La problématique de la fiscalisation du secteur informel congolais à la TVA

Samuel Manzambi-Kavako est un technicien que l’on ne présente plus dans son domaine. Alors que le débat se corse s’il faut ou non imposer l’économie de la débrouille, cet expert-comptable (IEC/Belgique n°6801 2EF 58 et ONEC RDC n°000047/16) pense plutôt à son encadrement : mettre en place une politique fiscale adaptée afin de résoudre la double équation « trop d’impôts tue l’impôt… mais trop peu d’impôts tue l’État… », et procéder avec un certain discernement et connexité conséquente.

DE PRIME ABORD, la première difficulté consiste à définir exactement le concept « secteur informel », ensuite vient la difficulté de pouvoir le mesurer statistiquement. 

Ce qui est incontestable, c’est son importance dans la formation des PIB nationaux de la plupart des pays africains et évidement de la République Démocratique du Congo, ainsi que son apport dans l’économie nationale non seulement en termes de création d’emplois, mais également dans la satisfaction des besoins courants de la population. 

Et pourtant, ce secteur échappe pratiquement au contrôle des administrations publiques, voilà pourquoi il est considéré par certains comme un obstacle à l’émergence d’un secteur privé formel. Selon la résolution de la 15è Conférence Internationale des Statisticiens du Travail (CIST), le secteur informel peut se caractériser, d’une façon générale, comme un ensemble d’unités produisant des biens ou services marchands avec l’objectif d’engendrer des revenus pour des personnes concernées.

Le Bureau International du Travail (BIT), dans son rapport « Employment, income and legality, a strategy for creasing productivity employment in Kenya a énuméré les sept caractéristiques principales d’un secteur informel qui sont (1) : utilisation des ressources locales ; propriété familiale de l’entreprise ; petite échelle des activités ; technologie adaptée à forte intensité de travail ; formation acquise en dehors du système ; facilité d’entrée ; marché de concurrence non réglementé.

De ces caractéristiques, on a tiré les conditions d’appartenance à ce secteur comme suit : l’emploi de 10 personnes au plus par entreprise ; la non-application des règles légales et administratives ; l’emploi d’aides familiales ; l’absence d’horaire ou de jours fixes de travail ; l’absence de crédits institutionnels ; une formation secondaire des travailleurs inférieure à six ans ; dans certains cas l’absence d’énergie mécanique et électrique ; le caractère ambulant ou semi-permanent de l’activité (mobilité sociale). 

Ledit rapport a estimé que l’informel représente environ 70 % de la force du travail et en moyenne 23 % du PIB des États de l’Afrique Subsaharienne. Il est impérieux de souligner que les phénomènes informels sont bien antérieurs au concept même du « secteur informel » qui, selon J. Chames du B.I.T a été utilisé pour la première fois par K. Hart « informel sector » dans un rapport sur le Kenya en 1971. Les premières études, consacrées à ce secteur, ont donc été réalisées dans ce pays. 

Régulariser le secteur

K. HART conclura ce débat sur le secteur informel, en soutenant que les économistes, autres monétaristes et Keynésiens considèrent que le secteur informel est constitué « des sables dans lesquels se perdent les effets multiplicateurs du capitalisme, c’est pourquoi pour eux, il y a anormalité, illégalité et inadéquation de ce secteur et qu’il faudrait régulariser ledit secteur avant tout développement économique(2), une sorte de condition sine qua none.  

Par conséquent, la fiscalisation du secteur informel est considérée comme l’un des défis majeurs pour les pays du continent d’Afrique dans l’optique d’une meilleure mobilisation des ressources internes de l’État. 

Majoritairement analphabètes, les acteurs ou animateurs de ce secteur sont très peu ou pas informés sur les procédures à suivre pour entreprendre une quelconque activité commerciale ni sur les obligations fiscales auxquelles ils sont astreintes ou seront assujettis.

Pour beaucoup, l’activité commerciale est un accident de parcours, une nécessité pour la survie : « une adaptation spontanée à la dynamique des besoins, à la dynamique des structures ou techniques productrices et à la dynamique de marchés ainsi que celle de la répartition des revenus ». (3) 

Ils perçoivent leurs activités comme une entreprise sociale consistant à satisfaire d’abord les besoins de la famille au sens large du terme et ensuite à répondre aux besoins de la communauté. Le marché est perçu comme un espace où se tissent des relations certes à caractère économique mais aussi social. 

Dans cette perspective, le marché se décline plus comme un « lieu ou place de familiarité » et non comme une « place de marché », comment alors pourrait-on s’en sortir en matière de la Taxe sur la Valeur Ajoutée parce que n’appliquant pas toujours le même prix d’un client à un autre ; variant donc en fonction du degré de familiarité. Voilà pourquoi, le débat sur le secteur informel en Afrique ne doit pas être abordé seulement sous un angle économiste, car le problème est celui des rapports entre les systèmes économiques et d’autres sous-systèmes moins apparents, moins visibles, qui appartiennent généralement à la sphère socioculturelle  échappant à la vigilance de l’économiste toujours à la recherche du concret et du chiffrable. (4) 

Productivité fiscale

Peut-on alors espérer provoquer la stimulation ou la productivité fiscale d’un secteur où les échanges et les activités ne s’inscrivent pas forcément dans une logique d’accumulation ou d’enrichissement, mais sur des considérations peu économétriques ? La réponse est simple : Les pratiques de ce secteur ne sont pas des stratégies délibérées et savamment orchestrées pour échapper aux contraintes du système fiscal. 

Comme l’a explicité Prosper BACKINY-YELNA, dans ce secteur on trouve pêle-mêle toute forme d’activités productives et marchandes « non enregistrées (au sens statistique) et/ou dépourvues de comptabilité formelle écrite, exercées à titre  d’emploi principal ou secondaire, par une personne en tant que patron ou à son propre compte ». 

Au-delà du domaine artisanal, agricole, du commerce de détails et autres qui sont les plus classés dans cette catégorie, on y trouve aussi dans une certaine proportion, des domaines considérés comme les plus formels. 

À titre d’exemple, dans quelle catégorie peut-on classer une station d’essence formellement enregistrée, tenant une comptabilité et sensée s’approvisionner auprès d’une centrale ou régie nationale d’approvisionnement, mais qui contourne nuitamment cette procédure pour se ravitailler au marché noir avec du carburant frauduleusement importé ? 

Aussi, que dire d’un Cabinet d’Avocats dont le compte bancaire est confondu avec celui du patron, ne disposant d’aucune comptabilité et où le personnel, majoritairement composé de stagiaires, ne reçoit que des pécules au gré du chef ?