Le regard de Tumba Bob Matamba sur le destin économique de la RDC

En matière de réflexion sur le devenir des pays africains, notamment la RDC, TBM est un penseur qui fait mouche à tous ses essais. C’est un révolté dans l’âme, pourrait-on ainsi dire, comme en témoigne sa présentation, ci-après, au vernissage du livre « L’esprit de l’homme fort africain – Mémoires d’un Diplomate » de l’Américain Herman Cohen. Pour lui, cet ouvrage représente « une nouvelle opportunité pour les élites des pays passées en revue.

« LE LIVRE de Mr l’ambassadeur Herman Cohen reste pour moi le témoignage d’un énième regard étranger sur la bataille socio-économique – jusque-là perdue, hélas! – de la majorité des pays africains. Mais pour nous qui marinons au quotidien dans notre jus national et sous-régional, ce témoignage ne nous apporte aucun scoop. À part quelques révélations croustillantes, sur des confidences  susurrées au cours de conversations privées de l’auteur avec les hommes forts de l’Afrique indépendante. Et souvent, malheureusement, au détriment de l’image des leaders africains. 

En effet, nombre de chercheurs et analystes africains s’étaient d’ores et déjà approprié le destin du continent en diagnostiquant les causes lointaines et immédiates de son échec dans la quête du bonheur social collectif, une fois le colonisateur parti. Il y a exactement dix ans, à titre d’exemple, auprès du même éditeur MEDIASPAUL, j’avais sorti mon livre sur « Le Développement du Congo : promesses, faillites et défis », dont le contenu répond largement aux questionnements soulevés par Mr Herman Cohen.

Mais le livre de l’ambassadeur américain représente cependant une nouvelle opportunité pour les élites des pays passés en revue, dans la sous-région économique qui va de l’Atlantique à l’Océan indien, afin qu’elles se remémorent l’essentiel de notre combat : la dignité bafouée de l’Africain. Et plus l’injure fuse d’une bouche (ou plume) étrangère, plus grand devrait être notre sursaut d’orgueil. Après l’indignation – légitime – il serait temps d’être proactif et de passer désormais à l’acte, en éradiquant la cause de l’injure. C’est la seule posture de maturité imaginable!

Comme dans toute bataille, la stratégie recommande d’identifier au préalable, et sous toutes ses coutures, l’ennemi à abattre. Dans l’actuel cas de figure : l’échec du décollage économique de la majorité des pays africains. Dans cet ordre d’idées, il est opportun que je vous fasse revisiter quelques repères historiques.

Classification des pays

Le système des Nations Unies, dans sa typologie de classification des pays sur base de critères économiques, distingue quatre catégories de pays : (i) les pays les moins avancés (PMA), (ii) les pays en voie de développement, (iii) les pays émergents, et (iv) enfin les pays avancés.

Les PMA constituent la catégorie des pays les plus pauvres de la communauté humaine. L’appellation « Pays les moins avancés » est même un euphémisme pour éviter des expressions telles que « pays dont l’économie stagne » ou, plus proche de la réalité : « pays en voie de sous-développement » dans un monde qui va de l’avant. Le CPD (Comité des Politiques de Développement), organe de la Commission Économique et Sociale qui fixe la liste des pays qui doivent rentrer dans (ou sortir de) la catégorie PMA, siège tous les 3 ans pour mettre à jour ladite liste. 

Lors de sa session intervenue en 2014, elle a dressé une liste de 47 pays au total, dont 33 pays africains (la RDC est du nombre), 9 asiatiques, 4 de l’Océanie, et 1 seul pays américain, Haïti.  

Au sortir de la Deuxième guerre mondiale, les pays colonisés d’Asie et d’Afrique, réunis lors de la Conférence de Bandoeng (1955), ont exigé et obtenu  leurs indépendances dans la décennie 1960. À cette époque-là, la RDC avait une position économique supérieure à celle des pays asiatiques appelés aujourd’hui dragons ou tigres. Le tableau qui suit montre malheureusement une évolution divergente entre les nouveaux pays indépendants d’Asie et ceux d’Afrique, ce qui pose problème et pousse à la réflexion.

Concernant notre pays, la République démocratique du Congo, la détérioration de la situation sociale est corroborée par un autre tableau tout aussi explicite : la désindustrialisation de l’économie. 

De producteur et exportateur de produits agricoles, la RDC nourrit aujourd’hui sa population à coups d’importations d’aliments. En témoigne cet écrit d’un chercheur universitaire de Lubumbashi :  « Autre problème urgent à résoudre pour Lubumbashi : l’absence d’autosuffisance alimentaire. Depuis toujours, la ville dépend (trop) largement de l’extérieur pour se nourrir. Le repas d’un Lushois (ndlr : habitant de Lubumbashi) moyen, composé de pâte de farine de maïs et de poissons chinchards, est dans sa totalité d’origine étrangère. La Zambie fournit la farine de maïs, la Namibie le chinchard, l’huile de palme raffinée vient de Malaisie, le sel de cuisine du Botswana, etc. », écrit John Mulowayi Katshimwena, enseignant à l’Institut supérieur pédagogique de la ville, dans « Lubumbashi, cent ans d’histoire », un ouvrage collectif paru en 2013 aux éditions L’Harmattan. Or, l’indépendance économique commence par l’indépendance du ventre, qualifiée par ailleurs, avec à-propos, de « sécurité alimentaire ».  Aussi longtemps que le sol congolais ne nourrira pas l’homme congolais, nous continuerons à marcher à reculons, par rapport aux objectifs de l’émergence économique.

À l’issue de mes recherches et analyses, j’en suis arrivé à la conclusion que « le sous-développement est un état permanent de sous-réflexion » (cfr ouvrage cité plus haut). Il y a sous-développement là où il existe un déficit de réflexions, d’analyses, d’esprit critique, de débats publics, de recherche et bien entendu d’enseignement et de formation du capital humain. Tant et si bien que le sous- développement est d’essence culturelle, et de conséquences économiques et sociales. Et le culturel est volontariste, contrairement aux déterminismes géographiques ou historiques qui conditionnent étroitement un destin. Il ne peut y avoir de développement sans esprit de développement.

Un laboratoire d’économie

Cela fait 56 années que nous sommes indépendants politiquement, et que nous avons en continu un ministère de l’Économie Nationale. 

M

ais il manque au pays un « laboratoire d’économie » qui soit insitutionnalisé, laboratoire où convergeraient les résultats des mûres réflexions collectées dans différents « think thanks » disséminés à travers la République. Ce laboratoire servira de matrice pour forger en définitive une « pensée économique nationale » inexistante à ce jour, pensée focalisée sur les solutions de développement propres à notre spécifité. Ladite pensée, consensuelle entre les forces vives de la nation, sera le fil conducteur d’un plan stratégique du développement de l’espace national, plan qui sera ensuite  sanctionné par le Parlement afin qu’il soit exécutoire et opposable à ceux qui nous gouvernent. 

Après l’indépendance politique acquise en 1960, nous n’avons jamais entrepris le chantier de l’indépendance économique. Cette lacune n’est pas attribuable à un homme politique en particulier, ni à un régime ou gouvernement isolé, encore moins à un parti politique ou aux originaires d’une province essentiellement. C’est un échec transgénérationnel qui se perpétue. L’économie est le socle sur lequel repose tout l’édifice national. 

Je vous livre un échantillon d’un exercice académique de « laboratoire de macro-économie », exercice tiré d’un fait économique local. Devant la nécessité de maintenir et d’améliorer les infrastructures routières, le gouvernement a pris la décision judicieuse de financer ces travaux moyennant une contribution des usagers de la route, via un prélèvement à la pompe de distribution des carburants. Ainsi fut instituée la taxe « FONER » (Fond National d’Entretien des Routes). Cette ligne budgétaire rapporte à ce jour 120 millions de dollars l’an.

L’enjeu consiste à choisir entre (i) une gestion classique d’un patrimoine d’entreprise, dans une optique micro-économique faite de risques calculés, et (ii) une gestion audacieuse, avec une vision macro-économique, recourant aux outils de la haute finance et à l’endossement gouvernemental (l’endettement public pour financer le développement). 

Dans la première hypothèse, les recettes budgétaires sont considérées et traitées comme un capital de travail, et par conséquent englouties annuellement dans des chantiers.  La seconde hypothèse nous permet d’anticiper sur les recettes de long terme en les mobilisant dès la première année. La ligne budgétaire aux recettes sécurisées, servira uniquement à garantir le remboursement des prêts (en capital et en intérêts) contractés sur les places financières internationales auprès soit d’institutions publiques internationales, soit de fonds privés multinationaux.  

J’opte pour une simulation, réaliste et courante, d’une anticipation sur 10 ans. Inutile d’insister sur le préalable sine qua non du sérieux dans la gestion des finances publiques, particulièrement la discipline budgétaire, car les agences de notation de la dette souveraine veillent au grain.

Voici une projection du film opérationnel : Mobilisation du premier milliard dès la première année. Les 3 premières années : augmentation annuelle normale des recettes (+5) au rythme de la progression ordinaire du charroi automobile national, sous le double effet de l’expansion démographique et de l’enrichissement des classes sociales. Pas d’accroissement exceptionnel du trafic avant 3 ans, période où les chantiers sont en cours d’exécution.

Quatrième année : premier bond significatif à la fin de la troisième année (+50) quand un premier axe routier à fort potentiel économique est mis en service. Le trafic automobile est dopé par la nouvelle infrastructure (la route aspire le trafic ; il y a plus de km à parcourir, donc plus de consommation de carburants). La circulation aisée pousse à l’achat de nouveaux moyens de transport (véhicules privés comme engins industriels et/ou agricoles). 

Cinquième année : le palier normal de croissance des recettes par inertie passe de (+5) à (+10). Effet catalyseur dû au nouveau tronçon routier. Le niveau des recettes additionnelles (au total +90 depuis la première année) autorise l’emprunt du deuxième milliard.

Sixième année : suite à l’amélioration du cadre économique global par l’avancée des projets routiers, le palier de croissance automatique du trafic et de son corollaire, le revenu fiscal, se fait au rythme de (+20). 

Septième année : deuxième bond significatif des recettes fiscales (+50) du fait de la mise en service du deuxième axe routier à fort potentiel commercial. C’est même une hypothèse minimaliste vu l’embellie du contexte général.

Huitième année et suivantes : dorénavant, l’accélération constante des travaux de modernisation des infrastructures et l’embellie conséquence du cadre économique autorisent un bond continu (de +60) chaque année. La croissance des paramètres économiques est presqu’exponentielle, parce que l’on vient de faire sauter un important verrou structurel qui bloquait la voie vers l’émergence : l’extraversion des infrastructures économiques. Par ailleurs, le niveau du revenu fiscal annuel lié au trafic atteint le seuil de 320 millions, soit un milliard de dollars tous les 3 ans. Dans un tel environnement, le pays pourra négocier des endettements oscillant entre 2 et 3 milliards de dollars par an. Au départ d’une cagnotte de 120 millions de dollars !

Vous remarquerez aussi qu’à la fin de la dixième année, le niveau de la  recette annuelle, dans l’exercice didactique, atteint le seuil d’un demi-milliard de dollars, presque le triple de la courbe de recette dans l’hypothèse d’une gestion pépère, non audacieuse. À titre de référence, la dette publique américaine [plus de 20 000 milliards de dollars] est supérieure à la richesse nationale (PIB annuel) [environ 18 000 milliards de dollars] et engloutit plus de dix années de tout le budget du gouvernement fédéral [autour de 1 800 milliards de dollars].

Et pourtant, les États-Unis sont la première puissance du monde, et leur économie est parmi les plus fortes du Nord, en termes de taux de croissance annuelle, de création d’emploi, et de réduction du chômage. Dans le cas d’école que je viens de développer pour la RDC, l’endettement n’est que de dix fois une seule ligne de recette budgétaire. Je n’ai donc pas péché par excès.

Publications de Mr TUMBA Bob MATAMBA :

•LE DEVELOPPEMENT DU CONGO: promesses, faillites et défis; Imprimeries MEDIASPAUL ; Éditions CALMEC, Kinshasa, 2.006; ISBN: 99951-601-1-0

• THE DEVELOPMENT OF THE DEMOCRATIC REPUBLIC OF THE CONGO: promises, bankruptcies and challenges; Trafford Publishing, USA; 2.009-2.011; ISBN: 978-1-4269-6126-7

• LA RENAISSANCE ECONOMIQUE DE L’AFRIQUE: les signes avant-coureurs d’une puissance en gestation; Édition L’Harmattan, France; 2.013; ISBN: 978-2-336-29764-4

• LA PRIORITE AGRICOLE: RD Congo/AFRIQUE; Édition L’Harmattan, France; 2.014; ISBN: 978-2-343-04392-0