Les menuisiers congolais face à la concurrence étrangère

Depuis quelques années, Indiens, Turcs, Chinois… s’invitent au marché des meubles à Kinshasa. Une présence qui inquiète les fabricants locaux qui se disent abandonnés par l’État.

Atelier de fabrication de meubles dans la commune de Ngaliema.
Atelier de fabrication de meubles dans la commune de Ngaliema.

« Nos ventes ont sensiblement baissé ces dernières années. Le marché est devenu trop dur à cause de l’importation, en grand nombre, de meubles venus d’Asie», déclare le responsable d’un atelier, place Météo, dans la commune de Ngaliema. À Bayaka, dans la commune de Ngiri-Ngiri, à Somba Zigida, dans la commune de Kinshasa, ou dans bien d’autres points de vente de mobiliers fabriqués par la main-d’œuvre locale, on enregistre les mêmes plaintes. Selon un menuiser, qui expose des garde-robes et des portes à Bandalungwa, des Indiens, des Turcs et des Chinois ont envahi, depuis quelques années, ce marché. Les meubles importés viennent essentiellement de Dubaï. « Une bonne partie de la clientèle qui achetait chez nous préfère désormais recourir aux meubles importés pour, peut-être, leur décoration tape-à-l’œil. Même les membres du gouvernement consomment étranger. Dans la plupart des bureaux officiels, on trouve ces meubles qui coûtent plus cher que ce que nous fabriquons localement. Pourtant, ils ne sont pas résistants, car fabriqués avec du bois de mauvaise qualité », indique Crispin Mawampovisa, secrétaire général et porte-parole de l’Association des artistes et artisans de Binza (AAAB) qui compte près de mille membres. Face à cette réalité, il attribue la responsabilité à l’État qui, dit-il, n’arrive pas à protéger la main-d’œuvre locale, ni à la promouvoir.

Besoin d’encadrement

Une bonne partie de la clientèle qui achetait chez nous, préfère désormais recourir aux meubles importés pour, peut-être, leur décoration tape-à-l’œil. Même les membres du gouvernement consomment étranger. Dans la plupart des bureaux officiels, on trouve ces meubles qui coûtent plus cher que ce que nous fabriquons localement. Pourtant, ils ne sont pas résistants, car fabriqués avec du bois de mauvaise qualité 

Crispin Mawampovisa

« Malgré nos plaidoyers depuis des années, aucune action n’est initiée par le gouvernement dans le sens d’aider les artisans à améliorer leur travail. Nous ne bénéficions d’aucune subvention. Au contraire, nous sommes soumis au paiement de plusieurs taxes », regrette-t-il. Au payement mensuel de 50 dollars à la Direction générale des impôts (DGI), s’ajoutent la patente annuelle de la Direction générale des recettes de Kinshasa (DGRK), les taxes pour la promotion culturelle et bien d’autres obligations auxquelles ces artisans doivent se soumettre.

Dans chaque atelier, il y a en moyenne par an trois jeunes qui apprennent le métier sur le tas. L’AAAB regroupe les responsables de 136 ateliers. Cela fait annuellement au moins quatre cents jeunes formés à la menuiserie. Rien que pour cet aspect des choses, le gouvernement devrait se donner la peine de soutenir ces jeunes dont la plupart ont raté leur parcours scolaire, souligne le secrétaire général de l’AAAB. « A cause des difficultés financières, j’ai arrêté mes études en troisième secondaire. C’est depuis 2012 que j’apprends la menuiserie dans cet atelier », raconte ce jeune de 19 ans en train de travailler sur une latte de bois pour une garde-robe. Son maître, qui a créé son propre atelier il y a quatorze ans, a emprunté le même chemin. Il fut élève dans un autre atelier, juste à côté. « Ils sont nombreux, les jeunes qui, grâce à l’apprentissage de ce métier, se sont détournés de la délinquance et dirigent aujourd’hui leurs propres ateliers et sont devenus de grands responsables dans la société », affirme Crispin Mawampovisa. Et d’ajouter : « Plus de 80 % des menuisiers membres de notre association n’ont pas fait de longues études. Mais ils produisent des ouvrages de qualité, appréciés de tout le monde et sont capables de réaliser bien plus avec l’appui du gouvernement ».

Industrialisation 

Crispin Mawampovisa plaide également pour l’industrialisation de la menuiserie afin que la République démocratique du Congo puisse exporter ses meubles. « Nous avons surtout besoin de machines modernes pour la finition des meubles. Quelques étrangers commandent  nos produits et les emportent dans leurs pays parce qu’ils sont convaincus de la  qualité de ce que nous faisons. Le savoir-faire est là, mais il reste l’accompagnement du gouvernement qui se fait toujours attendre », ajoute-t-il. Toutes les promesses des autorités pour appuyer les artisans et les artistes sont restées lettre morte. Le 13 novembre, Guy Matondo Kingolo, ministre provincial chargé des Finances, de l’Économie, du Commerce, de l’Industrie, des Petites et moyennes entreprises et de l’Artisanat, a exigé un répertoire de tous les artisans et artistes de Kinshasa, au cours d’une réunion avec les délégués de ces derniers. Crispin Mawampovisa a pris part à cette réunion. À l’en croire, c’est une identification qui répond beaucoup plus à un besoin fiscal qu’à la promotion de l’artisanat. Le porte-parole de l’AAAB plaide ainsi pour la création d’un ministère exclusivement réservé aux artisans et qui devrait suivre de près leur situation. « Au niveau national, par exemple, nous sommes inclus dans le ministère en charge de la Culture et des Arts. Mais, on constate que la priorité est plus accordée aux musiciens et comédiens », se désole-t-il. « Tout le monde a besoin d’un menuiser. Dans des pays comme le Burkina Faso, l’artisanat est le socle de l’économie nationale. Pourquoi cela ne peut pas être le cas en République démocratique du Congo ?  », se demande-t-il.


 Tout pour embellir sa maison

Garde-robes, lits, fauteuils, chaises en bois, portes, lits,… tout pour meubler sa maison est exposé à la place Météo, l’une des grandes références dans la fabrication et la vente des mobiliers made in RDC, dans la capitale. Le long de la route de Matadi, beaucoup restent admiratifs devant la qualité du travail fourni par la main-d’œuvre locale. Pour se procurer quelque chose dans ce marché où tout se discute entre le vendeur et le client, il faudra avoir au minimum 500 dollars pour  un salon et au moins 200 dollars pour des chaises et une table pour la salle à manger. Pour une garde-robe, il faudra débourser entre 200 dollars pour deux portes, 300 (trois portes) et 400 (quatre portes). Les mêmes montants sont à prévoir pour l’achat d’une porte selon la qualité et les dimensions. Les lits peuvent aller de 150 à 400 dollars. Un meuble pour ranger les livres se négocie entre 85 et 100 dollars, alors qu’un meuble à chaussures coûte à partir de 60 dollars. Certains clients préfèrent commander des meubles en fonction de leurs goûts. Tout est fabriqué avec des bois comme l’aframosia, le kambala, le ntola, l’ébène. Mais les trois premières essences sont les plus utilisés, à en croire un menuiser. Ces bois viennent essentiellement du Bas-Congo, du Bandundu et de l’Équateur.