La RDC se tourne à l’Est

Sa position géostratégique au cœur de l’Afrique commande que la RDC, entourée de neuf voisins, soit un État commerçant par excellence et fasse partie de tous les groupements régionaux autour d’elle. Le Congo-Kinshasa est déjà membre de la CEEAC, du COMESA, de la SADC, de la CEPGL. Il ne manque que son appartenance à l’EAC. La demande d’adhésion est faite.

UNE LETTRE du président de la République, datée du 8 juin 2019, adressée au président en exercice de la Communauté de l’Afrique de l’Est, dont un vent favorable a fait atterrir une copie à la rédaction de Business et Finances qui a pris soin d’en vérifier l’authenticité, fait office de requête d’adhésion. Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo (Fatshi) écrit ceci à Paul Kagame, son homologue rwandais : « Faisant suite aux échanges que nous avons eus, à Kigali d’abord, et, par la suite à Kinshasa, sur l’intention et l’intérêt que manifeste mon pays, la République démocratique du Congo, d’adhérer à la Communauté d’Afrique de l’Est, j’ai l’honneur de vous présenter, ce jour, la demande expresse de mon pays de pouvoir adhérer à ladite Communauté. »

Et de poursuivre : « Cette requête fait suite aux échanges commerciaux qui ne cessent de croître entre les opérateurs économiques de la République démocratique du Congo et ceux des États de la susdite Communauté. » Puis de conclure : « Je vous saurai gré de bien vouloir porter à la connaissance de différents Chefs d’État, Membres de la Communauté, mon désir ardent de les rejoindre, afin que nous puissions travailler ensemble pour le développement de nos pays respectifs et stabiliser cette partie de l’Afrique. »

Un État à reconstruire

Au-delà des impératifs de paix et de stabilité au pays et dans la région, c’est toute l’économie du pays qu’il faut rebâtir. Le nouveau président de la RDC en a bien conscience. Lui qui souhaite donner une impulsion nouvelle à la politique étrangère de notre pays. Sans vraiment se détourner de la région du centre de l’Afrique, dont elle appartient naturellement, et de celle de l’Afrique australe, dont elle est liée par des liens politiques et économiques devenus solides, la RDC, un pays francophone, veut désormais regarder vers le bloc anglophone de l’Afrique de l’Est, avec lequel elle a en commun la langue swahili. 

Selon des diplomates contactés à Kinshasa, il ne fait l’ombre d’aucun doute que cette demande d’adhésion à la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC/CAE) devra être acceptée, voire « rapidement ». Avant l’intégration proprement dite, précisent-ils, il y a « l’étape d’acceptation » de la requête par les États membres, notamment les fondateurs (Kenya, Ouganda, Tanzanie). Puis, la signature du Traité d’intégration de la communauté. Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo sait pertinemment bien qu’il peut compter sur le soutien tous azimuts d’Uhuru Kenyatta, le président du Kenya. Il est le seul président africain à avoir participé à la cérémonie de son investiture le 24 janvier à Kinshasa. « Cela n’est pas rien, fait observer un diplomate africain à Kinshasa. C’est un signe qui montre qu’une connexion existait déjà entre Uhuru Kenyatta et Félix Tshisekedi ». 

D’ailleurs, pour sa première visite de chef d’État à l’étranger, le nouveau président de la RDC, s’est rendu successivement en Angola, au Kenya et en République du Congo. Si avec les deux voisins (Angola et Congo-Brazzaville), le destin commande la nature des relations, ce n’est pas le cas avec le Kenya, qui, soudain, s’est invité dans le débat politique en RDC. Pour quelle motivation ? Le mercredi 6 février, à Nairobi, le président kenyan a remercié son homologue congolais de s’être rendu à Nairobi car il y a nécessité de renforcer « le partenariat » entre le Kenya et la RDC. 

Fort de son expérience, le Kenya veut visiblement aider la RDC à restaurer la paix et la stabilité à travers l’initiative Building Bridges. Tout comme le Kenya se dit prêt à s’associer à la construction des infrastructures, dans le partage des compétences dans l’industrie extractive et dans de nombreux autres domaines présentant des avantages mutuels, notamment la formation des fonctionnaires congolais.

Pas un pas sans Nairobi ?

C’est d’ailleurs dans la capitale kenyane que le président congolais avait annoncé son intention de faire intégrer la RDC l’EAC/CAE, qui regroupe actuellement le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, le Soudan du Sud et la Tanzanie. Et dont le Kenya est considéré aujourd’hui comme le fer de lance. L’EAC/CAE avait lancé en 2010 le COMESA, son propre marché commun des biens, du travail et des capitaux de la région, auquel appartient la RDC. Pour rappel, la région de l’Afrique de l’Est couvre une superficie de 1,8 million de km² avec environ 150 millions d’habitants et dispose d’importantes ressources naturelles. Le siège de l’organisation est à Arusha en Tanzanie.

À Nairobi, Fatshi a reconnu « le rôle important joué par le port de Mombasa » dans l’économie de la RDC, surtout dans l’Est du pays. Le principal port kenyan est, de fait, aussi le principal port rwandais, burundais et de la partie est de la RDC. Ces trois pays qui forment la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL) en veilleuse, importent pour beaucoup leurs marchandises depuis les ports de Mombasa au Kenya et de Dar es Salaam en Tanzanie.

Pour le président Tshisekedi, donc, rejoindre ce regroupement régional est à l’avantage de la RDC qui cherche à « renforcer ses liens économiques » avec les autres pays. Un expert des questions africaines d’intégration économique nous explique que l’intégration au sein de l’EAC/CAE est « le témoignage d’intérêts commerciaux ». En tant qu’entité unique, fait-il remarquer, la communauté négocie les accords de partenariat économique avec l’Union Européenne (UE). L’union douanière, lancée en 2005 et devenue pleinement effective en 2009, a permis la mise en place d’un tarif extérieur commun (0 % pour les matières premières, 10 % pour les produits intermédiaires, 25 % pour les produits finis) ainsi que l’harmonisation progressive des  taxes  communes à l’intérieur, avec l’objectif d’arriver à 0 %. Mais elle rencontre encore de nombreuses difficultés, notamment les barrières non-tarifaires (documentations douanières, procédures administratives compliquées, procédures d’immigration, procédures d’inspection, barrages de police, poids public, normes requises, procédures de transit différentes, régulation de transport différente…). Cela augmente les coûts, réduit la vitesse et bloque une partie du commerce transfrontalier.