L’Europe face à la radicalisation de sa jeunesse

En Europe, les jeunes se rebellent à nouveau. En témoigne l’opposition d’une partie d’entre eux à une coalition entre le SPD et la CDU, qui menace Merkel en Allemagne. En 1968, leurs parents manifestaient pour ne pas entrer dans le système. Eux le font parce qu’ils en sont exclus.

 

Les Jusos vont-ils tout mettre par terre ? A l’écoute de leur charismatique leader, Kevin Kühnert , les jeunes du Parti social-démocrate allemand s’enthousiasment, mènent campagne et recrutent pour faire capoter l’accord de grande coalition conclu avec la CDU-CSU d’Angela Merkel. La rébellion du « NoGroKo » séduit tant qu’elle rend incertain le vote approbatif des 450.000 militants du SPD. Le résultat sera connu le 4 mars. Un vote négatif plongerait l’Allemagne dans le chaos. Angela Merkel pourra-t-elle gouverner sans majorité ? Devra-t-elle appeler à des nouvelles élections ? Au risque de voir augmenter le score de l’extrême droite AfD ? Au risque, surtout, de rendre très difficile la relance de l’Europe dont rêvent les dirigeants du SPD en accord avec Emmanuel Macron. La jeunesse allemande pense autrement. Elle dit non, elle préfère l’opposition, elle choisit la radicalité et le dégagisme.

En janvier, à Londres, lors du colloque franco-anglais, un Britannique racontait qu’il avait rencontré la veille un Duke défait, abasourdi. Le très honorable et fortuné Duke qui doit posséder des quartiers entiers de Londres avouait : « J’ai deux fils, je viens d’apprendre que tous deux votent Corbyn. » Ils ne sont pas les seuls. En Grande-Bretagne, ils seraient deux sur trois à se laisser tenter par le radical et antique leader du Labour . En France, un jeune sur trois aurait voté pour Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle. On retrouverait partout en Europe des attirances semblables.

Taux de chômage élevé

Cinquante ans après Mai 68, les jeunes se radicalisent. Mais, au-delà de l’attirance éternelle de l’adolescence pour l’utopie, leur révolte n’a rien à voir. Leurs parents refusaient d’« entrer dans le système », eux manifestent parce qu’ils en sont exclus. Et avec raison. La crise financière se termine, la croissance est repartie, le chômage baisse, même en France l’emploi retrouve son niveau de 2007 . Sauf pour les jeunes. Leur taux de chômage (moins de 25 ans), monté à 23,7 % en 2013, n’est redescendu péniblement qu’à 19,4 % (moyenne zone euro). Seule l’Allemagne (6,7 %) fait exception. Le taux culmine à 46,5 % en Grèce (chiffres d’août 2016), à 40,5 % en Espagne, 34,1 % en Italie, 23,7 % en France. Les jeunes étaient les premières victimes de la crise, ils sont les derniers à voir se rouvrir les portes de l’emploi.

Inégalités entre générations

Les inégalités générales ne se sont pas creusées en Europe durant la crise, contrairement à l’idée répandue. Mais il y a une exception : l’inégalité entre les générations. « La jeunesse est laissée pour compte », résume Christine Lagarde, directrice générale du FMI, en avant-propos d’ une étude que vient de publier cette institution  (1).

La liste des handicaps que doivent affronter les moins de 25 ans s’est allongée depuis dix ans. Leurs revenus sont plus faibles parce que, pendant des périodes accrues, ils n’accèdent qu’à des jobs intérimaires ou à des temps partiels subis. Un quart d’entre eux est menacé de tomber dans la pauvreté, taux qui a augmenté alors qu’il a baissé pour les autres âges, en particulier chez les seniors.

Avantages aux seniors

Les prestations sociales importantes en Europe ont joué leur rôle globalement, mais elles n’avaient pas été faites pour les jeunes. « Les dispositifs de protection sociale se sont révélés mal adaptés pour lutter contre la pauvreté croissante des jeunes. Ils protègent efficacement les revenus réels des personnes âgées des effets de la crise mais n’offrent qu’une assistance limitée aux jeunes sans emploi », note le FMI. La proportion des jeunes qui obtiennent une indemnité de chômage n’a cessé de décroître depuis 2007. Plus de 60 % de l’augmentation des dépenses sociales depuis une décennie a été réservée aux seniors.

Plus de 60 % de l’augmentation des dépenses sociales depuis une décennie a été réservée aux seniors.

La persistance du chômage de longue durée élevé laisse présager un effet « génération perdue ». Les jeunes restés des mois au chômage risquent de retrouver plus difficilement un emploi, d’être moins rémunérés et de ne jamais pouvoir combler le retard de salaires qu’ils ont au départ. Les étudiants qui ont emprunté pour leur cursus vont peiner, déjà 12 % ont  des graves difficultés de remboursement (moyenne européenne). « Le problème du chômage et de la pauvreté des jeunes atteint des proportions macroéconomiques dans plusieurs pays européens. Même si la reprise en cours améliore les possibilités d’emploi des jeunes, les décideurs doivent redoubler d’efforts pour éviter que les jeunes d’aujourd’hui ne se retrouvent davantage exclus », conclut le FMI, qui redoute « des conséquences durables sociales et politiques ».

Adapter la protection sociale

La source première de ces discriminations est le marché du travail. C’est là que tout se joue. D’où l’insistance du FMI à y conduire des réformes « pour créer des emplois et inciter à travailler ». Il faut ensuite « réduire le déficit de qualifications des jeunes ». Ces deux réformes, travail et éducation, sont en cours en France mais aussi dans nombre d’autres pays. Mais deux autres propositions du FMI vont plus loin. La première est d’« adapter le système de protection sociale », de rebasculer certains avantages entre les générations, en clair de prendre dans la poche des seniors pour donner aux juniors. Voilà de quoi jeter de l’huile sur le feu d’un débat à peine ouvert en France avec  la hausse de la CSG sur les retraite s. L’autre proposition est… d’élever les impôts sur la fortune. La fiscalité est devenue moins progressive que dans les années 1970, il faut réinverser le cours. Iconoclaste FMI ? En tout cas, les radicaux votant Kühnert, Corbyn ou Mélenchon appellent à agir radicalement.

(1) « Inequality and Poverty across Generations in the European Union », 24 janvier.