La Gécamines est prise en otage

Selon des organisations de la société civile au Katanga, le pillage des minerais, cuivre, cobalt, etc. se porte bien dans cette grande région minière. Des sociétés parallèles voire écrans se créent, parfois avec le concours de ceux qui sont au pouvoir. On se rappellera le coup de gueule du Mgr Ngube Ngube fustigeant la mise à mort de la Générale des carrières et des mines.

LA TÊTE d’Albert Yuma Mulimbi est mise à prix. L’actuel président du conseil d’administration de la Générale des carrières et des mines (GECAMINES) dit et répète à qui veut l’entendre qu’il ne s’accroche pas à son fauteuil à la Gécamines. « J’y suis venu pour la réformer, faire renaître la société minière qu’elle n’était plus… », déclarait-il. Depuis la publication des deux ordonnances contestées nommant des mandataires à la Gécamines et à la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC), Albert Yuma est la cible des tirs croisés qui mettent en cause sa gestion. À 65 ans, en juillet prochain, Albert Yuma qui a débuté sa carrière au groupe Texaf, aujourd’hui une société financière congolaise dont il est actionnaire, estime qu’on lui fait un mauvais procès.

En avril 2010, rappelle-t-il, la Banque mondiale avait sorti un rapport qui recommandait au gouvernement congolais de fermer la Gécamines. En réalité, la Gécamines n’était plus viable, il fallait carrément la liquider. Pour bien des Congolais, c’était quand même humiliant qu’un État souverain liquide le fleuron minier. Gécamines à elle seule, c’était 70 % des recettes nationales à l’époque de sa splendeur. 

C’est dans ce contexte-là que Joseph Kabila Kabange, le président de la République à l’époque, fera appel à Albert Yuma. « J’ai refusé la direction générale mais j’ai accepté la mission comme PCA. Ma mission consistait seulement à donner l’impulsion, structurer, donner une vision et non pas à être un opérationnel », soulignait-il.

En 2010, la société minière publique comptait quelque 12 000 travailleurs pour une production annuelle de 10 000 tonnes.  Elle avait un passif de 1.5 milliard de dollars… Les derniers investissements dans Gécamines remontaient à plus de 45 ans. Aucune entreprise minière au monde n’utilisait plus le type d’équipements qu’avait la Gécamines à l’époque. L’État avait promis de prendre en charge le passif financier, mais ne l’a finalement pas fait faute de moyens. C’est ainsi que les bailleurs internationaux ont suggéré à l’État de donner les gisements aux partenaires étrangers, plus qualifiés, pour les exploiter afin d’avoir des dividendes. Pour résumer la situation, avec le code minier promulgué en 2002, la Gécamines avait cédé plus de 32 millions de tonnes de cuivre et près de 3,5 millions de tonnes de cobalt dans des partenariats ou joint-venture. Et elle n’a gardé que deux vieilles mines qui avaient le potentiel de 500 000 tonnes

Axes stratégiques

D’après Albert Yuma, la Gécamines a trois priorités : se réformer à travers un audit organisationnel de la société, pouvoir réellement tirer profit des partenariats en les renégociant, et inventer de nouvelles formes de collaboration dans les futurs partenariats, en développant le système de partage de production comme dans le secteur pétrolier. Cette orientation stratégique fait suite aux résultats de trois années d’audit et de modélisation économique et financière des résultats de toutes les joint-ventures. 

Naturellement, cela n’a pas été du goût des partenaires majoritaires qui ne voulaient pas donner accès à la documentation. Il s’en est suivi même des procès, notamment avec Glencore à travers KCC et le groupe Forrest à propos de l’usine de terril de Lubumbashi. Si un accord (150 millions de dollars) n’avait pas été trouvé avec KCC, la Gécamines allait droit vers la dissolution, confiait Yuma. 

Aujourd’hui, le management essuie des tirs nourris : salaires non payés, avantages sociaux supprimés… Le plan social qui a été engagé ne fait pas consensus. Les audits réalisés en 2015 ont pu démontrer qu’aucun partenaire ne s’est bien comporté avec la Gécamines. On retiendra que la Gécamines était obligée, pour survivre, de céder ses actifs non stratégiques. Les ONG ont souvent dénoncé que les opérations de vente ou de cession des actifs ne se déroulent pas selon les règles les plus modernes de la transparence. 

Le code minier de 2002 a été trop généreux pour les entreprises minières étrangères. Il fallait donc le réformer. En effet, on voit des tracks sortir les minerais du pays, laissant des trous sur la chaussée. Il n’y a ni routes ni hôpitaux ni bâtiment nouveau construit… La Banque mondiale a reconnu en 2016 dans un rapport que le code minier de 2002 avait été trop avantageux pour les investisseurs étrangers au détriment du partenaire local, la Gécamines. La contribution des entreprises minières en RDC était la plus faible de tous les pays de l’Afrique subsaharienne. 

Protéger l’État 

Le modèle dominant de la joint-venture ou de l’amodiation traditionnelle qui a prévalu, par lequel l’État ou les entreprises dont il est le propriétaire concèdent la gestion de la ressource nationale à des investisseurs, a clairement montré son inefficacité à générer de la richesse pour le pays. Sur le plan international, on dénonce la corruption, les malversations et l’opacité dans la gestion des entreprises publiques. 

En 2007 la Banque mondiale avait conclu à la nécessité de revisiter les contrats miniers pour de nombreuses raisons, notamment la capitalisation restreinte que les experts de la Banque mondiale avaient eux-mêmes qualifié de « structure financière très imaginative et peu orthodoxe ». C’était encore le même constat fait par la Banque mondiale en 2016, concluant à la réforme du code minier de 2002, considéré comme « pas assez protecteur des intérêts de la RDC ». 

Bref, la situation globale dans les partenariats n’a pas vraiment changé depuis la revisitation. Les principaux travers dans la gestion des partenariats sont restés les mêmes et personne n’a vraiment recapitalisé les entreprises à des niveaux compatibles avec une activité économique telle que l’industrie minière. D’ailleurs, dans les périodes difficiles que nous avons connues, la sous-capitalisation des entreprises et certaines autres pratiques ont plombé de manière durable les comptes de toutes les JV, affectant durablement leur capacité à délivrer des ressources fiscales pour l’État, notamment à travers la génération d’impôt sur les bénéfices.

Les ONG dénoncent l’opacité dans les comptes de la Gécamines. Par exemple, Carter Center dit qu’entre 2011 et 2015, quelque 750 millions de dollars sont partis en fumée sur 1.1 milliard de revenus des partenariats. Le management de la Gécamines répond à toutes les accusations que tous les flux financiers sont contrôlés parce qu’ils passent par la Banque centrale du Congo. 

La restructuration de la Gécamines représente un enjeu financier considérable pour la repositionner sur l’échiquier des grands opérateurs miniers africains et  internationaux. Le paradigme nouveau est : user de l’opportunité minière pour développer la valeur ajoutée locale. 

L’activité appelle l’activité. Et notre pays regorge encore de nombreuses opportunités de développement dans les mines comme dans les autres secteurs. « La réforme ou l’évolution du modèle économique minier paraît comme absolument nécessaire afin de favoriser la création de richesse locale, en intégrant beaucoup plus des opérateurs locaux à la chaîne de valeur de l’industrie minière », fait remarquer un activiste de la société civile du Katanga. 

La nouvelle vision minière à mettre en place, c’est de produire localement les dérivés de cuivre, cobalt… au moins semi-finis au lieu de les exporter à l’état brut. Cette nouvelle façon d’envisager l’industrie minière en RDC constituerait un « réel changement de paradigme » qui contribuerait à doper la croissance du secteur privé présent en RDC, en attirant les investisseurs. Il paraît donc normal que dans ce monde où ces métaux rares sont la clef du futur, le propriétaire des ressources puisse bénéficier de l’avantage naturel qui lui a été donné pour adapter, en fonction de ses intérêts, le modèle économique de l’exploitation de ses ressources nationales, pour en valoriser au mieux les retombées au service du développement économique et social de ses populations.