Quand Gécamines fait sa com

C’est un exercice de haute voltige auquel s’est livré le management de la société minière publique pour retracer au dollar près les revenus de 750 millions de dollars que des ONG l’accusent prétendument d’avoir détournés. Désormais, la société se réserve le droit de poursuite en diffamation.

COUP sur coup, un peu à la manière du berger à la bergère, il s’est agi pour les dirigeants de Gécamines de répondre à toutes les « affirmations fausses » de Global Witness, Carter Center, Enough Project, et de bien d’autres ONG. En guise de conférence de presse, Gécamines s’est offert en fait une tribune dans la presse pour passer son message qui correspondait à des objectifs différents.

Pour les dirigeants de l’entreprise, il s’est agi de « faire découvrir la réalité à travers des éléments factuels », alors que la méthodologie des ONG est bâtie sur des « déclarations anonymes », sur le « conditionnel »… 

La communication de Gécamines se voulait donc informative, précise et statistique. Bref, sérieuse. On a appris à la fois que le rapport a été publié en réponse aux « allégations outrancières et systématiques » de ces ONG, que la société d’État a souhaité répondre aux « accusations les plus souvent relayées » par les ONG et qui constituent « leur principale argumentation » pour lui dénier tout droit à continuer à exercer son action. 

Argument massue

Ces accusations prétendent notamment que « de centaines de millions seraient manquants dans ses comptes et que cet argent n’aurait pas été utilisé pour le bien de l’entreprise ou de l’État ». 

Gécamines se place alors sur un terrain défensif. Il s’agit de donner une réponse en montrant pourquoi ces ONG sont « si empressées de calomnier » l’opérateur minier public et le régime minier congolais. « Focalisées sur leur croisade, leur seul objectif est de masquer le déséquilibre entre ce qui serait reproché à Gécamines, et ce que légalement ou pas, les opérateurs étrangers prennent dans le silence le plus absolu », charge Gécamines.

Mais cela suffira-t-il à faire changer d’avis ces ONG ? Le management de Gécamines, qui a estimé qu’on lui fait un mauvais procès et qui a mesuré l’impact désastreux de telles allégations sur l’opinion publique au pays et à l’étranger, a donc décidé de réagir. Et comme on n’est pas mieux servi que par soi-même, il a donc décidé d’intervenir par une communication directe, pour délivrer « son » message.

Les dirigeants de la société ont voulu enfin s’expliquer, à l’occasion d’une conférence de presse, devant les représentants de la presse locale et de la presse internationale. Et le rapport « La vérité sur les mensonges des ONG en République démocratique du Congo » a servi de support à cette conférence de presse.

Les buts de la com

En voulant que la presse en rende compte, Gécamines s’est offert ainsi une tribune. A-t-elle atteint ses objectifs ? Se défendre et s’expliquer ? On peut en douter. Mais on voit que Gécamines ne s’est pas contentée d’une simple communication informative. 

Albert Yuma Mulimbi, le président du conseil d’administration, est allé au-delà. Il a cherché à « frapper » les esprits plutôt qu’à convaincre, à suggérer plutôt qu’à expliquer. D’informatif, son propos est devenu suggestif. La répétition des phrases, les mots forts, les images amusantes  teintées d’humour l’ont emporté sur les messages démonstratifs.

Comme on peut le constater, la communication de Gécamines a emprunté les mêmes procédés que la publicité commerciale pour faire ses preuves. En effet, Albert Yuma a fait la démonstration qu’il maîtrise parfaitement la technique. Il vend une idée de la même manière que l’on vend un produit. « Son » idée à lui, c’est chercher à créer, transformer les opinions pour un « modèle de développement souverain ». 

Objectif atteint

Albert Yuma pense que les éléments factuels qui ont été produits, auront atteint leur objectif : « Nous espérons qu’ils auront permis de lever tout doute dans l’esprit de nos lecteurs et leur auront permis de faire la part des choses entre ce qui relève de l’insinuation, de la dénonciation anonyme et souvent calomnieuse, de la consultation de documents non référencés et ce qui est la réalité ». Plus largement, a-t-il ajouté, Gécamines espère que les observateurs exerceront désormais « un œil moins complaisant » et auront « une oreille moins complaisante » sur tout ce qui est publié sur cette entreprise ou la RDC par ces ONG. Car « celles-ci, et surtout ceux qui les financent, ne sont pas aussi vertueuses qu’elles le prétendent, et usent indécemment du crédit qui leur est accordé par le public pour promouvoir leur agenda caché ». 

Albert Yuma suggère qu’il ne faut en effet pas être dupe de leur activisme. « Elles font de la politique au sens premier du terme et sont un des nouveaux acteurs du système de promotion moderne des grands intérêts ou des grandes puissances ». Sinon, poursuit-il, « pourquoi prétendre pour certaines d’entre elles et au-delà de toute raison, et pourquoi reprendre pour les autres, l’affirmation qu’il aurait été possible de faire disparaître 750 millions de dollars des comptes d’une société en RDC comme si nous étions dans un pays de non-droit ? » 

Et d’ajouter encore : « Pourquoi se faire l’écho de ceux qui nous accusent de ne pas payer d’impôts à l’État, de ne pas payer nos salariés, de ne pas investir dans notre appareil de production, de creuser notre dette ? Probablement parce qu’à force de calomnier il en reste toujours quelque chose ou encore parce qu’elles sont persuadées que face au tribunal des opinions publiques, une entreprise congolaise comme Gécamines est présumée coupable et que cela justifierait tous les moyens ».

Et le message subliminal ?

« Désormais, plus personne ne pourra dire qu’il ne savait pas. Tous ceux qui reprendront les accusations des rapports de ces ONG, même en y accolant un conditionnel, se rendront coupables de diffamation. Ceux qui s’y livreront signeront néanmoins leur volonté de nous attaquer au nom d’un colonialisme moderne, teinté d’un paternalisme malsain », a mis en garde le PCA de Gécamines.

 Qui considère qu’au-delà du mal fait à cette entreprise, il regrette surtout « les attaques contre notre pays, un grand pays d’Afrique », car « elles contribuent à conforter l’image négative dont il est injustement la victime et à rendre sa marche vers le développement encore plus difficile qu’elle ne l’est déjà ».

Cela mérite d’être souligné : « Dix années de guerre intérieure et extérieure, 8 millions de morts dont les responsables doivent en répondre un jour, 80 millions d’habitants sur une superficie égale à celle de l’Europe occidentale, une administration exsangue et donc inefficace, n’avons-nous pas déjà suffisamment de freins historiques et de défis géographiques et démographiques qui se dressent devant nous pour que quelques officines lointaines viennent nous donner des leçons de morale et propagent des faits erronés, contribuant ainsi encore plus à nos difficultés ? »

Ou encore : « Ces attaques, dont Gécamines est la cible désormais récurrente de la part de ces ONG, nous dépassent. À travers nous, c’est notre pays qui est visé, et je le crois plus largement un modèle africain de développement, souverain, qui ne tolère plus qu’on lui dise comment et avec qui il doit partager ses richesses naturelles. » 

À la croisée des chemins

D’après Yuma, notre pays et notre continent sont aujourd’hui à la croisée des chemins et nous avons le choix entre deux voies. Celle du statu quo, voire de la régression, dans laquelle nous continuerions à regarder passer le train de la mondialisation et dans laquelle nos réserves continueraient à être exploitées, majoritairement par des opérateurs étrangers sur notre sol, avec un retour insuffisant pour l’État et la collectivité. Ou une autre, plus optimiste où prédominera une exploitation plus socialement et écologiquement responsable de ces minerais, qui permettra grâce à un système fiscal adapté et des opérateurs nationaux efficaces de générer des revenus qui permettront à la RDC d’enclencher, réellement, je dis bien réellement sa marche vers l’émergence. 

Mais l’émergence de notre pays ne pourra jamais advenir, si comme aujourd’hui le secteur minier reste une bulle, hors-sol, insensible à ce qui se passe autour de lui.

Foi de Yuma : « Le boom des matières premières, notamment stratégiques, nous offre aujourd’hui une opportunité unique de favoriser la vision minière de l’Union Africaine, en faveur ‘… d’un État développementiste intégrant le secteur minier dans des processus plus larges de développement socioéconomique. Il s’agit non seulement de mettre fin à l’isolement de l’industrie minière par rapport aux autres activités socioéconomiques de base, mais aussi de faire en sorte que celle-ci profite à l’ensemble des parties prenantes.’, et de réformer profondément le système qui nous a été imposé depuis 2002 ».

C’est pourquoi, conclut-il, l’action que mène aujourd’hui Gécamines en faveur de sa reconstruction et du redéploiement de son activité minière, est un test pour nous-mêmes, mais aussi pour tous ceux qui nous observent en Afrique et voudraient se réapproprier leur destin national. « Ces ONG ne nous entraveront pas dans notre volonté de refaire de Gécamines un fleuron de l’industrie africaine. »