Les entreprises publiques à genoux

La cure de cheval que le gouvernement congolais voulait administrer à ses propres « canards boiteux », a fait long feu. Cinq ans après le début de la mise en œuvre de la réforme de ces établissements, la tâche s’est avérée très ardue pour les différents acteurs impliqués dans le processus. 

Malgré la réforme, la plupart des entreprises publiques sont au bord de la banqueroute. (BEF)
Malgré la réforme, la plupart des entreprises publiques sont au bord de la banqueroute. (BEF)

La quasi-totalité de ces unités sont en banqueroute. Des offres de gestion ou de co-gestion sont poliment déclinées par les potentiels partenaires. Les actionnaires privés ne paraissent pas pressés à traduire leurs intentions, en prise de parts réelles dans les différents capitaux. L’Etat reste le seul actionnaire dans ces entreprises décrétées sociétés commerciales. Le malaise social est en train de ronger, dans ces unités, les derniers remparts de la souveraineté nationale. Deux mois après la suspension du financement du Projet compétitivité et développement du secteur privé (Pcdsp), appuyé par la Banque mondiale, des zones d’ombre continuent de planer sur cette politique nationale ayant visé la requalification des entreprises du portefeuille de l’Etat.

Un des volets de ce programme, accompagné par cette institution de Bretton Woods, s’occupait justement de ce processus. Le Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques (Copirep), organe technique du gouvernement chargé du suivi de ce processus, depuis 2003, a ainsi perdu l’essentiel de ses atouts, en termes financiers. En prévision de ce développement, l’exécutif national avait organisé, en avril dernier à Kinshasa, un atelier, à huis clos, pour évaluer les différents aspects de la réforme. Il avait été alors pris des mesures vigoureuses, de portée proportionnelle au niveau de la déliquescence de ce volet du patrimoine de l’Etat. Jusqu’à ce début du mois de septembre, les faits n’ont pas connu des mutations profondes. Se poursuit, entre autres, le « régime des intérimaires » au sein des organes de gestion de ces entreprises publiques, qui charrient des faiblesses.  En accordant, dans cette approche de réforme, une large ouverture à l’appui international, le gouvernement n’a plus eu des coudées d’exigences suffisantes pour imposer des réajustements, au cours de la mise en œuvre des interventions du programme. Dès 2006, pour rappel, dans une stratégie intérimaire de restructuration de ses entreprises, il avait recruté des missions de stabilisation, afin de les accompagner. Cela a ressemblé à « une gestion de type privé, sous forme d’assistance technique. » Avaient été accolées, respectivement, à la Société nationale des chemins de fer du Congo (Sncc), la société belge Victurius, à la Générale des carrières et des mines (Gécamines), l’entreprise française Sofreco, à la Régie des voies aériennes (Rva), le consortium français Adpi-Kpmg, à l’Office national des transports (Onatra), devenu Société nationale des transports et des ports (Sntp), la firme espagnole Progosa. L’expérience ne s’est pas avérée créatrice de nouveaux ordres économiques et sociaux.

Des passifs non reconstitués par qui de droit   

Sans les inventaires et évaluation du patrimoine, il est impossible de fixer le capital définitif, et, par conséquent, de dresser le bilan de clôture de l’ancienne entreprise publique et le bilan d’ouverture de la nouvelle société commerciale  

Professeur Ilunga Ilunkamba

Le gouvernement a reconnu des limites relatives, entre autres, à la problématique du passif non assurable, à l’inventaire de la situation patrimoniale de ces entreprises, aux dettes croisées entre entreprises. C’est pour cela que le ministère en charge du Portefeuille de l’Etat a organisé un atelier visant à « régler, de manière équitable, le traitement financier et comptable des passifs non assurables » des entreprises publiques transformées en sociétés commerciales et en établissements publics. Au terme de ces travaux, il a été, par exemple, acté qu’au 31 décembre 2011, le montant à prendre en charge par l’Etat était de 1.262.892.443, 4 francs. Mais, il fallait que ces chiffres soient reconstitués par la Direction générale de la dette publique (Dgdp), avec le concours du Conseil permanent de la comptabilité au Congo (Cpcc). Par ailleurs, il avait été constaté qu’aucune entreprise n’avait communiqué une créance judiciaire, pouvant faire l’objet d’un fonds vautour, et qu’aucune de ces sociétés n’a contracté une dette commerciale de plus de 30 ans. Le professeur Ilunga Ilunkamba, alors secrétaire exécutif du Copirep, avait reconnu que le traitement financier et comptable du passif non assurable des entreprises transformées était, dans cette réforme, « un bout du chemin parcouru », mais qu’il restait à franchir d’ « autres étapes, aussi importantes », comme « les inventaires et évaluation du patrimoine, sans lesquels, il est impossible de fixer le capital définitif, et, par conséquent, dresser le bilan de clôture de l’ancienne entreprise publique et le bilan d’ouverture de la nouvelle société commerciale. »

Forces et limites de l’OHADA    

Tout cela se développe au moment de l’entrée en vigueur, depuis le 12 septembre 2012, du droit communautaire de l’OHADA. La RDC en est devenue le 17è membre. Dans une réflexion publiée en mars 2013 et intitulée « La protection des entreprises du portefeuille de l’Etat, en conséquence de l’adhésion de la République démocratique du Congo à l’OHADA », Emery Mukendi Wafwana et Upio Kakura Wapol notent que le gouvernement congolais a « souhaité être assuré sur la protection des sociétés commerciales du portefeuille de l’Etat contre les effets des actes uniformes, en général, et celui relatif aux procédures collectives d’apurement du passif, en particulier, surtout qu’il est établi que le processus de transformation des entreprises publiques étant inachevé, leur disparition aurait un impact négatif évident sur le dynamisme de l’économie nationale, les équilibres macro-économiques et la paix sociale. » Dans leur réflexion, concernant, particulièrement, les « règles applicables aux sociétés soumises à un régime particulier », les deux chercheurs notent que « le législateur OHADA, lui-même, ménage des sociétés soumises au régime particulier, en faisant échapper les biens des sociétés d’Etat au gage général de leurs créanciers, reconnaissant ainsi à ces dernières une immunité d’exécution. » En plus, les prérogatives régaliennes de l’Etat congolais demeurent. « Dans l’organisation et le fonctionnement des sociétés commerciales issues de la transformation des anciennes entreprises publiques, soulignent ces deux experts, il subsiste des éléments de droit public, tels que, la nomination des dirigeants par le président de la République, l’encadrement du désengagement de l’Etat, les liens très forts avec les pouvoirs publics que caractérisent, notamment, les conventions particulières conclues avec l’Etat et les sociétés du portefeuille, qui sont soumises à de sujétions de service public, en vue de définir, notamment, leurs obligations particulières, en rapport avec leur mission de service public, la soumission de ces sociétés au contrôle technique et financier de l’Etat, ainsi que les pouvoirs d’administration et de gestion, assurés par le gouvernement, par le truchement du ministre ayant en charge le portefeuille de l’Etat. » Sur cette question de la réforme des entreprises du portefeuille de l’Etat congolais, les avis sont partagés. Certaines personnes arguent qu’un pas a été franchi dans la bonne direction, d’autres sont sceptiques et d’autres encore sont catégoriques : le processus a déplumé davantage ce patrimoine commun.