Pourquoi Moody’s a abaissé la note souveraine de la RDC (suite)

Depuis juin 2016, constate l’agence de notation, les autorités congolaises n’ont pas réussi à obtenir le soutien financier de la communauté internationale dans un contexte d’incertitude politique accrue, d’instabilité macroéconomique et de pressions extérieures croissantes après deux années de baisse des prix des produits de base. L’économie nationale en est la grande victime.

La DÉCISION de Moody’s d’abaisser la note souveraine de la République démocratique du Congo de B3 à Caa1, explique un expert des finances publiques, signifie que « la capacité actuelle des institutions publiques nationales à réagir aux chocs économiques ou politiques est très faible ». Cela peut paraître sévère. Mais en fait, cette notation résulte de l’évaluation des principaux facteurs ou critères d’appréciation. Qu’il s’agisse de la solidité de l’économie, de la solidité du cadre institutionnel, de la solidité budgétaire ou fiscale, ou de la vulnérabilité de l’économie aux risques liés aux événements exceptionnels, Moody’s note que tous ces facteurs demeurent à des « niveaux très faibles ». 

Risque de défaut de paiement

D’après cet expert, cela veut dire ceci : même si le fardeau de la dette de la RDC est faible, pour Moody’s, même un « choc modérément sévère » suffit pour accroître le risque de défaut de paiement. En effet, le niveau de mobilisation des recettes demeure bas. La croissance démographique est galopante et la population dispersée. En plus, le pays dépend encore des infrastructures de base en mauvais état.

Par ailleurs, la notation « Caa1 » signifie que les sources possibles des risques des chocs sont les mêmes qui ont été identifiées en 2016-2017. Des risques liés notamment à la volatilité des cours des matières premières, la baisse de la production des principaux produits d’exportation de l’économie nationale… Et Moody’s prévient : « Dans un tel contexte, et malgré le calme apparent qui a suivi les élections de décembre 2018, le pays n’est pas à l’abri de nouvelles tensions politiques ». Tout peut donc arriver.

Quant à la perspective (négative) « stable », cela signifie qu’elle correspond à des « risques équilibrés » au niveau de la notation « Caa1 ». En d’autres termes, avec un très bas niveau de la dette publique, d’une part, « la probabilité de défaut reste assez faible ». D’autre part, la faible capacité des institutions et la vulnérabilité de l’économie qui caractérisent le profil de la notation souveraine de la RDC, posent « d’importants défis au gouvernement » et sont « peu susceptibles de s’atténuer de manière significative dans un proche avenir ». 

Par ailleurs, Moody’s constate que les plafonds des obligations et des dépôts à long terme libellés en monnaie locale restent inchangés à B3. Tout comme les plafonds des dépôts et des obligations en devises à long terme restent inchangés respectivement à « B3 » et « Caa1 ».

Le scénario de base

Dans les détails, la notation de Moody’s met en relief les éléments suivants : malgré la richesse considérable que le pays peut tirer de ses nombreuses ressources naturelles, largement inexploitées, la capacité d’absorption des chocs de l’économie nationale demeure faible. Les niveaux de revenus per capita sont parmi les plus bas des États souverains évalués : à moins de 800 dollars en parité de pouvoir d’achat (PPA) en 2018. L’infrastructure en mauvaise qualité entrave considérablement la croissance et le déploiement de l’assistance en cas de besoin. Par ailleurs, la croissance du Produit intérieur brut (PIB) réel a repris depuis 2017, grâce à la hausse de la production dans le secteur minier. Notamment pour le cuivre et le cobalt qui sont les deux principaux produits de base pour la RDC. En 2018, fait savoir Moody’s, la croissance du PIB réel a atteint 5,8 %, tandis que la croissance démographique est supérieure à 3,0 %.

Cependant, souligne l’agence, « la dépendance du pays vis-à-vis du secteur minier » qui représente près de 90 % du total des exportations moyennes sur les trois dernières années, implique que « l’économie et les finances publiques demeurent extrêmement vulnérables à la baisse durable des prix des produits de base ». 

À tous ces facteurs, s’ajoutent les catastrophes naturelles, par exemple, les épidémies généralisées (comme la fièvre d’Ebola) qui, selon Moody’s, pourraient avoir probablement un « impact négatif » similaire. D’après cet expert des finances publiques, même si de tels événements ne font pas partie des hypothèses de son scénario de base, l’agence souligne qu’ils ne doivent pas être considérés comme des « événements extrêmes », dans la mesure où ils ont déjà eu lieu dans le pays et ailleurs dans la région au cours de ces dernières années.

Il n’empêche, le niveau élevé de la pauvreté en RDC, la faible qualité des infrastructures de base et la faiblesse des institutions publiques exposent fortement le pays et à la population à de tels événements. En effet, note Moody’s, le pays se trouve au dernier rang des classements internationaux pour la gouvernance et la force institutionnelle. Tout simplement parce que la capacité des institutions décisionnelles à répondre à de tels chocs et atténuer leurs effets est limitée. 

Moody’s souligne également dans son rapport que la pression sur la monnaie et/ou les finances publiques a conduit, par le passé, à une instabilité macroéconomique importante. Elle note aussi que sur la période récente, les réserves de change ne couvrent pas un mois d’importations, alors qu’elles ont atteint 1,13 milliard de dollars en avril. C’est dire que « celles-ci n’offrent pas une marge de manœuvre financière et politique significative pour répondre à un choc d’une certaine ampleur ».

Aussi, avec une dette relativement faible, le gouvernement dispose, en principe, d’une marge budgétaire considérable pour atténuer les chocs. Néanmoins, fait remarquer Moody’s, il continue dans la pratique de « gérer son budget avec une marge étroite pour réaffecter les dépenses ou générer des recettes en cas de besoin ».

Enfin, la notation de Moody’s montre que le climat politique dans le pays demeure également une « source possible des chocs prévisibles ». En effet, la passation du pouvoir entre l’ancien président, Joseph Kabila Kabange, et le président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, élu en décembre 2018, s’est faite sans violence généralisée, malgré la controverse autour du comptage des voix. Néanmoins, Moody’s pointe « le risque politique élevé » sur la représentation politique au Parlement et au gouvernement. 

Comme en 2017, quand elle a attribué une perspective négative à la notation de la RDC, l’agence redoute que « le risque politique ait le plus grand impact s’il devait saper la volonté des investisseurs et des prêteurs étrangers de maintenir leur présence dans le pays ». Elle reconnaît par ailleurs que le risque politique semble être atténué après les élections. Mais « il pourrait rapidement resurgir ».

Que faut-il comprendre en définitive de l’évaluation de Moody’s ? Un expert répond : « La dette de la RDC est faible, et donc abordable. C’est une dette (extérieure) presque exclusivement concessionnelle sans paiement important au cours des prochaines années. Les paiements d’intérêts représentent environ 4 % du principal. Donc, la probabilité de défaut et la perte en cas de défaut sont limitées, en l’absence des autres chocs ne faisant pas partie du scénario de référence de Moody’s ».