Le plan d’infrastructures de Donald Trump est un méga-flop

Avec son plan d’investissement d’au moins 1 500 milliards sur dix ans dans les infrastructures publiques, Donald Trump a fait un bide, non seulement auprès des démocrates, mais également du Congrès et même du secteur privé, estiment des observateurs. 

 

Plan non financé, détails bâclés, contradictions à la pelle, confiance aveugle dans l’investissement privé et mépris du compromis: un parfait cas d’école de la méthode Trump. Rien à faire. À chaque fois qu’il démarre, le plan cale. Ou se retrouve coincé dans les embouteillages. Ou dérape sur le verglas. La première fois que Donald Trump a voulu mettre l’accent sur son projet mirifique d’investir dans les infrastructures, le témoignage de l’ex-patron du FBI devant le Congrès a capté l’attention des médias. La deuxième fois, à l’été dernier, ce fut une « semaine de l’infrastructure » éclipsée par la violence d’extrême droit à Charlottesville. La troisième fois devait être la bonne, avec une présentation du vrai plan, chiffré. C’était deux jours avant la tuerie dans un lycée de Floride.

Une sorte de scoumoune, pour un plan ambitieux qui pourrait-ou aurait pu?- constituer un tremplin formidable pour un homme tout juste désigné pire président de tous les temps par une brochette de 170 historiens. Mais la malchance n’explique pas tout. Au lendemain de la présentation du plan, même ceux dont on attendait le soutien, les investisseurs privés, traînent les pieds. L’énorme hedge fund Blackstone, dont Steven Schwarzman, le patron, est pourtant un allié du président, pourrait ne tremper qu’un orteil timide dans les projets d’infrastructures publiques.

D’autres fonds affichent la même hésitation. Et les grandes entreprises liées aux infrastructures n’ont pas non plus débouché le champagne: dans la semaine suivant l’élection de Trump, un panier d’actions de ces sociétés avait progressé de 13 points de plus que l’indice S&P 500; après l’annonce du plan, elles sont restées à la traîne du même indice.

Du plomb dans l’eau du robinet

Le plan s’ouvre pourtant sur un constat que tout le monde partage: « Notre infrastructure est déficiente. Le conducteur moyen passe 42 heures par an dans les embouteillages (…), près de 40 % de nos ponts ont été construits avant l’envoi du premier homme sur la lune, et l’an dernier, 24 000 ruptures de canalisations ont gaspillé plus de 2 000 milliards de gallons d’eau potable purifiée, de quoi subvenir aux besoins de la Belgique. » Le cliché selon lequel des milliers de milliers de ponts sont sur le point de s’effondrer est très exagéré; en revanche, il ne fait aucun doute que les États-Unis ont pris un retard inquiétant dans le maintien de leur infrastructure.

Selon l’association des ingénieurs du génie civil, il faudrait investir 4 600 milliards de dollars pour rattraper plusieurs décennies de négligence, faute de quoi les conséquences économiques seront désastreuses (2,5 millions d’emplois perdus). Pour prendre le seul cas de l’eau potable, la tragédie du plomb dans les canalisations de Flint, au Michigan, est venue rappeler que 16 millions d’Américains tombent chaque année malades en buvant l’eau de leur robinet.

C’est avec le contenu du plan Trump que les choses se gâtent. Dans l’Amérique d’aujourd’hui, les gros projets d’infrastructure sont généralement financés selon un modèle 80-20: 80 % à la charge de l’État fédéral, 20 % à celle des États et collectivités locales. Le plan de Trump remplace cela par un cocktail radicalement différent: une petite partie payée par l’État fédéral, pour amorcer la pompe, et le reste par les États, collectivités locales et le secteur privé. Ce dernier jouerait un rôle majeur: le plan prévoit par exemple de vendre les deux grands aéroports de Washington et deux autoroutes de la région. Il serait « plus approprié », avance le document, « qu’ils appartiennent à des entités locales, de l’État ou privées ».

Grâce à ce coup de baguette magique, l’administration Trump parvient au total mirifique d’au moins 1 500 milliards de dollars d’investissements sur dix ans, avec seulement 200 milliards d’argent public venant de Washington. Et c’est là que le bât blesse. D’abord, les États ont déjà des budgets serrés, et beaucoup vont être pénalisés par la méga-réforme fiscale votée en décembre dernier. Ensuite, les entreprises du privé n’ont aucun intérêt à investir dans certaines infrastructures: construire une autoroute à péage fréquentée, oui, réparer des trous dans les routes départementales, non.

Privatisations désastreuses

Et quand le privé prend en charge des projets, cela se termine souvent mal pour le contribuable. À Chicago, suite à la privatisation des parcmètres, les habitants verseront au moins 11,6 milliards de dollars sur 75 ans à un consortium mené par la banque Morgan Stanley, soit 10 fois ce qu’a rapporté à la ville cette privatisation. Dans l’Indiana, la société ayant reçu une concession pour une autoroute à péage a fait faillite, ayant basé son investissement sur des prévisions financières et de trafic farfelues.

Ce n’est pas seul problème. Personne ne sait d’où viendraient les 200 milliards de dollars d’argent public. Trump a évoqué des coupes dans d’autres dépenses, sans plus de précisions. Il y a même pire: en même temps qu’il annonçait son fameux plan, Trump a proposé un budget qui… taille dans les dépenses d’infrastructures, à hauteur de 178 milliards sur dix ans. Et ce n’est pas tout: ni son plan, ni son budget n’expliquent comment Washington va renflouer le Highway Trust Fund, un fonds spécial finançant les infrastructures alimenté par une taxe sur l’essence qui n’a pas augmenté depuis 1993, et qui sera prochainement en banqueroute si rien n’est fait.

Résumons: un secteur privé sceptique, des États craignant de se voir faire les poches, une participation fédérale non financée, un projet de budget allant exactement à l’encontre du plan et une source majeure de financement qui sera bientôt tarie. Difficile, dans ces conditions, de ne pas être d’accord avec l’économiste Paul Krugman quand il résume, dans le « New York Times »: « Ce n’est pas un plan, c’est une arnaque. »

La non-méthode Trump

Au-delà de la polémique, ce plan grandiose bricolé avec des bouts de ficelle en dit long sur la « méthode Trump », ou plutôt l’absence de méthode. Son plan d’infrastructures, qui se voulait « au moins le double » de celui que proposait Hillary Clinton, aurait pu être soutenu par une bonne partie des démocrates (et, au passage, diviser le parti pour le plus grand bénéfice des Républicains). Mais Trump n’a jamais cherché le compromis. Il donne l’image d’un président que les détails techniques ennuient, et ils sont innombrables dans un domaine aussi complexe: « Maintenant que le projet se transforme en programme gouvernemental, cela l’intéresse moins », confie un conseiller. Il a affiché, aussi, une singulière nonchalance dans la promotion de son projet: c’est un plan « très, très, très sexy », a-t-il annoncé en le présentant… avant d’ajouter, à l’adresse des parlementaires: « Et si vous n’en voulez pas, cela me va aussi! »