L’Afrique du Sud ne veut rien lâcher sur le projet Grand Inga

Aujourd’hui, il est devenu clair que c’est sur le sol congolais notamment, que se livrent déjà, quelques-unes des plus grandes batailles d’influence économique dont l’issue devrait commander notre avenir commun. La bataille de l’électricité en est une.

Le président congolais et son homologue sud-africain.
Le président congolais et son homologue sud-africain.

Face aux convoitises de grands intérêts financiers internationaux, de plus en plus aiguisées, sur le complexe hydroélectrique d’Inga, la République démocratique du Congo et l’Afrique du Sud ont réaffirmé leur leadership conjoint sur le projet Grand Inga. C’est l’une des principales résolutions de la IXe session ordinaire de leur grande commission mixte qui s’est tenue du 13 au 16 octobre à Kinshasa. En marge de ces travaux de la revue de la coopération bilatérale, le président Joseph Kabila et son homologue Jacob Zuma ont eu un tête-à-tête au cours duquel ils se sont penchés sur la question du développement du projet Grand Inga d’intérêt majeur. Ils ont convenu que les ministres respectifs en charge de l’électricité accélèrent le processus de mise sur pied du Groupe de travail devant baliser la voie de l’exécution de ce grand projet. Inga III constitue la première phase d’une série de huit centrales hydroélectriques. (lire l’encadré). Le Traité énergétique sur le Grand Inga conclu le 29 octobre 2013, à Kinshasa, par les deux chefs d’État, donne au site d’Inga le statut d’Actif national appartenant au peuple congolais. La souveraineté du Congo sur Inga ainsi que son leadership dans le développement de ce site sont également formellement établis dans le protocole d’accord sur le Grand Inga, signé à Lubumbashi, en mars 2013.

D’aucuns pensent qu’en réaffirmant le leadership de leurs deux pays dans ce projet, Joseph Kabila et Jacob Zuma coupent court aux allégations des ONG internationales, notamment de Counter Balance ou de 11.11.11, selon lesquelles le Grand Inga serait dans le viseur de gros intérêts internationaux. D’autres n’hésitent pas à faire un rapprochement avec les pressions subies au 19e  siècle par le roi des Belges, Léopold II, afin qu’il ouvre le Bassin du Congo au commerce international. Si la République du Congo accepte de partager avec l’Afrique du Sud son leadership exclusif sur le Grand Inga, c’est sans doute pour mieux résister aux pressions de grands intérêts financiers internationaux », analyse un expert congolais.

Les Sud-Africains reprennent la main

Pour qui les Sud-Africains se voient donner le beau rôle dans ce projet ambitieux. On se souvient que les experts sud-africains avaient monté les enchères lors des négociations et de l’élaboration du protocole d’accord sur le Grand Inga. D’après eux, l’Afrique du Sud devait avoir voix au chapitre dans tous les engagements inhérents au développement du Grand Inga. En plus, le rôle de pilotage de son développement, avec pour objectif le commerce de l’énergie à travers le continent africain, devait lui revenir. Sans succès. Les experts sud-africains étaient allés jusqu’à  demander que le traité soit conclu pour une durée de 50 ans renouvelable. De toute évidence, les Congolais ont réservé à toutes ces revendications une fin de non-recevoir. La partie congolaise était plutôt favorable à un contrat de 10 ans renouvelable. Elle avait également exigé que soit mentionnée la clause selon laquelle « la coopération énergétique avec l’Afrique du Sud est assortie de conditionnalités ».

Les conditions posées par la partie congolaise

Les Congolais avaient posé comme conditions que l’énergie produite par  le projet Grand Inga soit destinée en priorité à la République démocratique du Congo avant la satisfaction des besoins de l’Afrique du Sud ; que la coopération porte sur l’ensemble des 41 000 mégawatts du site d’Inga, assortie d’une concession d’achat de seulement 30% aux Sud-Africains sur chaque phase du Grand Inga ; que la République démocratique du Congo ait le plein droit de vendre aux États africains, dans le cadre de l’intégration économique continentale, l’excédent d’énergie d’Inga IV à Inga VIII. Autre condition posée : la poursuite des pourparlers avec le Nigeria, commencés en octobre 2012, en vue d’un accord d’exportation de l’énergie électrique d’Inga IV. Ce traité contient d’autres clauses qui empêchent de tourner en rond, notamment le droit de premier refus-achat et le droit de premier refus-capital. Il a été convenu, pour le premier cas, que « le volume d’énergie à la disposition de l’Afrique du Sud  pour chaque phase sera soumis au droit prioritaire de la République démocratique du Congo en vue de satisfaire les besoins énergétiques internes ». Toutefois, après la réalisation de l’étude de préfaisabilité pour chaque phase, l’Afrique du Sud sera invitée à manifester un intérêt pour l’achat d’au moins 20% de l’énergie qui devrait être produite. Le traité stipule également que l’Afrique du Sud aura le droit, dans un délai de trois mois suivant la réception de l’offre de la République démocratique du Congo ou de la société de projet concernée, selon le cas, d’accepter ou de refuser cette offre, étant entendu que l’Afrique Sud devra, dans un délai de 60 jours, à compter de la date à laquelle elle accepte une telle offre, effectuer un paiement sur un compte séquestre selon des termes à convenir entre les parties d’un montant de 10 millions de dollars aux termes financiers de 2013, à titre de garantie pour les obligations qu’elle contracte en conséquence de l’acceptation de l’offre. Il est également fait mention de la possibilité d’amender tout ou une partie dudit traité.

Le lobbying de la Banque mondiale    

Selon certains experts proches du dossier, la République démocratique du Congo est mise devant un fait accompli à cause de l’implication financière des institutions internationales et des majors privés. En effet, le projet Grand Inga relève dorénavant de la coopération multilatérale. La Banque africaine de développement (BAD) a financé notamment les études de base et de préfaisabilité pour plus de 68 millions de dollars. Pour sa part, la Banque mondiale a déjà injecté plus de 73 millions de dollars dans le projet. Par ailleurs, l’Agence française de développement (AFD), la Banque européenne d’investissement, mais aussi des privés ne sont pas en reste.

Des financiers américains ont promis au Premier ministre, Augustin Matata Ponyo, de verser 5 milliards de dollars pour la matérialisation du projet. Il y a aussi le consortium constitué par le cabinet d’avocats américain Orrick Herrington & Sutcliffe, la banque d’affaires Lazard Frères et Tractebel Engineering, ou encore le bureau d’études de CDF Suez qui assiste le gouvernement dans la conduite et la mise en œuvre de ce projet.

La Banque mondiale cherchait à avoir un droit de veto sur l’adjudication du marché de construction d’Inga III. Elle vient de mettre à l’index deux des trois entreprises restées en lice. Selon Max Munga, le coordonnateur de la Cellule de gestion du Projet Inga III – désormais remplacée par l’Agence de développement et de promotion du site d’Inga (ADEPI) placée sous la direction de Bruno Kapandji -, ce marché ne sera adjugé qu’en 2016. En clair, il s’agira de départager les trois consortiums déjà présélectionnés, à savoir le canadien SNC-Lavalin, l’espagnol ACS et le chinois Three Gorges Corporation. Et la signature d’un contrat de concession est envisagée à fin 2017. La durée des travaux de construction du projet est estimée à sept ans.  À la Cellule de gestion du projet, on indique que le dossier de consultation est déjà mis à la disposition des candidats pré-qualifiés depuis le 29 juin 2015. La conception, le financement, la construction et l’exploitation du projet seront effectués par un concessionnaire du secteur privé qui pourrait bénéficier de financements publics de la part de la RDC.

La crédibilité des acheteurs

D’après Max Munga, les investisseurs privés exigent que les acheteurs soient des parties crédibles et bancables. « Les contrats d’achat et de vente d’énergie seront négociés en parallèle avec chaque acheteur avant la signature du contrat de concession », explique-t-il. « La problématique du financement est une donnée majeure du processus de sélection. Ce sont les solutions de financement en partenariat public-privé qui vont être déterminantes pour la réalisation du projet », souligne Hela Cheikhrouhou, directrice du département Énergie, Environnement et Changement climatique de la BAD. D’après les experts, le coût d’Inga III est de 8 à 12 milliards de dollars. Voilà qui fonde les inquiétudes d’une coalition d’organisations de la société civile.

Elles doutent notamment du maintien d’une réserve de 1 000 mégawatts au profit de la Société nationale d’électricité (SNEL). La Coalition des organisations de la société civile pour le suivi des réformes et de l’action publique (CORAP) souhaite la présence de ses délégués lors de la signature des contrats d’achat de l’énergie d’Inga III. Elle recommande notamment au ministre de l’Énergie et des Ressources hydrauliques, Matadi Nenga, la publication des contrats signés avec les panels d’experts sous la houlette de la Banque mondiale.