques nous faisait comprendre : « Si la Banque centrale du Congo (BCC) s’inquiète du resserrement des correspondants bancaires à l’international pour les institutions financières nationales, c’est que la situation devient préoccupante pour l’ensemble du système financier national. » 

Au mois de février, l’Association congolaise des banques (ACB) a fait part de ses craintes par l’entremise de son président Yves Cuypers, le même, directeur du comité de direction de la Banque Commerciale Du Congo (BCDC). Voyait-il déjà venir le danger, quand il a parlé des trois grands défis des banques en 2019 lors du traditionnel dîner des banquiers ? 

Notes de voyage

Du 10 au 12 juin dernier, les dirigeants de l’Association congolaise des banques (ACB) ont effectué une mission de travail à Washington et à New York aux États-Unis. D’habitude, les banquiers ne parlent pas. Mais quand ils décident de parler, c’est pour dire quelque chose. Mercredi 3 juillet, Yves Cuypers a réuni la presse pour faire le point du voyage. Il avait à ses côtés Célestin Tshibwabwa, le secrétaire général de l’ACB ; Olivier Meisenberg, le directeur général de TMB ; et Willy Mulamba, le directeur général de Citi/RDC.

La mission dépêchée aux États-Unis, a-t-il dit, était en lien avec la problématique de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme dans le monde. Les dirigeants de l’ACB y ont rencontré des responsables des trois départements : Commerce, département d’État, Trésor, ainsi que ceux de la Citi en charge des sanctions internationales. Pour rappel, cette visite de travail prolonge la première initiée par l’ACB en 2017, a précisé le président de l’ACB. Qui a indiqué que cette initiative a été « unanimement appréciée » par tous les responsables rencontrés parce qu’elle avait un « caractère exceptionnel ».

Des discussions, les membres de la mission ont retenu « la volonté d’accompagner le gouvernement congolais dans la mise en place des réformes qui favorisent le développement de l’État et la bonne gouvernance et à apporter à l’ACB une assistance technique adéquate ». Le président de l’ACB a souligné que les représentants des départements d’État et du Trésor ont porté « un regard très optimiste » sur la situation de la République démocratique du Congo au lendemain des élections de décembre 2018. D’où la volonté d’accompagner le nouveau président de la République et les instances dirigeantes dans la mise en œuvre des réformes nécessaires à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, mais aussi à la lutte contre la corruption.

Devoir à domicile

Les autorités américaines ont recommandé à l’ACB de se mettre en conformité avec les standards du système financier international mais surtout de renforcer les dispositifs de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Les dirigeants de l’ACB se sont fait entendre : un, renforcer la fonction compliance au sein des institutions financières. Deux, mettre en place des dispositifs efficaces en matière de sanctions et de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, ainsi que contre la corruption. Trois, faire auditer régulièrement les programmes de conformité des banques. 

Quatre, sensibiliser les autorités congolaises à renforcer le cadre légal et donner aux institutions en charge de la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la corruption les moyens de leurs objectifs. Cinq, demander à chaque banque de relever le niveau de son dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux. Et six, demander aux institutions financières congolaises de mettre en place un contrôle et un suivi rigoureux des comptes des personnes politiquement exposées.

Pour rappel, les sanctions américaines frappant des personnalités politiques et militaires congolaises, proches de l’ancien président de la République, ont laissé des traces. Plusieurs banques internationales, notamment américaines et européennes (Société générale, BNP Paribas, Deutch Bank) ainsi que des institutions financières internationales ont rompu leurs transactions avec la RDC car le risque pays est, selon elles, trop élevé concernant la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Par conséquent, seule, la Citibank joue désormais le rôle de banque correspondante pour tout le système financier congolais. Willy Mulamba a démenti la rumeur selon laquelle la Citi s’apprêterait à lever le pied de la RDC. « La Citibank est là pour accompagner le secteur bancaire et la RDC à renforcer le dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. C’est d’ailleurs pour ça que la Citi a accepté d’assister l’Association congolaise des banques et de l’introduire auprès de toutes les autorités que nous avons rencontrées à Washington DC et à New York », a-t-il lancé. 

Et Yves Cuypers de renchérir : « Nos interlocuteurs nous ont confirmé que leur objectif n’était pas d’obtenir le derisking (je ne prends pas le risque) total en République démocratique du Congo pour accentuer l’isolement du pays et l’opacité des transactions financières, mais plutôt de nous accompagner dans cette lutte par une assistance technique, la formation et l’échange d’expériences. »

Les dirigeants de l’ACB ont pris l’engagement de renforcer le dispositif de lutte contre les flux illicites. Mais aussi de mutualiser les efforts avec le gouvernement et la Banque centrale du Congo sur cette problématique. « L’ACB entend poursuivre les échanges fructueux avec les autorités nationales et internationales et s’engage résolument à mettre en œuvre les mesures d’amélioration de lutte aux fins de favoriser la bonne gouvernance, la croissance économique et l’inclusion financière », a déclaré le président de l’ACB. Il va de soi que cette collaboration va s’étendre à la Cellule nationale des renseignements financiers (CENAREF) pour préserver le système financier national.

Le syndicat des banques compte notamment sensibiliser les autorités du pays à prendre conscience des risques liés à la problématique. Dans l’hypothèse où la Citi décidait de partir, que deviendraient le secteur bancaire et l’économie nationale ? « Nous sommes un secteur stratégique et nous devons être protégés », a fait remarquer le directeur général de Citi/RDC. Le système bancaire congolais utilise le dollar à plus de 85% dans l’économie. 

Dans cette perspective, l’ACB envisage la réforme de ses statuts. « D’ici à la fin de l’année, nous voulons être une association engageant ses membres à respecter les décisions, au risque d’être sanctionnés, voire exclus. Cela ne peut se faire évidemment qu’avec la Banque centrale du Congo », a annoncé Yves Cuypers. D’après lui, les banques doivent s’investir dans la formation du personnel, l’acquisition des logiciels nécessaires pour répondre aux exigences de conformité au système financier international. « Nous appliquons les sanctions internationales, la Banque centrale du Congo le sait, le ministre des Finances et celui de la Justice le savent. Nous leur rendons compte comme à ceux qui ont frappé certaines entités de leurs propres sanctions », a-t-il ajouté. 

Et de poursuivre : « La RDC est juste une victime collatérale. Nous subissons une politique de renforcement des contraintes et des exigences en matière de conformité. Personne n’a dit que c’est une banque congolaise qui a fait ceci et par conséquent telle banque internationale a rompu sa coopération avec la RDC », a-t-il souligné.