L’État piégé par le carriérisme politique

En Afrique, le parti ou la majorité au pouvoir a un sacré avantage sur les autres. On l’accuse souvent de financer ses activités et la campagne électorale avec l’argent public. Ici et là, on entend souvent : « être opposant, c’est mourir pauvre ». Quitte à traverser le Rubicon.

DANS LA VIE politique, les partis ont aussi une fonction de direction. Leur objectif, avons-nous dit, est la conquête et l’exercice du pouvoir, afin de mettre en œuvre leurs projets annoncés lors des campagnes électorales. Dans la conception traditionnelle de la démocratie, les politologues sont à peu près d’accord que c’est le pouvoir exécutif qui est en charge de l’intérêt national, indépendamment des partis. Mais que ceux-ci assurent bien la conduite de la politique nationale, par l’intermédiaire de leurs représentants au gouvernement et dans la majorité parlementaire. 

En Afrique, la tendance aujourd’hui est au carriérisme de la vie politique, c’est-à-dire les politiciens donnent la priorité à leur carrière plutôt qu’à des valeurs comme le vouloir vivre en communauté, le bien-être collectif, l’intérêt général de la communauté, la justice, l’équité, l’État de droit… Dans la pratique même de leurs activités, on observe que le carriérisme prend le pas sur toute autre préoccupation. 

Les calculs politiques montrent que les partis politiques ont pris l’État en otage. On ne peut pas accéder à des hautes fonctions ou exercer un mandat public en dehors d’un parti, de surcroît du parti ou de la coalition au pouvoir. Ainsi, l’opposition n’a pas sa place dans le jeu démocratique, réduite à sa portion congrue. Pour contourner le piège de l’isolement politique, les politiciens ont instrumentalisé en la transformant en une caisse de résonnance pour se faire valoir. L’opposition, « cette blanchisseuse » est devenue un fonds de commerce pour s’attirer les grâces du prince ou du régime au pouvoir. C’est pourquoi dans certains pays, comme la France, le cumul et le nombre des mandats sont limités. 

Les partis ont donc acquis un rôle de sélection des responsables appelés à gouverner le pays et à diriger les entreprises publiques. Les chefs de partis ou les « autorités morales » comme on les appelle aujourd’hui, se sont arrogé « le droit de vie ou de mort » politique sur les adhérents ou leurs « accompagnateurs » en politique. Ce sont eux qui décident des ministrables, des « Adégeables », des « députables », des « ambassadables »… C’est pourquoi, il faut avoir des moyens financiers conséquents pour diriger et faire fonctionner pleinement un parti. 

Comment les partis politiques se financent-ils ? Il est vrai que les cotisations des adhérents, les dons particuliers, les contributions des élus, en l’absence du financement public, ne suffisent pas pour faire fonctionner l’administration du parti ni pour financer les campagnes électorales et les autres activités. Et les fondateurs de partis, quoique certains ont des poches assez longues, ne peuvent supporter tout le coût financier du fonctionnement d’un parti.

Une enquête du Centre des études alternatives montre que l’argent public est la principale source de financement des partis politiques en Afrique en général. 

« Tous se battent pour entrer au gouvernement, être au Parlement, dans les institutions, et diriger les entreprises du portefeuille de l’État… Tout le monde cherche et veut un poste juteux pour se remplir les poches (…) », lit-on dans cette enquête. 

Un homme politique de l’opposition, membre du gouvernement actuel, a confié un jour aux journalistes qu’il n’était pas venu à la politique pour accompagner les autres. « Je fais la politique pour gagner de l’argent », a-t-il lâché. On peut multiplier à l’infini des exemples qui montrent que la politique est devenue en République démocratique du Congo un vrai business, au propre comme au figuré.

Tous à la mangeoire !

Depuis le 24 avril 1990, d’anciens dignitaires du régime déchu de Mobutu et de nouveaux politiciens grossissent les rangs de l’opposition, dont ils se servent comme une échelle pour accéder au pouvoir, donc aux caisses de l’État. 

Le mode opératoire est connu de tous : « Tenez-moi, sinon je fais un malheur ». Dans un essai à paraître sur la classe politique en RDC, Jean-Marie Kidinda, politologue, écrit : « Des soi-disant opposants passent leur temps à longueur de journées à la télévision pour injurier le président de la République et sa majorité. Puis on se laisse approcher, on la ferme, en contrepartie d’un portefeuille au gouvernement ou d’un autre poste : ambassadeur, ADG, gouverneur… Le tour est joué et on se transforme en défenseur acharné du président qu’on a traité de dictateur. Ceux qui sont au pouvoir, cherchent à s’y éterniser par tous les moyens. C’est cela la politique en Afrique ». 

Elias Ramazani Shidi, sociologue, pense qu’il faut définir dans une loi « les règles relatives à la transparence financière de la vie politique », et s’interroge sur ce que l’on fait de la Déclaration de patrimoine, « un devoir constitutionnel et une exigence de transparence ». 

Selon l’article 99 de la constitution, le chef de l’État et les membres du gouvernement sont tenus de déposer endéans 30 jours leur Déclaration de patrimoine devant la Cour constitutionnelle, à l’entrée en fonction. Ils doivent faire le même exercice dans les 30 jours à dater de la fin de leur mandat. 

Le même article prévoit le contrôle et les poursuites éventuelles en cas de constat d’enrichissement personnel ou illicite. « Aujourd’hui, il est passé dans l’imaginaire du Congolais mais aussi dans la symbolique collective que pour gagner facilement l’argent en RDC, il faut faire la politique. C’est là toute la problématique de l’exercice du mandat public dans le pays », souligne-t-il. Elias Ramazani regrette qu’aucune « sanction ne soit appliquée alors que tout le monde voit comment les membres du gouvernement, les élus et les mandataires publics changent de train de vie du jour au lendemain ». 

Politiciens pleins aux as

La scène politique congolaise est aujourd’hui plurielle. Les jeunes pousses aux dents longues côtoient les fossiles des années 1950-1980. Tous ont pour dénominateur commun : l’enrichissement personnel. Jules Bambi M. explique que les politiciens sont tout, sauf « des idiots ». « Ils savent, dit-il, que l’argent est le meilleur moyen de demeurer aux affaires le plus longtemps possible ». 

Pour cela, il faut être dans la majorité au pouvoir, là où on se sert sur la bête. Puisqu’on n’est pas dans le commerce, mais plutôt dans la gestion des affaires publiques demeurant éminemment politiques, il faut casser les codes moral et sociétal. 

Nombreux qui n’étaient rien au départ, avant d’entrer au gouvernement, sont devenus aujourd’hui des politiciens pleins aux as. Tel s’est transformé en Père Noël et en Armée du salut. C’est lui qui occupe les jeunes dans sa commune en organisant des tournois sportifs, c’est lui qui supporte les frais funéraires, scolaires et de santé. 

Bref, il est devenu un DAB (distributeur automatique de billets)… Tel ministre, tel élu, partis de rien, étonnent et détonnent par le nombre de chantiers de construction qu’ils ont ouvert dans la ville, les voitures qu’ils changent…