La création d’un marché intégré de l’énergie est un impératif économique

« Si l’Afrique sort des sentiers battus, grâce à une identification précoce et saine de ses particularités énergétiques, elle pourra peut-être, demain, avec l’avènement de l’hydrogène comme vecteur d’énergie, jouer un rôle analogue à celui des pays arabes ou pétroliers en matière de production ou de fourniture d’énergie », foi de Cheik Anta Diop.

LA technologie de l’hydrogène comme vecteur d’énergie n’est pas évidemment si simple, et si le continent africain veut jouer le rôle de pionnier dans ce domaine, c’est dès maintenant qu’il doit s’y prendre en créant les structures de recherche et de formation appropriées. Certains grands pays africains, comme le Nigeria, le Zaïre (RDC) et même d’autres, peuvent créer des départements spécialisés dans leurs enseignements supérieurs pour la maîtrise de cette technologie. 

Telle école polytechnique de tel pays africain pourrait déjà s’organiser pour gérer dans cinq ans une petite centrale solaire à cycle thermodynamique, au bord de la mer, afin de se familiariser avec les techniques de production des deux variétés d’hydrogènes (lourd et léger) par électrolyse de l’eau de mer et fractionnement isotopique, de liquéfaction, de stockage, de transport d’utilisation dans de nouveaux moteurs d’invention locale pour propulser de petites fusées expérimentales, de petits engins divers : automobiles, avions, fût-ce au stade des modèles réduits d’abord.

L’Afrique, à elle seule, pourrait fournir le deuterium nécessaire au fonctionnement de tous les réacteurs thermonucléaires de la planète, lorsque la fusion sera devenue opérationnelle. Mais dans ce dernier cas, est-ce que l’exploitation d’une telle énergie sera interdite aux pays en voie de développement ? Cheik Anta Diop ne le croyait pas, car si les études au niveau des prototypes sont onéreuses, les modèles commercialisables de réacteurs thermonucléaires avec configuration Tokamak seront vraisemblablement d’un prix abordable pour nos pays, à condition qu’au préalable soient formées au niveau des départements des équipes capables de prendre en charge de telles machines après un minimum d’adaptation. 

Autant il devenait réservé lorsqu’il s’agit du nucléaire même des surregénérateurs (ou breeders, piles couveuses) qui produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment, autant il pensait que le choix de l’Afrique pour le thermonucléaire de demain doit être ferme dès à présent. En effet, une centrale nucléaire n’est encombrante qu’une fois hors d’usage. Les matériaux restent contaminés pour une durée géologique de 24 000 à 100 000 ans et dans l’état actuel de la technique, on ne connaît aucun procédé satisfaisant pour se débarrasser de ces déchets. C’est pour cela aussi que l’Afrique devra refuser que l’on vienne les ensevelir dans son sol, moyennant quelques malheureux argents.

Par contre, la radioactivité induite de matériaux des futures centrales thermonucléaires sera incomparablement plus réduite, et on pourra s’ingénier à utiliser des matériaux ne donnant naissance qu’à des éléments artificiels de courtes périodes en général. Bien sûr, la pollution thermique subsiste, mais, est de beaucoup moins grave. 

Intégration économique

Il suffirait de compléter ce bref tour d’horizon par la liste des principales matières premières qui vont disparaître presque complètement de la surface des continents dans deux générations, comme le cuivre, l’aluminium, etc., pour saisir, de façon aiguë, les particularités de l’ère cosmique où nous sommes entrés sans le savoir toujours. Des petits pays qui ressemblent à des Koweït africains seront des caisses vides dans moins de cinquante ans. Seule une organisation continentale, ou régionale, réalisant l’intégration de nos économies à une échelle suffisante, pourra les sauver de l’effacement.

Des organismes politiques coordinateurs sont nécessaires à l’échelle continentale et régionale en vue de créer à temps des économies complémentaires non concurrentes. Il y a lieu aussi de dire un mot sur l’incidence des micro-processeurs, de la robotisation de l’industrie et de l’informatisation de la vie sociale sur les formes classiques d’industrialisation : qu’est-ce qui va changer, qu’est-ce qui subsistera ? Certes, l’information est équivalente à libération d’énergie, mais l’usage systématique de l’information conduira à une économie insoupçonnée de travail qui peut conduire à un nouveau type de rapports sociaux et de civilisation.

La percée technologique des micro-processeurs appellera à l’existence de nouvelles élites de technocrates qui pourraient ouvrir de nouvelles perspectives aux petits pays en voie de développement, mais le problème énergétique fondamental ne changera pas. En attendant l’éclosion de cette grande ère de la faisabilité de la réaction thermonucléaire, l’opérationnalité des centrales solaires, de l’avènement de l’hydrogène comme vecteur d’énergie, et du règne de la télématique ; en attendant cette grande ère et en s’y préparant activement, il faut savoir faire flèche de tout bois, car aujourd’hui, les problèmes de l’heure sont l’autosuffisance alimentaire, la santé pour tous.

Il est donc impérieux de former des techniciens pour la réalisation de ces tâches ; des ingénieurs et techniciens qui maîtrisent la construction des micros-centrales, les techniciens bioénergétiques pour l’industrialisation rurale ; les problèmes de santé primaires, l’usage décentralisé du solaire et des éoliennes, etc. Il doit être clair que le Sud ne recherche pas à se retrancher dans un ghetto technique pour essayer de se suffire à lui-même ; ce serait le meilleur moyen de s’asphyxier. Au contraire, il veut simplement dans une première phase, par l’analyse de ses particularités, identifier clairement ses besoins vitaux et ensuite demander la solidarité agissante du Nord pour atteindre les objectifs fixés et qui lui paraissent valables.