La culture, ce parent pauvre

En dépit des louables efforts consentis jusqu’à ce jour par les acteurs culturels en faveur de leur secteur, rien n’indique une réelle prise en compte par les pouvoirs publics.

Un peintre travaillant dans un atelier.
Un peintre travaillant dans un atelier.

Le secteur de la culture en République démocratique du Congo peine à faire son chemin. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Au regard  des réalités sur le terrain, il y a fort à parier que ce secteur est abandonné entre les mains des privés, notamment des expatriés. Ces deux catégories d’intervenants dans le monde culturel congolais consentent beaucoup d’efforts louables pour oxygéner  tant soit peu ce que l’on considère comme l’âme du peuple du fait qu’elle donne une orientation à la vie individuelle et collective. D’après Jean-Marie Ngaki, chef des travaux à l’Institut national des Arts (INA), il faudrait faire attention lorsqu’il faut apprécier la culture congolaise pour ne pas tomber dans la spéculation. Pour cet enseignant, si l’on considère l’aspect de l’encadrement ou la prise en charge de la culture congolaise par l’État, il apparaît que cette culture se porte très mal. Cependant, prise sous l’angle de la créativité, il est juste de dire que la culture congolaise se porte bien. Jean-Marie Ngaki soutient que malgré le manque de moyens contre lequel ils sont butés, les opérateurs culturels ne manquent pas d‘idées pour trouver des fonds nécessaires à la promotion de la culture nationale.

Démission de l’État

En créant l’INA en 1977 et le Fonds de promotion culturelle (FPC) en 1987, l’État congolais commençait à prendre conscience de l’importance de la culture dans la vie nationale. Cependant, cet élan national s’est effrité avec le temps. L’État semble avoir démissionné de ses obligations de soutien et de promotion de la culture. Les opérateurs culturels s’en plaignent. Sylvain Neyanga, peintre à la galerie des arts du Centre culturel Boboto, regrette que l’État n’accorde pas de subsides aux différents artistes : peintres, sculpteurs, céramistes… Bien au contraire, « c’est l’État qui, par le truchement de ses services comme le FPC, prélève 5 % sur chaque œuvre vendue et 5 autres pour une taxe instituée par Laurent-Désiré Kabila », constate-t-il.  Neyanga pense que l’État devrait intervenir pour leur faciliter l’approvisionnement en matériaux. « Tous les produits que nous utilisons, à commencer par les couleurs et la toile, sont généralement importés d’Europe. Et comme les gens ne peuvent plus importer facilement les produits européens, nous avons une grande rupture de stocks. Par conséquent, nous sommes obligés d’importer des produits chinois, bien que les couleurs et les toiles soient de moyenne qualité », se plaint-il. En outre, avec le départ des expatriés suite à l’avènement de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) et la rupture des relations internationales après ce qu’on a qualifié de massacre de Lubumbashi, le marché des arts continue à en pâtir. Or, « les Congolais, d’une manière générale, n’ont pas la culture d’acheter les œuvres d’art, pour embellir leurs maisons ou y investir leur argent. Ils préfèrent le commerce ou acheter des bijoux », observe-t-il. Par rapport à cette réalité, le peintre  constate aussi qu’il n’existe pas de structures étatiques où les artistes peuvent exposer leurs œuvres afin de pouvoir vendre. L’État peut organiser des concours de peinture, de céramique, de sculpture, etc, à travers tout le pays et primer les meilleurs artistes ou les meilleures œuvres pour encourager et promouvoir la culture. Ou encore achèter les œuvres d’art pour orner les édifices et tous les lieux publics, Jean-Marie Ngaki renchérit en affirmant que le Congo ne prend pas en charge sa propre culture. L’État ne définit pas d’objectifs en matière de culture et ne donne pas non plus les moyens qu’il faut pour que les opérateurs culturels puissent travailler selon les objectifs qu’il aura définis. Au contraire, les autorités congolaises se contentent simplement de couper les rubans symboliques lors de certains évènements tel le Mois du livre à l’Institut français de Kinshasa. « Quelles sont les orientations proprement congolaises ?  Quelles sont les priorités pour la culture congolaise ? », se demande Ngaki. Les productions culturelles contribuent à l’éducation populaire ; raison pour laquelle le gouvernement doit financer la culture. Aujourd’hui, on se plaint à tout-va de la « mentalité des Congolais », mais qu’est-ce qui peut changer cette mentalité, sinon les productions culturelles. C’est ce que les Congolais consomment pour leur esprit qui peut améliorer leur comportement. Et tant qu’on n’aura pas compris cela, on ne donnera rien à la culture. En RDC, presque toutes les initiatives culturelles sont privées ou personnelles.

Malgré le manque de moyens auquel ils sont butés, les opérateurs culturels ne tarissent pas d‘idées créatives pour trouver des fonds nécessaires pour la promotion de la culture nationale. 

Christelle Tendo, animatrice culturelle et actrice au Théâtre national, relativise ces remarques en reconnaissant certes, que l’État ne fait pas encore ce qu’il devrait faire, mais qu’il faut prendre en compte les moyens disponibles. « En qualité d’actrice au sein du Théâtre national, je suis payée à la fin de chaque mois comme agent de l’État. Et notre employeur, l’État, nous attribue également un budget  de fonctionnement. Ce n’est pas grand-chose par rapport à nos besoins, particulièrement nos productions qui exigent beaucoup de moyens financiers », explique la comédienne. Elle ajoute, en substance  : « Déjà, il y a des compagnies qui produisent des festivals comme les Journées congolaises de théâtre par l’enfant et la jeunesse (JUCOTEJ) organisées chaque année par le Théâtre des Intrigants. Ils invitent des acteurs du Sénégal, du Burkina Faso… Les trois dernières éditions de JUCOTEJ ont été financées par le Fonds de promotion culturelle.»

L’ombre de l’étranger

La démission de l’État dans le secteur culturel laisse le champ libre aux interventions des partenaires traditionnels de la RDC : France, Belgique, Étas-Unis, qui disposent de centres culturels modernes et qui ont mis à la disposition des lecteurs congolais des bibliothèques dignes de ce nom: la Halle de la Gombe, le Centre Wallonie-Bruxelles, le Centre culturel américain, la Maison des savoirs, le Cedesurk, etc. Ces partenaires ne se limitent pas seulement à mettre à la disposition des Congolais ces infrastructures, mais ils soutiennent surtout, généralement en mécènes,  les productions culturelles congolaises. Ce qui constitue une réelle promotion de cette culture. Tout en appréciant cet apport, Neyanga relève que cet apport est un véritable blocage car il oriente souvent les artistes vers des perspectives qui ne sont pas congolaises. Il illustre ses propos par la pièce de théâtre « La Tragédie du roi Christophe » d’Aimé Césaire qui, à son avis, fait la promotion de la culture française. C’est le cas pour le centre Wallonie-Bruxelles qui, s’il doit produire des pièces théâtrales, privilégie des pièces d’auteurs belges pour la promotion de la culture belge, même si elles sont jouées par des Congolais. Lors du festival Yambi organisé en Belgique, cet homme de culture dit avoir été déçu de ne voir aucune œuvre écrite par un auteur congolais alors que la délégation congolaise était censée représenter la culture du pays. Par contre, le Congo-Brazzaville avait présenté « Verre cassé », œuvre du franco-congolais Alain Mabanckou. Mais il s’inscrit en faux contre l’opinion selon laquelle les Occidentaux agissent ainsi pour imposer à l’État leur culture. Pour lui, « la négligence se trouve du côté congolais, car le gouvernement signe avec les différents partenaires des accords avec des clauses de réciprocité. Mais les autorités congolaises n’arrivent pas à activer ces clauses. Nos responsables sont ravis de voir des Français, des Belges ou des Américains pour couper le ruban et ouvrir la cérémonie. Or, insiste-t-il, même si l’État  congolais peut travailler en partenariat avec les autres États, il ne pourra faire prévaloir ses droits qu’en exigeant de travailler dans le sens des objectifs culturels qu’il se serait fixés préalablement».

Le rôle du public  

Tous les intervenants du monde culturel restent optimistes quant à la participation active du public, lequel s’intéresse à sa culture. Christelle Tendo s’explique : « Je ne condamne pas ceux qui n’aiment pas le le théâtre classique, c’est une question de goût, de culture. Les gens s’y intéressent même s’ils sont minoritaires. Le classique ne vise pas tout le monde. Même dans des pays organisés où nous nous sommes produits, le théâtre classique n’envoûte qu’un public bien précis.» Un salarié du FPC soutient mordicus que le Congolais, et particulièrement le Kinois, s’intéresse à la culture en général et particulièrement à la musique. « Quand vous allez aux différentes productions à la Halle de la Gombe ou au centre Wallonie-Bruxelles, vous êtes étonnés de voir du monde, des Congolais surtout. Cela vous permet de jauger l’attachement des Congolais à la culture contrairement, à ce que les mauvaises langues racontent ».   Pour Jean-Marie Ngaki,  « quand vous allez chaque jeudi à la production du Théâtre des Intrigants, vous avez plein de gens qui considèrent que ce groupe est le leur.» Il raconte  que le jour où un bourgmestre de la commune de Bandalungwa avait voulu déloger l’Écurie Maloba de son siège dans l’enceinte de la maison communale, c’est la population de Bandal et des communes environnantes qui a opposé une ferme résistance jusqu’à l’annulation de cette décision. « Si vous considérez une ville comme Kinshasa, il y a dans tous les coins des quartiers au moins une structure qui propose des activités culturelles depuis de longues années et ces maisons n’ont jamais fermé. Pourquoi ? À Ndjili, le Théâtre des Intrigants existe depuis 1982, à Kintambo le Tarmac des Auteurs, à Lemba la Compagnie Marabout Théâtre, depuis 1984, à Bandalungwa, l’Écurie Maloba… Toutes ces structures ne vivent pas seulement du soutien belge ou français, mais du fait que la population participe à leurs activités. Si beaucoup de salles de spectacles, de cinéma et certains bars dans lesquels se produisaient les orchestres ont disparu, il reste néanmoins quelques salles de l’État qui, non seulement, sont dans un état de délabrement avancé, mais qui ne servent plus à leur mission première : la production de spectacles. Aujourd’hui, ces salles (Mongita, dans la commune de Kinshasa, le théâtre du Zoo, à la Gombe, la salle des Anciens combattants dans la commune de Kasa-Vubu) sont louées aux Églises dites de réveil, ainsi qu’à ceux qui veulent organiser des fêtes ou des veillées mortuaires », insiste Jean-Marie Ngaki.

La musique congolaise

La musique est pour la culture ce qu’est le football pour les sports : un art roi.  C’est à juste titre qu’elle remporte un succès indéniable auprès de la population congolaise. Cependant, une critique judicieuse de son contenu est menée par plusieurs analystes dont Philémon Mukendi Tshimuanga, professeur de philosophie et ancien ministre. Dans son livre  Congolais où allons-nous ?  il écrit : « D’une manière générale, la musique congolaise véhicule la vulgarité et la perversité ». Il stigmatise aussi les prétendues valeurs véhiculées par les chansons et que l’on voit sur divers clips : voitures de luxe, villas avec piscine, vêtements importés. Ce qui est mis en exergue flatte, selon lui, la consommation ostentatoire de biens venus d’ailleurs. D’autre part, poursuit Mukendi Tshimanga, « les images venant d’Europe accompagnent la majorité des clips et sollicitent l’imagination des jeunes déjà confrontés à un profond complexe d’infériorité ». Selon lui, « quoique conçue par des Congolais, la musique actuelle entretient le complexe d’infériorité, la dépendance psychologique, culturelle et même économique ».  Pour sa part, Ngaki pense que « pour pouvoir éduquer les gens, on n’est pas obligé de faire la morale à tout-va. Normalement, c’est l’une des prérogatives régaliennes de l’État de créer des structures d’autorégulation dans toutes les corporations artistiques, (sculpture, céramique, musique, peinture) pour qu’elles s’autodisciplinent, comme c’est le cas pour les journalistes avec l’Observatoire des médias congolais (OMEC) et l’Union nationale de la presse congolaise (UNPC) à la place d’improbables prescrits d’une Commission nationale de censure peu efficace. Il ne faut donc pas faire la morale après coup, c’est-à-dire attendre que tel ait sorti un album jugé immoral pour lui demander de retirer son produit du marché. La musique doit adoucir les mœurs et procurer de la distraction aux auditeurs. En considérant le stress qui rythme la vie en RDC, les Congolais devraient plutôt  bénir le ciel d’avoir une telle passion pour la musique. Elle est d’ailleurs fort prisée à travers le continent africain. Mieux vaut cela que de ne retenir que ce qui est anédoctique », conclut-t-il.