La Chine peut-elle tuer le bitcoin ?

Un durcissement de la position des autorités chinoises vis-à-vis du bitcoin peut déstabiliser la cryptomonnaie. Un vrai risque alors que la Pékin reste très méfiant.

 

Alors que le bitcoin avait brièvement franchi le cap symbolique des 20.000 dollars fin 2017, le début d’année de 2018 a été marqué par un effondrement du prix qui se situait le 31 janvier autour des 10.000 dollars. Cette forte baisse du bitcoin est liée notamment à la volonté du régulateur sud-coréen d’encadrer les cryptomonnaies, mais également à un durcissement de la position des régulateurs chinois vis-à-vis des plates-formes d’échange et des mineurs (acteurs assurant la validation des transactions du bitcoin).

La Chine joue en effet en rôle central dans l’univers du bitcoin : en abritant plus de la moitié du «hash rate» (capacité de traitement des transactions) du bitcoin et en présentant une forte demande pour cette nouvelle classe d’actif d’investissement, au rendement jusqu’à présent élevé.

Le pays a démontré une première fois en septembre 2017 qu’il était capable de déstabiliser le marché du bitcoin avec l’interdiction des levées de fonds en cryptomonnaies (les fameuses initial coin offering,ICO) et la fermeture progressive des plates-formes d’échange domestiques entraînant une baisse de 24 % du cours de la cryptomonnaie en dix jours. Le rôle central de la Chine dans le marché du bitcoin peut légitimement nous amener à nous interroger sur les capacités des autorités chinoises à tuer le bitcoin.

Un rôle central pour la Chine

La Chine abriterait fin 2017 près de 58 % (Global Cryptoccurrency Benchmarking Study) de la puissance de minage ou capacité à procéder les transactions du bitcoin, loin devant les États-Unis avec seulement 16 %. Le bitcoin utilise la technologie blockchain, afin d’assurer le stockage et la transmission d’informations, sécurisées, sans organe central de contrôle. Les transactions de cryptomonnaies sont regroupées au sein de blocs, validés par la résolution de problèmes cryptographiques par des mineurs rémunérés en Bitcoins pour la mise à disposition de leur capacité de calcul.

Dans un marché de plus en plus concurrentiel nécessitant l’utilisation de matériel spécialisé, les mineurs chinois disposaient jusqu’alors d’avantages importants : un coût faible de l’électricité ; la disponibilité de matériel informatique spécialisé et performant ; la rapidité de la connexion internet pour recevoir et transmettre des données.

L’accès à une électricité très bon marché est devenu possible en Chine grâce au prix de l’électricité administré à un niveau faible par et une production électrique issue de la combustion du charbon (64 %) ou de l’énergie hydraulique (9 %).

Le second avantage des mineurs chinois est leur accès aux puces informatiques spécialisées fournies principalement par le fabricant et mineur chinois, Bitmain. Enfin, la rapidité de la connexion internet a été favorisée par les investissements en infrastructures importants, nécessaires pour faire face à la demande de la plus grande population d’utilisateurs d’internet dans le monde. Ces caractéristiques confèrent aux mineurs chinois un avantage avéré dans un environnement de plus en plus compétitif, nécessitant des investissements significatifs en matériel spécialisé.

Le bitcoin est une classe d’actif attractive et accessible pour les ménages chinois. Ces derniers subissent de plein fouet la répression financière du système financier, canalisant leur épargne vers les entreprises d’État à travers le système bancaire quasi intégralement étatique au détriment du rendement de leur épargne, rémunérée à des taux d’intérêt réels faibles.

En outre, ces ménages disposent d’un choix très restreint d’actif d’investissement en raison du développement restreint des marchés financiers, d’un accès limité des investisseurs individuels à certains marchés financiers et du contrôle sur les mouvements de capitaux limitant l’accès à des actifs d’investissement internationaux. Enfin, contrairement à l’investissement immobilier, le placement de petits montants en bitcoin est possible.

Méfiance de Pékin

Les autorités chinoises restent méfiantes vis-à-vis du bitcoin. Cette méfiance pourrait tout d’abord s’expliquer par la nature décentralisée et anonyme du bitcoin, alors que le gouvernement est engagé depuis quelques années dans une campagne anti-corruption sans précédent. Par conception, cette cryptomonnaies est difficilement contrôlable par une autorité centrale.

Par ailleurs, le bitcoin est anonyme dans la mesure où aucune information ne permet d’identifier le propriétaire d’un portefeuille, compte permettant de stocker du bitcoin. Les autorités chinoises avaient dans un premier temps imposé une identification obligatoire pour accéder aux plates-formes d’échange de cryptomonnaies domestiques avant de demander tout simplement la fermeture de ces plateformes. De plus, même si les transferts restent traçables dans la blockchain, une transaction peut être facilement rendue non-traçable via une conversion vers des cryptomonnaies comme le Monero ou le Zcash.

La méfiance des autorités vis-à-vis du bitcoin s’explique également par leur volonté de limiter les sorties de capitaux afin d’assurer la stabilité financière. Les transferts de bitcoins au gré à gré ou sur des Bourses étrangères peuvent servir à contourner les restrictions sur les sorties de capitaux, limitées pour les individus à 50.000 CNY (6.400 euros) par an.

Les autorités chinoises sont encore réticentes à ouvrir en intégralité le compte financier du pays et ne sont prêtes à autoriser qu’une ouverture graduelle. Elles craignent en effet qu’une ouverture brutale du compte financier puisse précipiter les sorties de capitaux et menacer la stabilité financière, alors même que la Fed poursuit la normalisation de ses taux d’intérêt, ce qui renforcerait l’attractivité des actifs libellés en dollar.

Le bitcoin peut menacer également la stabilité sociale en cas de forte chute du prix de l’actif. Dans la mesure où les mouvements spéculatifs sur cette classe d’actif restent de grande ampleur, les investisseurs avec une forte exposition au Bitcoin peuvent enregistrer des pertes significatives. Les risques pour la stabilité sociale, priorité du Parti communiste chinois, sont alors loin d’être négligeables.

Ces raisons ont poussé les autorités chinoises à renforcer les restrictions sur les transactions de bitcoin pour les investisseurs chinois et à rendre plus difficile l’activité de minage du bitcoin, sans toutefois pour le moment l’interdire. Les autorités restent ainsi partagées entre la méfiance vis-à-vis du Bitcoin et des autres cryptomonnaies et la volonté de ne pas inhiber l’innovation autour des technologies blockchain, secteur où les ambitions nationales sont clairement affichées dans le treizième plan quinquennal (2016-2020).

Résilience du bitcoin

En réaction à une régulation de plus en plus contraignante, un certain nombre de mineurs se sont déjà préparés à relocaliser leur capacité de minage hors de Chine. À l’instar du leader du secteur, Bitmain, qui vient de relocaliser son siège à Singapour et d’installer des capacités de minage aux États-Unis et au Canada, de nombreux mineurs chinois étudient ou ont déjà procédé au déménagement de leur capacité de minage dans un autre pays comme le Vietnam, le Laos, la Thaïlande, la Russie ou les États-Unis.

La fermeture des plates-formes d’échange domestiques en septembre 2017 avait en effet mis ces acteurs en incapacité de convertir en yuan les bitcoins minés afin d’assurer les dépenses d’opération liées à l’activité de minage – les marchés de gré à gré n’étant pas assez liquides à l’heure actuelle.

Les nouvelles restrictions sur le prix de l’électricité et l’usage des terrains en lien avec l’activité de minage pousseraient ces mineurs à précipiter leur départ. Ces derniers pourraient déplacer leur capacité de minage en deux ou trois mois. L’effet des nouvelles réglementations est visible sur les marchés d’occasion submergés par les mineurs chinois cherchant à revendre leur matériel de minage.

Le changement de position graduel des autorités chinoises renforce en réalité la résilience du bitcoin. Des analystes avaient auparavant pointé le risque d’une forte concentration en Chine du minage du bitcoin. En théorie, si un mineur arrivait à fournir plus de 50 % de la capacité de minage, celui-ci pourrait valider à lui seul les transactions de bitcoin et contrôler l’ensemble de la blockchain.

Si les mineurs chinois sont loin de représenter un groupe d’acteurs uniformes capable de collusion, une nationalisation des capacités de minage pourrait en revanche menacer la pérennité du Bitcoin en conférant toutes les capacités de minage aux autorités chinoises et en mettant fin à la décentralisation de la blockchain. En incitant une partie des mineurs chinois à se relocaliser à l’étranger, les restrictions graduelles autour des cryptomonnaies en Chine ont permis de redistribuer plus équitablement les capacités de minage entre pays et d’éloigner l’horizon d’un tel scénario.

Benjamin Pan est économiste de BSI Economics