Minerais : les enjeux d’un ordre nouveau

L’idée de création d’une agence nationale des exportations approuvée par la table ronde sur les exportations de la RDC est un signal fort de diversification. Reste que le gouvernement doit opérer des choix réfléchis sur les secteurs et les produits stratégiques en vue des échanges commerciaux. 

 DU POINT DE VUE historico-géographique, la République démocratique du Congo a la vocation d’un « État commerçant ». Elle ne peut que l’être, tranche dans le vif l’expert OMC, le Congolais Faustin Luanga Mukela. Aux assises de Kinshasa dédiées aux exportations de la RDC, il a expliqué que sur le plan géographique, le pays est entouré par 9 pays, et dans une telle configuration, il ne peut qu’être un État commerçant. Et sur le plan historique, a-t-il fait remarquer, les puissances mondiales avaient déjà donné, à la Conférence de Berlin de 1885, à l’État indépendant du Congo (EIC) un statut de zone de libre-échange. 

Paradoxe : malgré cet « avantage historico-géographique », la RDC exporte peu ou presque pas. En revanche, c’est un pays qui consomme ce qu’il ne produit pas, qui ne produit rien à vendre aux autres. Un pays où les autres (pays) viennent verser leurs marchandises pour s’enrichir, « un pays qui condamne son propre peuple à l’esclavage et à la pauvreté perpétuelle », selon Bruno Tshibala Nzenzhe, 1ER Ministre. 

Secteurs et produits stratégiques

Pourtant, la RDC est un « pays béni de Dieu », pourrait-on ainsi dire, à en juger par l’immensité des ressources naturelles dont elle est nantie. Pour les spécialistes du commerce, le moment est donc venu de « diversifier et de transformer les avantages comparatifs en avantages compétitifs ». Actuellement, les pays africains en général exportent une gamme de dix produits à l’état brut, essentiellement des matières premières (minerais, pétrole…). 

Or, l’exportation du brut ne favorise pas la diversification ou les échanges. Conséquence : l’Afrique produit ce qu’elle ne consomme pas et consomme ce qu’elle ne produit pas. Selon Faustin Luanga, puisqu’il faut maintenant diversifier, le gouvernement doit opérer un choix judicieux des « secteurs et des produits jugés stratégiques » à promouvoir. Après avoir opéré ce choix, il faut les capitaliser. Comment ? « Il faut s’interroger sur les politiques nationales en matière de recherche, de production, de commercialisation et de transformation. Aujourd’hui, on parle du cobalt qui est devenu un produit hautement stratégique. Mais que fait-on pour capitaliser ce minerai ? On peut étendre la réflexion à d’autres produits : le cuivre, le diamant, l’or, le coton, le coltan dont un pays voisin s’est doté d’une raffinerie… », pose cet expert.

Selon des spécialistes, les dirigeants congolais doivent avoir le courage d’affronter la réalité en face. La réalité, c’est d’opter pour les chaînes de valeur. D’après eux, il faut un consensus national sur les moyens et les politiques de mise en valeur de nos ressources naturelles. Le rôle de la formation est primordial dans le processus de compétitivité internationale. Étant donné que pour produire et exporter, il faut absolument observer le marché et la qualité du marché pour y répondre. 

Minerais stratégiques en RDC, avez-vous dit ? Les 12 et 13 avril, les opérateurs miniers du Katanga ont organisé justement à Lubumbashi, en synergie avec la Fédération des entreprises du Congo/FEC Haut-Katanga et le ministère des Mines du Lualaba, deux journées de réflexion sur les minerais stratégiques en RDC. La réflexion a consisté à « formuler les meilleures hypothèses autour des enjeux stratégiques dans l’exploitation du cobalt ». La RDC est le 1er pays producteur de cobalt en Afrique, dont 90 % pour la province du Lualaba et la province du Haut-Katanga ; elle est la 2è réserve mondiale du cobalt avec 60 %.

Selon des participants, les échanges ont présenté un « regard croisé » sur le cobalt et les minerais stratégiques en RDC : enjeux stratégiques, économiques, sociopolitiques et environnementaux globaux. Lors de ces échanges, le professeur Odon Kipepe, expert en minerais et DGA de Rwashi Mining, a indiqué que le boom du cobalt suscite en effet beaucoup de débats. Notamment avec la révision du code minier. « Le cobalt devient la substance hautement stratégique au monde. Nous avons intérêt à provoquer ces échanges, question de mettre au clair nos exploitations », a-t-il souligné. Aujourd’hui, la question qui se pose est de savoir comment cette ressource peut contribuer au développement du pays.

Au Katanga, on estime que le moment est favorable pour l’économie minière de la RDC avec la montée des cours de certains produits miniers de base et stratégiques comme le cuivre, l’or, le lithium, le cobalt… Toutefois, des questions : la RDC est-elle prête à saisir ce momentum ? Va-t-elle encore passer à côté de la plaque ? Comment positionner la RDC sur le terrain de la géostratégie, la géo-économie et de la géopolitique des minerais stratégiques dans le sens du code minier révisé ? La seule politique fiscale (jouer sur la fiscalité) est-elle suffisante pour profiter du momentum ou faut-il une politique industrielle et de transparence des revenus plus costaud, visible, lisible et cohérente ? 

À l’issue de cette réflexion, les participants ont été à peu près d’accord qu’il faut hic et nunc une « politique publique des minerais stratégiques » en RDC. Jean Nyembo, père jésuite et directeur du Centre Arrupe pour la recherche et la formation (CARF) de Lubumbashi, pense qu’il faut aller plus avant dans la réflexion pour mieux saisir les enjeux des minerais stratégiques afin de les mettre au service du développement durable et intégral des populations.

En fait, l’objectif des échanges a été de répondre aux questions suivantes : Comment permettre aux secteurs privé et public, aux populations et aux communautés locales de tirer profit du cobalt et des autres minerais stratégiques en RDC ? Comment éviter que le cobalt ne devienne source de « malheur » pour la RDC comme l’ont été avant son diamant, son coltan, sa cassitérite ?

Les participants à cette conférence ont fait des recommandations pour une politique publique idoine des minerais stratégiques en RDC. Ces recommandations peuvent se résumer en cinq axes clés : la stratification des enjeux ; l’industrialisation et le développement durable ; l’énergie et la financiarisation du secteur minier ; la modernisation, la formation et la transformation de l’artisanat minier ; la fiscalité et la transparence des revenus.

La stratification des enjeux stratégiques, scientifiques, sociaux et sécuritaires suppose : politique de maîtrise : politique stratégique des minerais stratégiques -critère de classification le plus vite possible – la gestion des réserves stratégiques – diversification des minerais stratégiques – devenir faiseur de prix en matière de minerais stratégiques ; politique scientifique et géologique des minerais stratégiques – institution des cellules ou des écoles en recherche sur les minerais stratégiques et leur géostratégie – promotion de la recherche et stratégies sur la question majeure de la substitution du cobalt dans les batteries rechargeables pour véhicules électriques et smartphones, tablettes et ordinateurs – connaissance de la carte géologique actualisée des minerais stratégiques, car les gisements connus sont déjà vendus à des privés et l’État n’en a plus en réalité la maîtrise ; politique sociale des minerais stratégiques au bénéfice des populations et communautés locales ; politique sécuritaire des minerais stratégiques). 

Ce qui suppose, un État stratège, qui à terme devra redevenir un commerçant (vendeur) des minerais stratégiques comme au temps de la CIPEC (Cartel des exportateurs du cuivre créé à l’initiative du Chili en 1967). Actuellement ce sont les entreprises privées qui exercent les activités commerçantes (de vente à l’extérieur) des minerais et non pas l’État congolais. Les autres enjeux, économiques, environnementaux et entrepreneurials locaux, en découlent.