Le contraste budgétaire

Malgré ses énormes potentialités, la RDC peine à se doter des moyens financiers à la hauteur de ses besoins. La corruption, la fraude, la faible production locale, le déficit dans la mobilisation des recettes… sont autant d’obstacles qui plombent l’augmentation de son budget national.

Le budget de la RDC reste loin de répondre aux attentes. (Photo BEF)
Le budget de la RDC reste loin de répondre aux attentes. (Photo BEF)

C’est la grande rentrée au Parlement, depuis le 15 septembre. Députés et sénateurs vont se consacrer essentiellement à l’examen et à l’adoption de la loi des finances pour l’exercice 2015. Le débat, pendant cette session, qui court jusqu’au 15 décembre, a toujours été houleux, à l’hémicycle de Lingwala. Il le sera certainement encore cette année, dans la mesure où il concerne une question cruciale : la politique de gestion de la République durant toute une année.  Comme toujours, la problématique de la modicité du budget alloué à un pays de plus de 70 millions d’âmes refait surface.  Pour l’exercice 2014, le gouvernement avait proposé au Parlement, l’autorité budgétaire, un budget de 8,2 milliards de dollars. L’Assemblée nationale l’avait ramené, par la suite, à 8, 9 milliards.

Comparé aux besoins de la RDC et à l’ambition du gouvernement d’en faire, sur le plan économique, « un pays émergent à l’horizon 2030 » et, à court terme, « un pays à revenu intermédiaire d’ici 2018 », cette enveloppe budgétaire reste, à tout point de vues, irréaliste. « Le budget en RDC n’a pas d’abord, pour ambition, d’amener au développement mais plutôt, de construire l’Etat », avait reconnu le député Adolphe Muzito, ancien premier ministre, lors d’une conférence débat à Kinshasa. Par rapport au dernier exercice, il est difficile de parier pour une grande amélioration, pour 2015, bien que le Vice-premier ministre en charge du Budget, Daniel Mukoko Samba, promet que ce dernier « sera beaucoup plus élaboré que ceux des années antérieures. » En plus des régies financières, qui participent activement à la réalisation du budget, dit-il, le secteur des mines et de l’agriculture vont apporter un plus dans une assiette financière « qui sera également élargie avec la récupération des taxes qui seront perçues dans des régions libérées dans l’Est du pays. Lors du séminaire d’orientation budgétaire, organisé début août à Kinshasa, le gouvernement a fait savoir qu’il envisage, en 2015, entre autres, d’atteindre une croissance de 10, 4 %, contre près de 9 % en 2014, de maintenir l’inflation aux alentours de 3%, de consolider la stabilité macroéconomique et de créer des emplois.

Déficit dans la mobilisation des recettes    

Malgré toutes ces perspectives, d’aucuns restent dubitatifs quant à la capacité du pays à augmenter considérablement son budget, tant que les obstacles qui l’en empêchent sont toujours là. Les services mobilisateurs des recettes n’arrivent pas à répondre aux vraies attentes, face à un système fiscal incohérent et peu incitatif à l’investissement. En 2013, les recettes fiscales n’ont représenté que 14 % de participation au PIB, selon la Banque centrale du Congo (BCC), contre un potentiel fiscal de 29 %. Au premier semestre de l’année, la Direction générale des impôts (DGI) a réalisé un écart négatif de 20%, par rapport à ses assignations, dans la récolte de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Sur plus de 425 milliards de francs projetés, elle n’a mobilisé que près 341 milliards. Si la Direction générale des douanes et accises (DGDA) a franchi, depuis 2011, la barre d’un milliard de dollars d’apport au budget national, elle est encore loin de la note, selon plusieurs experts. Elle a réalisé, au premier semestre de cette année, plus de 893 milliards de francs, soit 79,26% des prévisions. Depuis le début de l’année, la Direction générale des recettes administratives et domaniales (DGRAD) a réalisé, à fin août, un gap de 30 milliards de francs, par rapport à ses assignations.  La corruption, la fraude, les détournements, les tracasseries et l’impunité jouent fortement dans la contreperformance de ces régies financières. Dans le classement 2013 de Transparency International, la RDC a occupé la 154ème position, sur les 177 pays, dans l’indice de perception de la corruption. La fraude fiscale reste importante dans le pays, surtout dans la perception des recettes sur la TVA qui est un impôt récolté par l’assujetti. L’absence d’un contrôle rigoureux crée ainsi un déficit dans la mobilisation des recettes.  Lors des travaux sur « le coulage des recettes publiques », organisés en mai 2013, par le gouvernement, des pistes de solutions ont été proposées pour la maximisation des recettes fiscales en RDC. En l’occurrence, la nécessité de mettre en place une autorité de contrôle des revenus fiscaux, un dispositif légal solide, la création d’un réseau informatisé du système douanier et d’un guichet unique de paiement des taxes. Pour le député Samy Badibanga, le pays atteindrait facilement un budget de 20 milliards de dollars, s’il appliquait le système d’une seule régie financière.

Carence de production 

Le budget en RDC n’a pas d’abord, pour ambition, d’amener au développement mais plutôt, de construire l’Etat.

Adolphe Muzito

Par ailleurs, d’autres secteurs de la vie tournent également au ralenti. La RDC ne parvient pas à profiter de son potentiel naturel. Le secteur minier, qui devait approvisionner énormément le budget national, déçoit les attentes. Un rapport de l’Ong Action contre l’impunité pour les droits humains (ACIDH), publié en 2010, avait fait état de l’insignifiante contribution des minerais dans le budget de l’Etat, suite à la « mauvaise gestion du secteur et au dysfonctionnement de certains services étatiques. » L’absence de moyens de transformation des matières premières ne participe pas à la juste valorisation des minerais sur le marché. C’est à peine que le gouvernement commence à engager des dépenses, pour soutenir l’agriculture. Après la campagne agricole, l’année dernière, le lancement du parc agroindustriel de Bukanga-Lonzo, dans le Bandundu, est noté comme une volonté manifeste de donner un coup de pouce à ce secteur clé de la vie. Mais, l’exécutif pêche toujours par la négligence de l’agriculture familiale ou traditionnelle, qui ne bénéficie d’aucune subvention.

Des opportunités non saisies 

Il existe, par ailleurs, des secteurs qui devraient produire suffisamment des ressources pour l’Etat, mais qui restent dans les oubliettes. Scandale géologique, avec ses chutes, eaux, parcs, montagnes, espèces animales et végétales rares, la RDC devrait tirer énormément profit du tourisme, à l’instar de certains pays où il constitue la première source de revenu. Le secteur des hydrocarbures également est peu exploré. En 2013, le seul exploitant pétrolier du pays, la société pétrolière Perenco, a contribué à hauteur 400 millions de dollars au budget de l’Etat. Avec les récentes découvertes d’énormes potentialités dans les trois bassins sédimentaires du pays, le gouvernement, à travers le ministère des Hydrocarbures, promet l’intensification des activités d’exploration-production des ressources pétrolières et gazières dans tout le pays. Ainsi, si toutes les recherches dans ce secteur aboutissent positivement, le pays passerait d’une production de 25 000 barils à 225 000 barils, par jour, selon les projections. Ce qui devrait multiplier, par dix, la participation des hydrocarbures dans le budget de l’Etat.  En attendant, la RDC poursuit son bonhomme de chemin avec un budget de misère, malgré ses énormes potentialités. Pour le député Michel Okongo Lomena, la réalisation d’une enveloppe budgétaire conséquente passe par la réhabilitation de l’outil de production, l’augmentation de la production nationale, la création d’emplois, l’assainissement des finances publiques et une meilleure gestion.

INFO BOX

Pour le budget 2015, le gouvernement envisage :

  • atteindre une croissance de 10, 4 %,
  • maintenir l’inflation aux alentours de 3%,
  • consolider la stabilité du cadre macroéconomique,et
  • créer des emplois.