L’exploitation illégale de la forêt pénalise l’économie congolaise

Le bois ne participe que de manière insignifiante à la formation du PIB.  Son exploitation est détenue à 87 % par le secteur informel et/ou illégal.

La République démocratique du Congo(RDC) est considérée comme un empire forestier.  La forêt couvre 67 % de sa superficie évaluée à 2 345 200 km2. Elle renferme plus de 1000 essences identifiées dont certaines très recherchées dans le monde. Citons, à titre d’exemples, le Kambala, le bois d’Ebène, le Tiama, le Sapelli, le Sipo, l’Accajou d’Afrique, le Wenge, l’Afromosia, le Limba, le Bomanga, le Limbali.

En dépit de toutes ces énormes réserves, le pays n’est pas réputé comme un grand producteur de bois. En cause ? L’absence d’une  bonne politique d’exploitation et de gestion de la forêt durant des décennies.  A ce jour, plus de trois quarts de la production de bois du pays sont exportés sous forme de grumes.  En 2012, d’après les statistiques publiées par la Coalition nationale contre l’exploitation illégale du bois en RDC (CNCIB), le secteur informel/illégal, vient en premier.  « Il a accaparé une production atteignant plus de 4 millions de mètres cubes ».

En deuxième position arrive la production du bois d’œuvre, par le secteur industriel, avec ses 75 concessions forestières. La quantité produite a été de l’ordre d’environ 300 mille mètres cubes par an.  Enfin, le secteur artisanal, formel, avec 45 artisans déclarés, avait produit 40 mille mètres cubes.

De l’avis des experts et des Organisations non gouvernementales (ONG) de la filière,  il existe un circuit parallèle d’exploitation et d’exportation du bois congolais.  Ils font observer que « d’importants volumes de ce bois (issu d’exploitation illégale)  sont exportés de l’Est de la RDC vers les pays voisins, mais qu’ils n’étaient pas enregistrés dans les statistiques officielles. » Au total, dix grandes compagnies forestières sont responsables d’environ 90 % de toutes les récoltes sous licence du pays.

Deux grandes compagnies forestières seulement, à savoir Siforco et Sodefor (ex-Forescom), sont responsables de la moitié de toutes les coupes et exportations enregistrées officiellement.

Jusqu’en 2007, l’Union européenne(UE) était le principal marché d’exportation du bois congolais avec plus de 90 %  des parts.  Cette tendance a néanmoins décliné.  En 2012, l’UE et la Chine se partageaient le marché avec 50% pour chacune. Le marché domestique, pour sa part, est principalement approvisionné par du bois artisanal, c’est-à-dire coupé de façon empirique.

Un énorme manque à gagner 

Ailleurs, le secteur forestier est considéré comme un des leviers du développement économique du pays.  Cette affirmation a plusieurs fois été réitérée par les dirigeants congolais. Malheureusement, l’exploitation du bois est à forte dominance informelle et/ou illégale.  Elle ne cesse de s’amplifier et de saper les efforts conjugués par le gouvernement et ses partenaires.

Ce type d’exploitation, estime le CNCIB, menace les forêts congolaises et va à l’encontre des lois et règlements en vigueur y compris les dispositions des conventions internationales ratifiées par la RDC pour la gestion durable des ressources forestières.

Analysant  les maux qui rongent  ce secteur, ce groupe multi-acteurs, a identifié une litanie de problèmes qui empêchent à la RDC de rendre bénéfique l’exploitation de sa forêt.  Parmi les maux épinglés, sont fustigés, notamment, l’octroi aux exploitants de permis illicites par des autorités centrales et décentralisées ; l’opacité dans la gestion de contentieux ; les contradictions entre certains textes réglementaires ; les conflits de compétences entre l’administration centrale et décentralisée ; l’implication de divers services (Police nationale, Direction générale des migrations, Armée, etc.); l’implication des étrangers et personnes morales dans l’exploitation artisanale en violation de la loi ; l’opportunité donnée à tous d’exploiter et d’exporter le bois sans orientations d’aménagement ainsi que l’inefficacité des services de contrôle. Tous ces maux, pensent ces activistes de défense de l’environnement, « concourent à l’exploitation et à l’exportation illégale du bois congolais ».

Cette situation pénalise l’économie nationale et diminue le capital naturel de la RDC.  Les conséquences sont énormes en termes de « pertes des recettes fiscales, accélération de la déforestation et dégradation des forêts », explique le CNCIB.

Cette incidence est perceptible même dans la contribution du secteur forestier au budget de l’État.  En janvier 2014, par exemple, le ministre délégué aux Finances, Patrick Kitebi,  avait indiqué, au cours d’une intervention publique que ce secteur avait contribué pour « 4 petits millions de dollars » des recettes enregistrées durant les six premiers mois de l’année. Légendaire est presque cette modicité des recettes.

En 2007, la participation du secteur forestier au Produit intérieur brut (PIB) tournait autour de 1 %, d’après les chiffres de la Direction générale des recettes administratives domaniales et de participation(DGRAD).  La RDC a ainsi le plus faible taux de participation du secteur forestier au budget national comparativement aux pays du bassin du Congo, comme le Cameroun (6%), le Gabon(6%) et la République du Congo(11%).

Chatham House, bureau d’expertise internationale dans le secteur forestier, avait réalisé un bilan de la matière bois pour  évaluer le manque à gagner que réalise la RDC. Il a dressé une comparaison entre l’approvisionnement en bois (les coupes légales officielles plus les importations) avec la consommation effective (les exportations réelles et l’utilisation domestique réelle).  La différence entre la consommation et l’approvisionnement légal donnant une indication de l’étendue de l’exploitation illégale.  Cette analyse, qui s’est limitée à l’offre et à la demande des grumes et des sciages, avait fait clairement ressortir que la récolte réelle en 2011 en RDC était de 2 400 000 mètres cubes.  Ceci correspond à plus de huit fois la récolte officielle, publiée, évaluée à 300 000 m3/an.  La différence de 2 100 000 mètres cubes dégagée  est le fruit d’une exploitation illégale. Elle dépasse, selon les experts,  les volumes de récolte officielle sous licence et enregistrée.  Chatham House conclut dès lors que « 87 % de l’exploitation forestière en RDC est illégale ».

Pillages et bradages du bois 

La forêt congolaise souffre aussi du pillage et du bradage de ses essences. Plusieurs ONG ont,  à maintes reprises, dénoncé  l’exploitation illégale qui l’entoure.  « Coupes illégales, grumes maquillées, permis artisanaux détournés » sont là les combines courantes par lesquelles passent les sociétés multinationales pour échapper au processus légal de l’exploitation de la forêt en RDC.

En 2013, un journaliste de l’Agence France Presse (AFP), citant un expert, sous anonymat, a fait une révélation accablante concernant le bradage du bois congolais.  Cet expert a révélé qu’« un mètre cube de Wenge, bois qui sert à la décoration, valait 5 dollars dans la forêt lors de son achat légal à des communautés locales.  Arrivé au port et chargé sur un bateau, il coûte 450 dollars, les taxes étant définies sur ces montants, alors qu’en Europe il est vendu entre 5 000 et 8 000 dollars », avait-il indiqué.  « Le manque à gagner est énorme pour l’État congolais et les populations », s’était-il indigné.

« En forêt, le bois se monnaie et s’échange contre des paquets de cigarettes, un sac de farine ou un fusil de chasse », a raconté le même expert, qui a travaillé dans le secteur plusieurs années à Kinshasa.

Des opérations de saisie des grumes sont pourtant légion. Elles sont souvent rendues possibles grâce aux alertes des ONG,  à l’instar de Greenpeace ou du Fonds mondial pour la nature(WWF).  Mais souvent « les sanctions ne suivent pas », déplorent les défenseurs de l’environnement.

Pourtant ce ne sont pas les infractions qui manquent.  Les services du ministère de l’Environnement et de la Conservation de la nature mettent régulièrement la main sur des grumes de bois en provenance des provinces de l’Equateur et Orientale. Ces services reprochent souvent aux entreprises le non-respect de leurs engagements vis-à-vis de la population locale. Selon eux, ces sociétés n’ont jamais respecté les clauses sociales en termes de création d’emplois, de construction d’écoles et d’autres infrastructures hospitalières et routières.

Et si la RDC interdisait l’exportation des grumes ?

Ce ne sera pas pour la première fois que la RDC prendrait une telle mesure.  En 2002, Laurent Désiré Kabila, président de la République, avait pris une mesure interdisant l’exportation des grumes.  Les autorités de l’époque avaient justifié cette mesure pour endiguer « la fraude massive » constatée dans le secteur et par la nécessité d’y remettre de l’ordre.  Une commission de l’industrie du bois réunissant les exploitants forestiers et les experts ministériels avait été mise en place.  L’objectif était de trouver les voies et moyens pour rentabiliser et jeter les bases de l’industrialisation du bois. Plus d’une trentaine d’entreprises forestières avaient été ainsi frappées par cette mesure.

La Fédération des entreprises du Congo (FEC), le patronat national, avait adressé une série de propositions au gouvernement pour une meilleure exploitation des ressources forestières.  Elle suggérait « de procéder à la réforme de la fiscalité du secteur afin de le rendre plus incitatif, de promulguer une loi sur l’exploitation forestière et d’en prendre des mesures d’application ».

Après deux mois, asphyxié par les dépenses liées à la guerre contre la rébellion à l’Est du pays, le gouvernement est revenu sur cette mesure en l’annulant purement et simplement. Félicitant le gouvernement pour la levée de cette mesure, un dirigeant d’une grande entreprise forestière estimait que « la  poursuite de cette interdiction aurait entraîné l’arrêt de toutes les usines de fabrication des produits ligneux, la faillite généralisée du secteur et l’ébranlement de la confiance des acheteurs extérieurs et d’autres secteurs liés à l’exportation du bois ».

Ce même cadre, était d’avis que « la prolongation de cette mesure aurait mis en chômage près de dix mille travailleurs.  Etant donné que les sociétés forestières étaient presque les seules qui donnaient du travail dans l’arrière-pays, la fermeture des usines et chantiers auraient causé l’enclavement des zones reculées du pays accessibles par les routes aménagées par ces sociétés, avait-il indiqué.

Enfin, une chance pour la RDC

La forêt a encore une belle perspective devant elle.  Le rapport final (2012) de l’Observatoire indépendant de la mise en application de la gouvernance (OI-FLEG) en RDC, constate que « le niveau de déforestation reste relativement  limité en comparaison à l’échelle mondiale ».  La RDC a, pour ce faire, « une chance historique inédite pour réussir l’équation que d’autres n’ont pas pu réussir, notamment conserver sa biodiversité sur de très grandes surfaces, garantir les droits des communautés et générer de la richesse, de l’emploi et de fortes recettes fiscales, moteur du développement ».

Ce rapport affirme que « l’expérience tirée d’autres pays de la sous-région indique que l’ouverture des forêts à l’exploitation industrielle conduit parfois à une déforestation massive du fait de l’absence d’un cadre strict relatif à leur exploitation et d’un manque de contrôle sur la durabilité de leur gestion et les retombées économiques et sociales ».

Il importe donc que  « les décideurs  nationaux et les représentants de la communauté internationale trouvent des solutions politiques efficaces car, dans le cas contraire, les forêts de la RDC seront alors destinées au même avenir que celles des pays jadis forestiers, où les forêts ont été progressivement réduites et converties », souligne ce rapport.