La nécessité de budgétiser la subvention

L’octroi de l’aide publique aux médias nationaux reste une question principale pour leur viabilité. Des efforts entrepris sous d’autres cieux démontrent que l’inscription de cette contribution, dans le planning financier de l’Etat, est indispensable.

La presse congolaise souffre toujours d’un manque de subvention. (DR)
La presse congolaise souffre toujours d’un manque de subvention. (DR)

Dans le contexte africain, l’aide directe à la presse que certains Etats accordent aux médias tant publics que privés est jugée comme un facteur d’inféodation des organes aux pouvoirs publics. Ce qui, dans une certaine mesure, porte atteinte à leur liberté et indépendance. Alors que sous d’autres cieux, la même subvention est loin d’être un motif de « soumission ». Lors du dernier congrès de l’Union nationale de la presse congolaise (UNPC) organisé, fin juillet, à Kinshasa, les participants ont appelé le gouvernement à soutenir les entreprises de presse, dans la production de l’information. Actuellement, l’aide que le gouvernement apporte à la presse est aléatoire et insignifiante. Mais que faire pour formaliser cette subvention et éviter qu’elle influe sur la liberté d’informer ?  Une étude de l’institut Panos Afrique de l’Ouest a recensé la mise en place de programmes d’aides à la presse dans les pays de cette région. Si l’étude a été réalisée en 2001 et n’a pas été actualisée, elle illustre bien, toutefois, des évolutions dans la prise en compte, par les pouvoirs publics, de la nécessité et de l’intérêt de soutenir la professionnalisation et le développement du secteur médiatique, souvent d’ailleurs, à la demande des opérateurs privés.  Dans le contexte de nouvelles démocraties, l’Etat accorde des aides annuelles aux organes de presse privés. Cet appui vise à consolider un pluralisme médiatique et à pérenniser l’exercice du droit du public à l’information. Il peut se présenter sous forme de tarifications et exonérations préférentielles (aides indirectes), ou sous forme de prêts, subventions ou dotations en capital (aides directes ponctuelles ou annuelles).

Budgétiser l’aide    

Pour améliorer les conditions de vie du journaliste congolais, il faut commencer par viabiliser économiquement les organes de presse. 

Kasonga Tshilunde 

Plusieurs fois, en RDC, particulièrement à Kinshasa, certains patrons de presse n’ont pas hésité de demander publiquement de l’aide aux autorités politiques. « Parfois, on attend parler d’une somme d’argent qui aurait venu du ministère de tutelle ou encore de la présidence de la République. Mais, personnellement en tant que journaliste, prestant dans un organe bien déterminé, je ne l’ai jamais vue. C’est une affaire de patrons de presse », soutient un journaliste.  Cette façon aléatoire et dérisoire de subventionner les médias constitue un véritable frein pour ce domaine. Une budgétisation s’avère nécessaire pour permettre aux médias de savoir notamment ce que peut leur revenir, dans le programme financier du gouvernement. En Afrique de l’Ouest, il existe une mise en place de systèmes d’aide publique régulière, parfois transparente et négociée. Elle résulte des diverses initiatives des professionnels de l’information et de la communication, et de la volonté de l’Etat de soutenir le secteur médiatique. Elle est consacrée, dans la plupart des pays, par l’aménagement d’un cadre législatif de portée beaucoup plus globale, parce que régissant le secteur médiatique dans son ensemble.  Au Mali et au Burkina Faso, par exemple, les éditeurs eux-mêmes aussi sont à l’origine des demandes auprès des pouvoirs publics. Au Sénégal, les directeurs de publication des principaux journaux privés ont attiré l’attention des pouvoirs publics sur la précarité de leur situation économique et les risques que leur éventuelle disparition fait peser sur la démocratie sénégalaise. Ils ont réclamé l’accès au marché de la publicité et surtout l’instauration d’un fonds d’aide aux médias, dont le principe figurait déjà dans une loi votée par l’Assemblée nationale.  Au Bénin, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication a, la première, pris l’initiative de faire une recommandation au ministre de tutelle pour l’inscription dans le budget de l’Etat, du remboursement de la moitié des dépenses en papier journal aux éditeurs de journaux privés. Puis, le gouvernement a organisé un séminaire sur l’aide publique aux médias et inscrit, la même année, cette aide dans le budget de l’Etat.

Subvention rationalisée en Occident     

Une étude de « Reuters Institute for the Study of Journalism » de l’Université d’Oxford, publié en 2011, a mis en parallèle les systèmes d’aide public aux medias (audiovisuels, radio et presse inclus) en France, en Grande Bretagne, en Allemagne, en Italie, en Finlande et aux Etats-Unis. Cette étude démontre que le régime des aides publiques aux médias, dans ces six pays, n’a pas évolué, depuis plusieurs décennies. Mais l’Etat offre, d’une manière ou d’une autre, une enveloppe destinée à aider la presse. Dans ces pays, il y a trois grandes catégories de mécanismes d’aides aux medias : il y a le modèle « double », en Finlande, en Allemagne, et au Royaume Uni où la redevance audiovisuelle en faveur des medias publics s’accompagne d’importantes aides indirectes en faveur des medias privés (grâce aux taux de TVA réduits ou nuls). Ce modèle fait du système d’aide aux medias finlandais, le plus généreux par habitant.  Le deuxième modèle dit « mixte », de la France et de l’Italie, combine un niveau moyen de redevance en faveur des medias publics et une combinaison d’aides directes et indirectes aux medias écrits. L’Italie et la France n’arrivent qu’en 4ème et 5ème position du classement du montant des subventions aux medias par habitant.  Le dernier modèle « a minima », pour les Etats-Unis d’Amérique, avec des faibles aides, tant en faveur des médias publics que privés. Ce qui correspond aussi au plus faible niveau d’aide aux médias par habitant des six pays concernés, par cette étude. Selon le rapport, le montant des aides aux medias français s’élève à 4, 26 milliards d’euros en 2008, contre 7, 79 milliards en Allemagne ; 4, 93 milliards au Royaume Uni ; 2, 58 milliards en Italie ; 1,58 milliard aux Etats Unis et 694,5 millions en Finlande.Par habitant, le montant des aides varie de 5.20 euros par habitant aux Etats Unis, contre 130, 6 euros par habitant en Finlande, avec une situation intermédiaire en France avec 68, 5 euros par an.

Interpellation des pouvoirs publics 

En RDC, l’UNPC a même pris l’initiative de demander au gouvernement de ressusciter l’industrie du papier, de revoir à la baisse le nombre de taxes et redevances audiovisuelles imposées aux médias. Déjà en 2012, les responsables des médias audiovisuels avaient déploré « le montant exorbitant » qu’ils payent pour la redevance, soit 24 mille dollars, par an. Le président de l’UNPC, Kasonga Tshilunde avait souhaité que pour améliorer les conditions de vie du journaliste congolais, « il faut commencer par viabiliser économiquement les organes de presse. » Il a appelé également les pouvoirs publics à respecter scrupuleusement les prescrits de la loi sur la presse qui « donne des avantages et les aides directes et indirectes à la presse » et l’accord de Florence signé en 1950 et ratifié par la RDC.

INFO BOX

  • La RDC comprenait, avant la mesure de suspension, plus de six cents stations de radio, une soixantaine de chaines de télévision et des centaines de journaux.
  • L’accord de Florence et le protocole de Nairobi visent à réduire les obstacles en matière de tarifs, de taxes, de devises et d’échanges pour des organisations ou des individus qui veulent obtenir des objets à caractère éducatif, scientifique et culturel.