Les fortunes de la honte

Comment éradiquer le fléau en RDC, quand on sait que ce qui a été annoncé et fait auparavant, ne l’a été finalement que pour l’affichage ? Pour des observateurs, la lutte contre la corruption est un enjeu national et le nouveau président de la République qui en fait une affaire personnelle, devra prendre le taureau par les cornes : ou ça passe ou ça casse.

QUESTIONS pour un champion : qui sont les riches aujourd’hui en République démocratiques du Congo ? Les politiciens ! Quel impact ont-ils sur la société congolaise ? Aucun ! Comment sont-ils vus dans la société ? Insouciants et suffisants ! Pour le sociologue Donatien Batuala, chercheur au centre Alter de Kinshasa, les riches, surtout les nouveaux riches, font subir au reste de la société une violence sociale inouïe. Une violence banalisée à cause d’une idée reçue, selon laquelle accéder au pouvoir (gouvernement, Parlement, présidence de la République, entreprises publiques, etc.) est une « opportunité de vie » pour s’enrichir. Le sociologue dénonce en passant un processus de déshumanisation, une logique de prédation, une caste qui casse le reste de la société. 

Qu’est-ce qu’un riche, en RDC, aujourd’hui ? La majorité écrasante des Congolais vivent aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté (avec moins de 2 dollars par jour). Celui-ci est défini très précisément. Mais il n’existe pas de « seuil de richesse ». C’est donc très relatif, chacun peut trouver que son voisin est riche. Et pour vivre décemment en RDC, il faut qu’un ménage gagne entre 1 500 et 3 000 dollars.

Un puits sans fond

Sociologiquement, nous dit Donatien Batuala, le terme « riche » est un amalgame. Il mélange des milieux très différents, et regroupe ceux qui sont au top de tous les univers économiques et sociaux : patrons, financiers, hommes politiques, hauts fonctionnaires, etc. Malgré son hétérogénéité, ces « riches » sont une « classe », mobilisée pour la défense de ses intérêts. Et la lutte contre la corruption va aujourd’hui contribuer à créer une contre-offensive dans la guerre des classes. La richesse, poursuit-il, est multidimensionnelle. Bourdieu parlait très justement de capital (capital économique, culturel, symbolique), c’est ce qui donne du pouvoir sur les autres. Par comparaison, la fortune des élites au pouvoir est un puits sans fond, un iceberg dont on ne peut pas imaginer l’étendue.

Les riches vivent dans un cercle restreint, dans un monde parallèle, sans impact sur la vie quotidienne. Ils exercent une violence inouïe. Qui brise des vies, qui atteint les gens au plus profond de leur corps, de leur estime, de leur fierté du travail. Des gens acceptent de vivre aux crochets des intérêts spécifiques des oligarques, comme si ces intérêts spécifiques des dominants sont devenus l’intérêt général.

Les sociologues établissent un rapport entre richesse et réussite. Par richesse sont désignées ici ces opulences dont le commun des mortels découvre l’existence de l’accumulation de l’argent. Et ils entendent par réussite la qualification donnée à cette accumulation pécuniaire : réussite d’être parvenu à faire fructifier un pactole hérité et réussite plus estimée encore quand la richesse accumulée est le résultat d’un mérite, d’un talent particulier, d’une redoutable volonté d’entreprendre, etc.

Vu sous cet angle, beaucoup de gens en RDC auraient honte d’être riches parce que « réussite », « talent », « mérite », « volonté » n’ont pas de place dans leur fortune. Car « réussite », quand il est employé pour qualifier une vie apparaît à l’examen comme particulièrement un terme positif au sens moral. Ainsi, ne justifiera-t-on pas « sa » réussite en disant : « il y a bien plusieurs façons de réussir une vie », comme on l’entend souvent.

Le factice accumulatif

Or la richesse bâtie sur la corruption, cette richesse de quelques-uns qui condamne la multitude à l’échec, cette richesse n’est jamais, en aucun cas, justifiée, légitimée par un quelconque mérite, talent ou volonté. Il y a plus qui devrait provoquer la honte d’être riche. Il y a la servitude imposée à toutes celles et ceux qui servent les riches, il y a le saccage de la société provoqué par des riches dont la richesse accumulée mutile leur pensée et la réduit à un réflexe d’accumulation comme seul sens possible de leur existence qui les autorise à produire l’inutile en quantité dévastatrice pour la population.

Alors que la honte et l’argent devraient faire bon ménage, en RDC c’est le contraire. L’argent, et encore plus le manque d’argent, sont assez souvent associés à la honte et à la culpabilité. Honte de ne pas en avoir assez ; honte de ne pas pouvoir gâter ses enfants, leur offrir les mêmes vacances ou les mêmes vêtements que d’autres familles plus nanties. Culpabilité de ne pas être à la hauteur du rôle du chef de famille qui « assure » financièrement, mais jamais les riches ont la culpabilité d’en avoir trop, quand d’autres n’en ont pas assez ; de n’avoir pas de problèmes financiers à l’heure de la crise ; de pouvoir « claquer » de l’argent à se faire plaisir, quand d’autres ont du mal à boucler les fins de mois. Honte d’être pauvre, mais pas de culpabilité d’être riche…

À y regarder de près, l’état de fortune dépend de la voie professionnelle choisie. Et si vous avez choisi d’être fonctionnaire ou salarié, plutôt que politiciens ou artistes musiciens, votre avenir financier sera plus serein ou ne le sera pas. Être « riche » peut être facile pour les personnes qui ont emprunté le « bon parcours professionnel », la politique. Doit-on pour autant s’en enorgueillir ? On est certainement choqué quand on voit les politiciens se battre pour des postes ministériels et des nominations politiques. Malheureusement, cela finit par devenir un mode de vie, un mode de pensée, une identité à laquelle on s’accroche faute de mieux. L’argent tourne la tête aux politiciens par manque de cheminement de conscience.