Les Rothschild, une famille face à la haine (suite)

Cause aggravante aux yeux de ces contempteurs : le pouvoir des Rothschild s’étend au-delà des frontières. Dans l’ensemble de l’Europe, les cinq flèches de la famille, implantées à Francfort, Vienne, Londres, Naples et Paris, savent effectivement viser un but commun en cas de nécessité. Sous l’Empire, alors que Napoléon s’imposait en Europe continentale, les banques de Paris, Francfort et Londres continuaient à mener des transactions secrètes. « Il n’y a pas de meilleure preuve de ce fantastique concept d’un gouvernement mondial juif que cette famille, les Rothschild », en conclut Hannah Arendt. Ces « citoyens de cinq pays différents » n’ont « jamais un instant remis en cause la solidarité des banquiers », affirme la philosophe, dans une analyse qui lui a été reprochée, tant elle nourrit les mythes antisémites.

Détermination redoublée

Et, en effet, aujourd’hui encore, les traductions dégénérées d’une telle analyse ne manquent pas. Un site Internet des « gilets jaunes » de Corrèze prête à Jacob Rothschild, descendant de la branche britannique, des propos de maître du monde : « Tout nous appartient : vos chaînes télé, vos journaux, tous vos médias, votre pétrole et tout et tout. Et même vos gouvernements ! »

Plus grave, cette théorie du complot mondial, à force d’être martelée, a fini par se retrouver en bonne place dans un magazine de BNP Paribas, à l’hiver 2019 : « La famille Rothschild est à la tête de la quasi-totalité des banques centrales de la planète ». Sa source ? Des fake news qui rebondissent aux quatre coins du Web depuis 2013. L’article a finalement été retiré. Mais, en privé, les Rothschild ont jugé bien lente la réaction de BNP Paribas et de Jean-Laurent Bonnafé. « Face à de telles poussées d’antisémitisme, parfois je me dis : à quoi bon… Avant de redoubler de détermination », assurait Ariane de Rothschild dans son entretien au Monde. Il faudra quelques siècles encore sans doute de cette détermination. « Sans le vouloir, le nom des Rothschild exalte les passions qui sommeillent toujours dans le coin des âmes les plus tranquilles », écrivait déjà le journal Gil Blas en 1904. Une famille aussi symbolique que les Rothschild ne pouvait leur échapper. Les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, inlassables observateurs de la grande bourgeoisie depuis trente ans, ont inscrit la dynastie de la finance à leur tableau de chasse dès 1998 dans un livre titré Les Rothschild, une famille bien ordonnée. « Cette famille est emblématique de la classe dominante, qui concentre et conserve son patrimoine grâce à la culture du réseau et de l’entre-soi, décrit Monique Pinçon-Charlot, au détriment des classes moyennes et modestes. » 

À respectivement 74 et 78 ans, Monique et Michel Pinçon-Charlot n’appartiennent pas à la catégorie des chercheurs habités par le doute. Dans leur récent opus sur Emmanuel Macron, sobrement intitulé Le Président des ultra-riches, ils prétendent même « démontrer » que l’actuel chef de l’État a été élu grâce aux puissances de l’argent et à des médias téléguidés par une poignée de milliardaires. L’ennui, c’est que ce travail prétendument universitaire se borne à compiler des coupures de presse, des resucées d’analyses d’économistes bien connues telles celles de Thomas Piketty, ou des propos de tribune d’élus de La France insoumise. 

Au point que Julien Damon, professeur à Sciences- Po, y voit « un exercice frauduleux de la sociologie » où « les riches sont dominants et mal intentionnés et les dominés bienveillants et exploités »… Qu’importe, les Pinçon-Charlot, chevaliers de la Légion d’honneur, poursuivent leur croisade et continuent d’exploiter le filon des brûlots anti-riches : leurs ouvrages s’écoulent à des dizaines de milliers d’exemplaires. Et leurs affirmations font toujours dans la dentelle, comme cette saillie de la sociologue : « Si un mouvement de gauche anticapitaliste empêche la réélection d’Emmanuel Macron, vous verrez que l’oligarchie financière se rabattra sur Marine Le Pen ! » Qui profite déjà du souffle des Pinçon- Charlot sur les braises du populisme.