PROTAIS AYANGMA, ancien président de la FANAF : « La discrétion des compagnies d’assurance peut surprendre, dans un domaine où elles auraient dû être en première ligne »

Actionnaire de Saham et patron de Prévoyance-Assurance-Assistance (P2A), cet homme d’affaires camerounais est connu pour son franc-parler. Dans une lettre ouverte publiée par le journal camerounais « Mutations », il dit son ras-le-bol sur « silence (coupable, ndlr) des assureurs depuis le déclenchement de la pandémie de coronavirus.

Mutations : Pourquoi avoir écrit cette lettre ouverte ?

Protais Ayangma : Devant le silence observé par les assureurs face au Covid-19, j’ai personnellement été interpellé bien que je n’ai plus de responsabilités opérationnelles dans ce secteur depuis déjà quelques années. Il va donc de soi que les opinions que j’émets ici ne peuvent être que personnelles et n’engagent que moi. Elles ont pour but de susciter le débat. 

M. : Pourquoi la discrétion des compagnies d’assurance vous gêne-t-elle ?

P. A. : La discrétion des compagnies d’assurance peut surprendre dans un domaine où elles auraient dû être en première ligne : la maladie, la mort, l’accident… Bref, les risques de la vie sont au cœur des préoccupations des assureurs et leur business model est essentiellement fondé sur l’insécurité sous toutes ses formes.

M. : D’après vous, comment devrait réagir le secteur de l’assurance face au Covid-19 ?

P. A. : La planète toute entière subit les affres du Covid-19 depuis décembre dernier. Parti de la lointaine Chine, le Covid-19 s’est propagé progressivement partout dans le monde. Au-delà de la crise sanitaire, c’est bien une crise économique qui se profile à l’horizon. Avec le confinement, la fermeture des frontières et plusieurs autres mesures prises pour endiguer la pandémie, de nombreux secteurs d’activités tournent au ralenti quand elles ne sont tout simplement pas arrêtées. Et des pertes se profilent à l’horizon.

En Afrique, le taux de pénétration de l’assurance reste faible. Face à ce faible taux, on peut a priori penser que l’impact du Covid-19 dans ce secteur va être insignifiant. Néanmoins, on peut craindre un ralentissement de la croissance du chiffre d’affaires dans ce secteur qui connaissait une progression annuelle moyenne de 5 % au cours de ces dernières années, et même une légère décrue.

M. : L’impact ne sera pas partout le même sur les différentes branches d’assurance?

P. A. : Plusieurs branches pourraient être impactées plus ou moins significativement. Il s’agit entre autres de l’assurance transports, de l’assurance voyage, de l’assurance santé, de l’assurance vie, de l’assurance automobile. La fermeture des frontières à travers le monde a eu pour effet direct la limitation des déplacements aussi bien des personnes que des marchandises. 

L’assurance transports (13,38 % de parts de marché), particulièrement les transports maritimes (près de 10 % des parts de marché) risque de connaître une forte baisse si la situation sanitaire ne s’améliore pas. Et de dégrader la rentabilité globale des compagnies compte tenu de la bonne tenue de ce risque, sinistralité de… moins de 1 % en transports maritimes. Il en va de même pour l’assurance voyage mais son impact est peu significatif du fait de sa contribution marginale dans le chiffre d’affaires. L’automobile avec 26,7 % des parts de marché, risque obligatoire, pourrait ne pas être impacté par le Covid-19 en ce qui concerne le chiffre d’affaires. Cependant, la limitation des déplacements notamment interurbains, de même la limitation du nombre de personnes transportées par les taxis et mototaxis, pourraient avoir un effet positif sur la sinistralité de ce secteur. L’assurance santé pourrait elle aussi ne pas être impactée du fait de l’exclusion par les assureurs du risque de pandémie, c’était déjà le cas du sida, et la prise en charge totale des soins par l’État. Les résultats de cette branche pourraient être bonifiés par l’arrêt forcé des évacuations sanitaires qui constituent une poche de dépenses importantes pour les assureurs. 

L’assurance vie quant à elle devrait connaître des retards et même des cessations de paiement de primes ainsi que des rachats importants en ce qui concerne les produits d’épargne. 

La sinistralité ne devrait pas se détériorer parce que le taux de mortalité lié à ce virus est relativement faible en Afrique en général, et que les assureurs tardent à se prononcer sur la prise en charge ou non de cette pandémie, généralement exclue des contrats…

M. : On peut dire que cet impact limité consacre malheureusement le confinement de ce secteur dans la marginalité face à une crise grave qui touche aussi tout le corps social… 

P. A. : Les périodes de détresse et de calamité sont celles où les assureurs sous d’autres cieux se réinventent et font preuve de créativité et d’ingéniosité pour adresser les risques et les défis nouveaux. Il est un fait que c’est pendant ces périodes là que les hommes prennent conscience de leur humanité et de leur situation de vulnérabilité et de fragilité et se tournent vers des solutions assurantielles, notamment pour leurs problèmes de maladie et de décès.

Hélas, on n’a pas vu les assureurs beaucoup se bouger. C’est pourtant l’intérêt des assureurs de s’investir dans la lutte contre les pandémies pour non seulement montrer et démontrer leur utilité sociale mais aussi limiter leurs conséquences sur leurs exploitations. Ils ont également manqué l’occasion de dorer leur image largement écornée par des comportements jugés très souvent irrespectueux de leurs engagement pour certains d’entre eux. 

M. : Vous voulez dire que l’assurance c’est d’abord la solidarité et la mutualité…

P. A. : Les assureurs devraient être en première ligne dans ce combat en se montrant et non en se cachant, d’autant plus qu’ils pourraient en tirer de substantiels dividendes en terme d’image et donc de plus grande adhésion à leurs produits. Sans jouer sur la peur et le malheur, ils devraient proposer des produits santé, frais d’obsèques, assistance, épargne et montrer qu’ils sont là dans les coups durs. Les populations leur en seront gré.

L’image des assureurs en France s’est profondément transformée à la suite de leurs interventions dans les catastrophes, notamment les inondations. À défaut d’une intervention directe, comme les dons, les assureurs pourraient en concertation avec l’État, revoir à la baisse la prime de l’assurance RC automobile pour les transporteurs publics de voyageurs et accepter pour ceux qui le souhaitent, la mensualisation des primes sans aucune pénalité tout en réglant rapidement les sinistres pour soulager la trésorerie de leurs clients pendant cette période de vaches maigres. Ce serait leur effort de guerre. Les banquiers ont pour leur part déjà annoncé qu’ils étaient prêts à restructurer les engagements de leurs clients.

M. : que vous inspire cette crise ?

P. A. : Cette pandémie questionne notre système de sécurité sociale en général et notre système de santé en particulier. Qu’est devenue la couverture santé universelle ? Slogan politique ou promesse qu’on sort à chaque échéance électorale et qui est rangée les élections passées? L’État, du fait de son incapacité à mettre en place cet outil essentiel est obligé de supporter tout seul l’effort de la riposte sanitaire alors que dans un système de couverture santé universelle, tout le monde aurait pu y contribuer.

À mon avis, il y a urgence à construire un système de santé robuste. La construction des infrastructures de santé doit être ouverte aux investisseurs parmi lesquels les assureurs. Une des leçons pas forcément négative du Covid-19 aura été la fermeture des frontières, empêchant toute évacuation sanitaire et obligeant tous les gens à se soigner sur place. 

Ce qui a révélé l’indigence de nos systèmes de santé et l’impérieuse nécessité de les structurer. Nos systèmes de sécurité sociale devraient également être repensés. C’est maintenant ou jamais.