Polémique : le chef de l’État a donné un énorme pouvoir à Jules Alingete dont le risque est de voir rien sortir de bon

En déclinant d’emblée l’invitation du procureur général près la Cour des comptes aux fins d’audition sur l’affaire de la formation en passation des marchés publics à la Gécamines, l’inspecteur des finances en chef en rajoute à la polémique qui enfle ces derniers jours autour de son intégrité professionnelle et son incorruptibilité. Le showman est-il vraiment au-dessus de tout soupçon ?

Jules Alingete Key, l’inspecteur des finances en chef.

L’HOMME n’en est pas à sa première attaque ad hominem. Jules Alingete Key, le patron de l’Inspection générale des finances/IGF, est victime de la vindicte des ministres, des hauts fonctionnaires de l’État et mandataires publics. Ses propos et ses méthodes de travail dérangent l’establishment politique. Il a été même confronté à la justice pour corruption. Dans cette affaire, il était accusé d’avoir reçu des pots-de-vin auprès d’un opérateur économique étranger. L’inspecteur général des finances avait été déclaré irresponsable pénalement dans cette affaire par le parquet près la Cour de cassation en raison d’absence de preuves. La Cour avait jugé « fausses et fabriquées » les pièces présentées.

À l’origine de la polémique qui enfle actuellement comme le dragon qui gonfle les poumons avant de cracher le feu, le « documentaire » audiovisuel de Mills Tshibangu, journaliste à son propos compte. Dans ce document, Mills Tshibangu dénonce la progression d’une emprise médiatique toujours plus forte de Jules Alingete Key sur les consciences, alors que ses méthodes de travail participent de son enrichissement personnel, soulignant notamment l’inspecteur des finances en chef est en situation de conflit d’intérêts. 

Jules Alingete est très médiatisé, plus que l’institution qu’il dirige. Il dénonce et traque les « prédateurs » de deniers publics. Lors de ses nombreuses sorties en public ou émissions de télé, l’inspecteur des finances en chef affirme notamment être la cible « de propos haineux » et « d’attaques » qui ont pris vite un tour très politique.

Parmi les principaux soutiens de Jules Alingete se trouve Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Le président de la République lui a témoigné à plusieurs reprises son « soutien indéfectible » pour être en première ligne dans le combat de la République contre la corruption. 

Depuis sa nomination comme le patron de l’IGF, l’homme n’est plus tout à fait le même. Plusieurs sondages le donnent déjà comme la révélation du régime Tshisekedi. Vraiment ? En se mettant dans la peau du justicier Lucky Luke, l’homme qui tire plus vite que son ombre, Jules Alingete doit faire preuve de beaucoup de courage. Sinon… Ah ! En effet, s’il y a un art dans lequel les Congolais, les Kinois en particulier, excellent le plus, c’est la dérision ! Plusieurs observations-anecdotes éclairent un aspect de ce qui l’attend, et ont attiré notre attention pour essayer de comprendre ce qui se passe dans la tête de ce sexagénaire. 

Nommé le 1er juillet 2020 à la tête de l’IGF, il est appelé à surveiller étroitement les dépenses publiques, les régies financières, les services d’assiette, les entreprises publiques ainsi que l’ensemble des gouvernements provinciaux. Il joue donc le rôle de « pièce maîtresse » dans le dispositif de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Mû par la volonté d’assainir les mœurs politiques au pays. C’est lui que le président Fatshi a choisi pour traquer les auteurs de détournements de l’argent public. L’intéressé préfère dire que ce sont des voleurs, qui mentent comme ils respirent. 

« Jules Alingete est très médiatisé, plus que l’institution qu’il dirige. Il dénonce et traque les prédateurs de deniers publics. Lors de ses nombreuses sorties en public ou émissions de télé, l’inspecteur des finances en chef affirme notamment être la cible de propos haineux et d’attaques qui ont pris vite un tour très politique. »

Soyons sérieux : avant sa nomination, Jules Alingete Key n’était pas connu du grand public. Beaucoup découvrent à peine son parcours du combattant. Après avoir décroché sa licence en sciences économiques de l’Université de Kinshasa (UNIKIN) en 1988, Jules Alingete Key entre dans l’IGF début janvier 1989 en tant qu’inspecteur stagiaire. Il est promu inspecteur des finances en 2000. Expert-comptable agréé, spécialiste en fiscalité et expert en matière du climat des affaires, Jules Alingete a été détaché dans plusieurs ministères ainsi que dans le cabinet du 1ER Ministre comme conseiller en charge du climat des affaires sous Samy Badibanga Ntita et Bruno Tshibala. C’est donc un expérimenté qui connaît les rouages des finances publiques.

C’est pourquoi d’ailleurs, l’inspecteur des finances en chef prend un plaisir d’appeler le chat, chat. Pour lui, tous les détourneurs de l’argent public ont le comportement des voleurs. Les rapports de l’audit de l’IGF sur plusieurs grandes entreprises publiques révèlent des scandales de détournement de deniers publics, des avantages illégaux que s’octroient les mandataires publics… Les missions de contrôle soulignent de nombreux abus. Leurs conclusions définitives sont transmises au parquet général de la République, par un courrier également adressé au président de la République et au 1ER Mnistre.

Les rapports de l’IGF n’ont pas un écho favorable auprès de la justice. Bien entendu, l’ouverture d’une action judiciaire n’est souvent qu’un effet d’annonce, le gouvernement, lui, se prononçant en faveur des sanctions administratives. Comment Jules Alingete encaisse-t-il, lui qui milite pour la création d’un parquet financier et la construction d’une prison dédiée aux « Kulunas en cravate » ?

Les déboires ont commencé pour Jules Alingete au Sénat qui a rejeté le mardi 15 juin 2021 la demande de levée de l’immunité parlementaire d’Augustin Matata Ponyo Mapong, en vue des poursuites judiciaires dans l’affaire Bukanga Lonzo, sur réquisition du procureur près la Cour constitutionnelle. C’est un aveu d’impuissance quand l’inspecteur des finances en chef déclare : « La Chambre dite des sages est un véritable refuge des prédateurs qui ont souillé les caisses de l’État... Les gens doivent comprendre aujourd’hui que l’IGF et la justice ont fait leur travail. Nous avons résisté à toutes les tentations possibles, mais aujourd’hui l’impunité n’est ni dans le camp de l’IGF, ni moins encore dans le camp de la justice. Ce sont des acteurs politiques qui sacralisent l’impunité. » Et de poursuivre : « La Chambre de sagesse de toute une nation ne peut pas se transformer en un temple d’impunité et d’antivaleurs, c’est la dérive ! Nous continuons à faire notre travail avec abnégation et c’est la population qui doit tirer les conséquences du comportement des acteurs politiques. »

En donneur de leçons, Jules Alingete rumine sa colère. Lors d’un entretien à radio Top Congo, il était indigné de constater que « les sénateurs ont raté l’occasion de se remettre en confiance avec le peuple congolais ». Rappelant au passage les conditions dans lesquelles les sénatoriales ont eu lieu en 2019 dans notre pays. Le chef de l’État est intervenu pour suspendre le processus d’investiture des sénateurs à cause de sérieux soupçons de corruption. « Nous avons fait les premières investigations que nous avons transmises à la justice qui les a approfondies. Il revient alors à la justice de décider de la suite. L’IGF est désormais sur d’autres dossiers de la République. »

Multipliant les déclarations via les médias, le patron de l’IGF est devenu plutôt un objet de plaisanterie que de crainte ou d’admiration dans certains milieux dans le pays. Beaucoup de personnalités qui sont visées par la patrouille financière de l’IGF ont décidé de lui faire barrage. Jules Alingete joue devant nous le rôle du justicier ou du super flic, mais on commence à avoir un peu de compassion pour un homme qui n’appartient pas à la catégorie bien connue des politiciens « qui savent se faire élire et même réélire pourtant, une fois arrivés au pouvoir, montrent qu’ils ne sont pas faits pour gouverner.

On le dit très intelligent, expérimenté et sa proximité avec le chef de l’État lui donne un énorme pouvoir dont le risque est de voir rien sortir de bon. À quoi servent tous ces contrôles, audits, investigations ? Que cachent les déclarations tonitruantes du patron de l’IGF devant les caméras ? Jules Alingete a-t-il conscience de son échec ? Où est la faille ? C’est là une énigme enveloppée de mystère. Jules Alingete peut-il faire mieux que des effets d’annonce, s’interrogent des observateurs ? Ceux-ci pensent qu’il n’est pas politiquement taillé pour la fonction que le président de la République a fait reposer sur ses épaules. « Le résultat qui s’étale sous nos yeux, est, littéralement, une pitoyable absence de politique. À ne pas être forcément un bon chef, c’est un mauvais élève qui fait ce qu’il lui est dit de faire sans faire la part des choses. Il n’a pas un côté sage », commente l’un d’eux.

Pourtant, l’IGF et son chef exercent une fascination dans l’opinion. Pour un professeur des sciences politiques que Business et Finances a interrogé, l’IGF apparaît comme « un système de terreur implacable », et pour s’accomplir doit « envoûter les foules ». En réalité, poursuit-il, il s’agit d’une « certaine admiration répugnante ». Vraiment, l’ère de la corruption, des passe-droits, des petites combines et des détournements de fonds publics est-elle révolue ? 

« C’est un aveu d’impuissance quand l’inspecteur des finances en chef déclare : Les gens doivent comprendre aujourd’hui que l’IGF et la justice ont fait leur travail. Nous avons résisté à toutes les tentations possibles, mais aujourd’hui l’impunité n’est ni dans le camp de l’IGF, ni moins encore dans le camp de la justice. Ce sont des acteurs politiques qui sacralisent l’impunité. »

« Le grand criminel est toujours une figure qui a bien réussi en histoire. Ce qui fascine aussi dans l’IGF, c’est de voir comment les détourneurs vont se comporter vis-à-vis d’elle et de la justice. L’IGF donne l’impression de sous-estimer la réaction de ceux qu’elle accable par ces accusations. Les hommes politiques ont ceci de particulier : ils vous règlent votre compte, tôt ou tard, et tous les coups sont permis. », fait remarquer ce professeur des sciences politiques. C’est comme ça qu’il voit les choses : « Il faut laisser faire la nature, c’est-à-dire ne pas croire que les arbres pousseront plus vite si on tire sur les branches. La vie du soldat n’est pas dénuée de réels dangers. Le véritable danger, c’est la dégénérescence du système… »