La gouvernance n’a jamais été le maillon fort de notre système bancaire

La compliance introduit aujourd’hui l’obligation pour toutes les entreprises de se doter de programmes de prévention des risques et de conformité. C’est devenu même un outil de performance de l’entreprise.

LA COMPLIANCE est définie comme « l’ensemble des processus qui permettent d’assurer le respect des normes applicables à l’entreprise par l’ensemble de ses salariés et dirigeants, mais aussi des valeurs et d’un esprit éthique insufflé par les dirigeants. Vu sous cet angle, la compliance est difficile à mettre en œuvre. C’est aussi, et surtout, une action proactive qui vise à organiser les procédures et les moyens nécessaires au respect de la réglementation par l’entreprise.

Ce sujet soulève ainsi de nombreuses interrogations chez les juristes comme les dirigeants. Comment les nouvelles obligations vont-elles impacter les entreprises dans leur organisation, leur gouvernance et leur business model ? Certaines ne seront-elles pas tentées de mettre en place des programmes plus esthétiques qu’efficaces ? Comment faire de la compliance un outil de performance économique et de compétitivité ? Comment concilier transparence et secret des affaires ?

Malheureusement, en République démocratique du Congo, la compliance ne fait pas encore l’objet d’une initiative nationale qui s’inscrit dans le cadre d’une vague d’initiatives internationales visant à imposer les programmes de compliance dans la gouvernance des entreprises. Ramenée dans le contexte des banques locales, le constat est qu’en tout temps, la gouvernance n’a jamais été présente dans ce secteur. Même si le nombre de banques est passé de 9 banques à 21 établissements bancaires en 2012. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 15 banques en RDC. D’ailleurs, l’une d’elles a l’ambition de se transformer en institution de microfinance. 

Gestion prudente

C’est dire qu’il y a là un réel problème de gestion. Parler de la gouvernance dans le secteur bancaire est un sujet complexe. Du point de vue historique, il y a des raisons (cadres juridique, légal et réglementaire, politique et les défis à relever) qui ont conduit les entreprises, en général, et les banques, en particulier, ainsi que les régulateurs (Banques centrales) à faire la gouvernance. 

Dans le secteur bancaire, le krach (désastre boursier ou chute soudaine de la Bourse) de 1929 est considéré comme le point de départ. Étant la première grande crise de l’histoire financière dans le monde, ce krach est, par exemple, à l’origine de la distinction entre les banques d’investissement et les banques commerciales. La faillite d’une banque allemande en 1978 a imposé au régulateur des mesures, notamment de protection de l’épargne étant donné que les risques auxquels les banques s’exposaient devenaient trop grands. Il s’agit du risque du capital et de celui de la solvabilité ainsi que de la liquidité du système bancaire. 

En 2008, Lehman Brothers, une grande banque américaine, 150 ans d’existence, avait été mise en liquidation à la suite de la crise bancaire et financière, connue sous l’appellation de « la crise des subprimes » en 2007. Le krach de 2008 est l’effet de l’accroissement de la crise de liquidité, de la crise de confiance mais aussi du renchérissement supplémentaire du crédit par une augmentation du taux interbancaire, ayant touché tous les pays. Moralité : quel que soit le nombre d’années d’existence, toutes les banques s’exposent à la faillite, si elles n’appliquent pas une gestion prudente. Bref, partout, le discours est à la gouvernance.

Chez nous, dans les années 1990, le secteur bancaire était mal en point, à l’image du pays qui était quasiment en faillite. Au sortir des guerres successives de 1996-1997 et de 1998-2003, grâce à l’Accord (politique) de Sun City, le secteur bancaire a bénéficié d’une protection juridique pendant quelques années qui lui a permis de se restructurer. Ainsi, en 2005, on comptait 7 à 9 banques actives dans un pays de près de 65 millions d’habitants, avec un total bilan de moins de 250 millions de dollars. Rien du tout par rapport à certaines banques, comme Paribas qui pèse environ 2 mille milliards d’euros, presque l’équivalent du Produit intérieur brut (PIB) de la France. Deux cas emblématiques : la Banque Congolaise (BC) est tombée en faillite, tandis que la Banque internationale pour l’Afrique centrale (BIAC) est encore placée sous gestion administrative de la Banque centrale du Congo (BCC). À cause d’une crise de liquidité, ces deux banques ont été incapables de faire face au retrait des déposants.

Éthique et déontologie

La Banque Commerciale Du Congo (BCDC) est championne en compliance. Yves Cuypers, le directeur général, définit la gouvernance comme « la direction qu’on donne à une entreprise ». D’après lui, gouvernance présuppose : éthique et déontologie. « Les règles éthiques sont basées sur les règles morales (transparence, honnêteté, loyauté, etc.), tandis que la déontologie indique ce qu’il faut faire, c’est-à-dire les valeurs morales normées (principes) », explique-t-il souvent.

Et il poursuit : « Parler de la gouvernance dans le secteur bancaire signifie qu’il faut tenir compte de la spécificité de la banque. Le métier de banquier, c’est-à-dire prendre l’argent des déposants et le mettre à la disposition de l’économie comporte trois risques ». Le premier risque, c’est celui de la transformation des dépôts des clients en crédits bancaires. « Cela comporte le risque de remboursement », dit-il. 

Le deuxième risque, c’est celui de la solvabilité et de la liquidité du système bancaire. « On peut être solvable (par exemple avoir un immeuble), mais illiquide (en ayant des dettes), tout comme on peut être liquide mais insolvable. C’est dire que la banque ou le système financier doit être capable de faire circuler les flux financiers », souligne-t-il. 

Le troisième risque, c’est celui de la protection des épargnants. C’est ainsi que le régulateur, donc la Banque centrale, a mis en place des lois, des règlements, etc. Mais au-delà des Instructions de la BCC et du cadre réglementaire, ce qui importe, c’est surtout l’organisation, insiste le DG de la BCDC. Yves Cuypers prévient que nous sommes déjà dans un monde de plus en plus dématérialisé. « C’est un véritable défi à la mesure d’une société qui évolue de plus en plus vite et qui exigera des banques réactivité et souplesse de plus en plus grandes, tant au plan technologique qu’aux plans réglementaire et surtout sécuritaire », souligne-t-il. 

Par ailleurs, les banques devront avoir la capacité à rencontrer les critères de renforcement de leur couverture d’un tas de risques. Pour pouvoir renforcer cette capacité de couvrir et d’absorber les risques, il est demandé aux banques commerciales, à juste titre, de renforcer significativement leur solvabilité sur le modèle des banques dans la zone OCDE. En exigeant des fonds propres de base, le régulateur national oblige indirectement les actionnaires à réinvestir la quasi-totalité de la rentabilité que produisent les banques. Yves Cuypers craint que cela ne rabaisse évidemment l’attractivité du secteur. Forcément, si à cela s’ajoute l’impossibilité actuelle de bénéficier suffisamment de la fixité du capital. 

Fondements indispensables

La gouvernance et la transparence sont les deux fondements indispensables au secteur bancaire. Yves Cuypers qui est encore le président en activité de l’Association congolaise des banques (ACB), estime que la gouvernance, c’est « le respect des règles de gestion, universellement acceptées et qui passent aussi par l’application des règles de conformité stricte de contrôle ». Tandis que la transparence, c’est « la volonté des banques de communiquer de manière crédible sur leurs comptes, leurs réalisations, leurs objectifs et sur les moyens qu’elles mettent en œuvre pour les atteindre ». 

Convaincu que le secteur bancaire est « le moteur de l’économie nationale », il pense qu’il devra par ailleurs jouer le rôle de « vitrine ouverte sur le monde par ses relations et son implication dans le système financier international ». Vu sous cet angle, les banques doivent refléter le pays tout entier et la communauté financière tout entière. C’est pourquoi, son credo est : plus de mobilisation et plus de solidarité entre banques. « Battons-nous » et « Rêvons plus grand ». Cela n’est possible que si ceux qui détiennent les rênes du pouvoir ou influent sur la politique économique, financière et monétaire du pays défendent le secteur bancaire national à l’international. Rien ne sert de continuer le jeu de cache-cache car, tôt ou tard, il va se poser des bases de forts risques.