L’État doit imposer la traçabilité des biens et avoirs des gouvernants et créer un parquet financier

Dans la ville de Kinshasa, la rumeur attribue tel chantier ou telle villa à tel ministre ou à tel autre général ou directeur général d’entreprise… Passons et de meilleur ! Tour d’horizon.

EN FRANCE dont nous nous inspirons du jeu démocratique, la déclaration de patrimoine, c’est tout comme un bilan patrimonial avec ses actifs et son passif, dans sa rédaction. Elle englobe l’ensemble des biens à déclarer : le patrimoine immobilier (propriétés bâties et non bâties), le patrimoine financier (valeurs mobilières, assurance vie, comptes bancaires ou d’épargne, livrets, espèces, comptes-courants de société), le patrimoine professionnel (fonds de commerce, clientèle, charge et office), et autres (meubles, collections et objets d’art, bijoux, pierres précieuses, or, véhicules, bateaux, avions, cheval de course, mais aussi parts de copropriété d’un navire, biens immobiliers et comptes détenus à l’étranger, stocks options). Mais aussi les dettes et les sommes restant à rembourser.

En France, les élus et les dirigeants doivent déclarer leur patrimoine. Il existe une commission chargée de la transparence financière de la vie politique. C’est au président de cette commission que la déclaration est adressée. Le rôle de la commission est d’apprécier l’évolution de la situation patrimoniale, pour savoir si les élus et les dirigeants n’ont pas bénéficié d’enrichissement anormal dû à leur fonction. En France, la publication de la déclaration de patrimoine des candidats à l’élection présidentielle a été érigée en principe à partir de 2017.

Chez nous, le Parti national pour la démocratie et le développement (PND) a préconisé que les biens et les émoluments de ceux qui nous gouvernent soient régulièrement publiés. Ce parti estime que dans le cadre de la nouvelle citoyenneté, l’État doit imposer la traçabilité des avoirs des gouvernants pour éviter l’enrichissement illicite. Pour sa part, Moïse Katumbi Chapwe avait émis l’idée d’une table ronde pour amener les hauts commis de l’État à s’expliquer sur l’origine de leur patrimoine. Ailleurs, soutenait-il, ce que touche un chef d’État, un 1ER Ministre, un ministre, un député, un magistrat, un professeur, un PDG… est connu, parce que c’est l’argent public.

Un parquet financier !

Vincent Matima, un activiste des droits de l’homme, souligne : « L’utilité d’une déclaration de patrimoine, c’est de comparer la richesse d’une personne au moment de son entrée en fonction et sa richesse au moment de la sortie de sa fonction. Cela permet de vérifier qu’il n’y a pas eu d’enrichissement personnel durant le mandat ». 

De son point de vue, Vincent Matima pense que c’est sur les élus que l’effort de contrôle doit surtout être porté. « Il y a une absence totale, ou quasi totale, de contrôle de l’activité des membres du gouvernement, des parlementaires, des gouverneurs de province… Ces derniers disposent de l’argent public comme ils disposent de leur poche. Ils sont des PME avec de trop larges marges de manœuvre », déclare-t-il. 

Il est indispensable, estime Vincent Matima, de créer un parquet national financier, comme en France, qui réalise un travail ambitieux et courageux. « Notre législation ne progresse pas malgré les scandales. Certes, il ne faut pas faire des lois dans une certaine précipitation, mais avec une réelle stratégie globale. », conseille-t-il. « Il faut que les scandales d’enrichissement illicite, de conflit d’intérêts, de corruption… atterrissent au parquet compétent qui a la possibilité de déclencher une procédure pénale », préconise Vincent Matima.

Les scandales s’accumulent

Dans la ville de Kinshasa, tout se sait, au point que s’il y avait un code nucléaire au pays, c’est tout le monde qui serait au parfum de la combinaison. Un tour dans la capitale suffit pour se convaincre de l’accumulation des scandales sur l’enrichissement sans cause des hommes qui nous dirigent. Souvent, ce sont les proches et les collaborateurs de leurs « Excellences » qui dévoilent le pot aux roses. « Vous savez… tel immeuble appartient à mon ministre, il en a d’autres encore dans la ville. Il a également acheté un appartement en Belgique… », confient-ils. 

« Tel, avant de devenir député en 2011, louait une maison à Bandalungwa. Il a construit à Lemba un immeuble R+2. Il a aussi acquis une propriété à MaCampagne », le vieux quartier VIP de la capitale. Tel autre est sénateur depuis 2006. Il a déménagé du quartier populaire de Matete où il a vécu des décennies pour s’installer à MaCampagne. Il possède des baleinières, des fermes, etc. Il se raconte à Kinshasa que tel ancien, 1ER Ministre, avait par centaines des chantiers de construction  quand il était aux affaires. Tel autre est assis sur un empire immobilier au pays et à l’étranger, dont il s’est construit en si peu d’années.Dans les ministères, il se raconte que leurs « Excellences » se livrent à leur « sport favori », à savoir la « chasse aux commissions ». Il y a eu même un ministre dans ce pays que l’on a surnommé « Monsieur 30 % », tellement qu’il ne faisait pas passer un dossier sans exiger la « commission », en réalité un pot-de-vin. Des investisseurs qui débarquent en République démocratique du Congo en savent quelque chose. Pour signer un protocole d’accord, il faut laisser des « plumes » en espèces sonnantes et trébuchantes via des intermédiaires.

Tout-Kin détient une foison d’anecdotes sur l’enrichissement personnel des dirigeants sur le dos et au détriment de l’État, souvent avec les moyens propres de l’État. Tenez : un ancien ministre sous le cabinet Matata avait sollicité des moyens de l’État, prétextant réhabiliter le bâtiment abritant son bureau, environ 100 000 dollars. En réalité, c’était pour refaire la toiture de sa villa à Binza.