Responsabilités dans les dégâts économiques causés par les guerres à l’Est de la RDC

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AFP PHOTO/PHIL MOORE

Business et Finances a annoncé dans sa deuxième livraison l’ouverture d’un débat sur les responsabilités économico-financières des dégâts causés en République Démocratique du Congo (RDC) par l’aventure guerrière du Mouvement du 23 mars (M23) et en a promis la poursuite dans cette édition. Votre hebdomadaire spécialisé dans la collecte, le traitement et la diffusion des informations économiques et financières ayant un impact sur le développement de la RDC relance ce débat et est prêt à accueillir les réflexions d’autres analystes sur le même sujet.
Les responsabilités sont partagées et se situent à des degrés divers quant au payement des dégâts économiques et financiers causés par la guerre imposée à la RDC par ses voisins rwandais et ougandais depuis 1998, voire bien avant.

La communauté internationale

Le malheur de la RDC a pour origine l’imposition à l’ex-Zaïre de 2 millions de refugiés Hutu rwandais par la Communauté internationale sur insistance de cette dernière. Le Maréchal Mobutu, ancien président du pays pouvait bien refuser l’offre, mais il crut, dans ses calculs politiciens, que l’accueil sur son sol de ces fugitifs briserait son isolement diplomatique consécutif au massacre des étudiants sur le campus de Lubumbashi en mai 1990. Ainsi, les provinces du Nord et du Sud Kivu ont servi de déversoirs à ces réfugiés fuyant les Forces Patriotiques Rwandaises (FPR) de Paul Kagame, l’opération française « La Turquoise » leur ayant ouvert un couloir. Pour rappel, ces réfugiés rwandais avaient été placés par les autorités zaïroises de l’époque dans les environs de Bukavu, chef-lieu du Sud Kivu sur les sites nord de Nyamirangwe, Nyangezi, Hombo, Birava et le long de la route Bukavu-Goma, précisément à l’Inera, Kashusha, ADI Kivu, Katana, Kalehe, Kabamba, ainsi que vers le sud à Ruvunge, Kanganiro, Sange, Kiliba, Kamanyola sur la route menant à Uvira. Seuls les membres du Gouvernement en exil ainsi que les dignitaires du régime de Habyarimana se trouvaient pour la plupart dans la ville de Bukavu et dans les trois camps tout près de l’aérodrome de Kavumu, soit à l’Inera, Kashusha et ADI Kivu. Dans la province du Nord Kivu, Goma et ses environs croulaient sous le poids de la marée humaine dont la célébrité revenait au camp de Kibumba. La présence de ces millions d’âmes en RDC a eu comme conséquence la destruction systématique de l’écosystème dans les contrées habitées et traversées, en commençant par tous les parcs (Kahuzi-Biega, Virunga) par ces refugiés dans leur fuite devant les hommes de Kagame. Cette destruction doit être évaluée et supportée par la Communauté internationale bien qu’elle ait aidé grandement la RDC à mettre dernièrement en déroute le M 23. En octobre dernier, Global Witness a publié un rapport révélant que la guerre favorisait l’évasion fiscale qui faisait perdre 90 % des taxes forestières à la RDC. Sans compter les autres taxes prélevées sur les autres produits.

Le Rwanda

Sous prétexte de pourchasser les refugiés Hutu pour les éloigner de la frontière, les militaires rwandais du FPR se sont mués en creuseurs des minerais dont le coltan, l’or, la cassitérite sous la bénédiction du régime de Paul Kagame. C’est le lieu de rappeler la déclaration restée célèbre de feu Laurent-Désiré Kabila lors de l’éclatement de la guerre d’août 1998 : « les militaires rwandais ont goûté au miel; ils ne veulent plus rentrer chez eux ». Depuis, le régime de Kigali s’est investi dans les pillages des ressources minières et naturelles de la RDC à telle enseigne que certains Congolais inspirés pensent qu’il risque de manquer de place au pays de mille collines où conserver les richesses pillées en RDC et les butins de guerre ayant traversé la frontière à chaque prise d’une ville ou cité congolaise par les mouvements créés de toutes pièces par le Rwanda, parmi lesquels le M 23 et son géniteur, le Conseil National pour la Défense du Peuple (CNDP). Véhicules bondés de biens de toutes sortes jusqu’aux ustensiles de cuisine, vaches volées, banques pillées et marchandises emportées dans les magasins, infrastructures endommagées depuis « la révolte » de Mutebusi à celle de Bertrand Bisimwa, en passant par Laurent Nkundabatware et Bosco Ntaganda, traversent la frontière au vu et au su de tout le monde. Par conséquent, la participation du Rwanda aux pillages de la RDC est tellement avérée que ce pays est passé pour être la plaque tournante du trafic des minerais dont il n’est pas producteur. D’ailleurs, Paul Kagame n’a jamais mâché ses mots à ce sujet. Au cours d’une de ses tournées suivies en direct à la télévision en 2011 à l’est de son pays, le Président rwandais faisait voir à sa population qu’il ne peut pas laisser tranquille quelqu’un qui a dix vaches alors que lui n’en a aucune et que sa population meurt de faim. Allusion ainsi faite à la RDC et à ses richesses minières alors que le Rwanda n’en a aucune. C’est ici aussi qu’il faut noter une première dans l’histoire de la guerre : deux armées étrangères, rwandaise et ougandaise, ont quitté leurs pays respectifs, avec armes, munitions et bagages pour venir s’affronter dans une ville étrangère; en l’occurrence à Kisangani, chef-lieu de la Province Orientale à cause de leurs mésententes et divergences sur le contrôle des minerais et le partage des butins de guerre. La commune de la Tshopo dans la capitale provinciale
porte jusqu’à ce jour les stigmates de la barbarie de ces deux armées.

L’Ouganda

L’Ouganda a déjà été condamné par la justice internationale à payer un montant de 10 milliards $ US  pour son implication avérée dans la guerre en RDC, et surtout pour les dégâts causés (matériel, humain et environnemental) ainsi que le pillage de ressources naturelles. L’on se demande aujourd’hui ce qu’est advenu de l’exécution de ce jugement datant d’une dizaine d’années. Plusieurs rapports des Nations Unies ont démontré et attesté que la famille du Président ougandais Yoweri Kaguta Museveni est le plus grand bénéficiaire des expéditions répétitives de l’armée ougandaise en terre congolaise, comme elle l’est d’ailleurs aujourd’hui avec les négociations de Kampala.

Les multinationales

La part des multinationales canadiennes, françaises, belges, britanniques, américaines, asiatiques dans la guerre qui a endeuillé l’Est de
la RDC est attestée par des rapports inattaquables. Ces multinationales ont profité du désordre ayant prévalu dans cette partie du pays pour racheter à vil prix des minerais de sang à l’encontre des nues en la matière. C’est le cas notamment de la société britannique Afrimex, condamné par le gouvernement de son pays en août 2008, pour avoir enfreint des directives internationales et principes directeurs de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE) en s’approvisionnant en minerais provenant des zones congolaises en guerre, grâce à ses liens avec les sociétés Kotecha et SOCOMI, et du fait que cela a contribué grandement au financement des conflits armés. Cette situation a tellement énervé l’organisation Global Witness au point d’amener son directeur, Patrick Alley à déposer une plainte en février 2007 auprès du gouvernement britannique. Celui-ci l’a transmise au PCN (Point de contact national britannique), organisme du gouvernement anglais chargé d’étudier les plaintes déposées au titre de principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Donc, par ces versements, Afrimex a alimenté financièrement le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD). D’ailleurs, Afrimex apparaît clairement comme importateur de cassitérite dans les statistiques officielles de la Division des mines de la province du Nord-Kivu pour l’exercice 2007, tel que l’a constaté Global Witness. Pour s’en convaincre davantage, il suffit de se référer au rapport publié en 2002 par le Panel d’experts des Nations Unies sur l’exploitation illégale des ressources naturelles en RDC. C’est pour mettre un terme au commerce des minerais de sang et, vu la nécessité d’en assurer la transparence et la traçabilité, que le Président américain Barack Obama a pris la loi appelée « Franck Dodds ». Laquelle a été mise en vigueur en janvier 2012 dans le but de promouvoir la paix dans l’est de la RDC. A part Afrimex, d’autres entreprises minières sont citées dans des rapports sérieux pour leur implication dans le drame congolais. Il s’agit entre autres des firmes sud africaines African Trading Corporation, A.H. Pong & Son, Anglovaal Mining, Carsons Products, Swanepoe, Orion Mining, Zincor; des compagnies britanniques Knight International, A & M Minerals et Metals, Alex Steward Ltd, Amalgamated Metal Corporation, Anglo American Plc, Das Air, De Beers; des sociétés belges comme Ahmad Diamond Corporation, Asa Diam, Asa International, BBL Banking, La Belgolaise, Cogecom, Echogem, Egimex, Fortis, Jewel Impex, Nami Gems, Sogem, Speciality Metals Company; des firmes américaines comme American Mineral Field, Eagle Wings Resources International, Flash of Color, Kinross Gold Corporation; des canadiennes comme First Quantum Minerals, Harambee Mining Corporation, Tenke Mining Coporation, des allemandes Kha International, H.C. Starck, SLC Germany ainsi que des firmes zimbabwéennes et israéliennes de sorte que la RDC a présenté plus l’image d’une charogne sur laquelle se ruaient des charognards. Face à ce tableau on ne peut triste, certains experts sont de fois traversés par l’idée de la création de tribunaux spéciaux en RDC pour juger tous les seigneurs de guerre réels et ceux fabriqués par des pays voisins ainsi que toutes les entreprises ayant favorisé le commerce des minerais de sang à l’instar de la Sierra Leone, la Yougoslavie, le Rwanda pour savoir qui a fait quoi, en déterminer le coût et payer des indemnisations aux victimes. Sinon, la voie de l’impunité reste ouverte et l’expérience pourrait être retentée.

Responsabilité congolaise

Les différents rapports des experts onusiens soulignent la responsabilité des officiels congolais, des hommes politiques comme des officiers des forces armées et de renseignements dont certains ont été accusés d’entretenir des milices ou de constituer des alliances contre nature pour participer au pillage. Les tribunaux à constituer devraient également se pencher sur ces cas au regard des infractions retenues, notamment la trahison.

Relance économique de l’Est de la RDC

Les analystes estiment que le Nord Kivu en particulier et toute la partie orientale de la RDC peuvent être à présent relancés économiquement. Malheureusement, compte tenu des dégâts causés par la répétitivité des guerres à l’Est sur tous les plans, la part destinée à la RDC paraît insignifiante dans le milliard de dollars que la Banque mondiale a disponibilisé pour la région et dont l’annonce avait été faite par le Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-moon, lors de son dernier passage à Kinshasa en compagnie du Président du Groupe de cette banque, M. Jim Yong Kim. D’autres ajoutent qu’après la guerre, l’économie du Grand Kivu pourra se réaliser grâce à l’exploitation de ses richesses naturelles dont le pétrole du parc de Virunga, le gaz méthane du lac Kivu, le coltan, l’or de Walikale, de Shabunda, de Mwenga. Cela permettra à l’Etat de canaliser les frais perçus des taxes et autres redevances pour amorcer le développement du pays.

40 milliards pour la réparation de dégâts

Par ailleurs, le programme préparatoire de la relance économique de cette partie du pays, élaboré en 2009 et dénommé « Plan Starec » paraît comme une goutte d’eau dans la mer au regard de l’énormité des dégâts, car il a été estimé pour son exécution à 1,2 milliard $ US dont 500 millions pour la relance économique. Si en une année, les rebelles du M-23 faisaient perdre au gouvernement plus de 500 millions de $ US provenant du secteur aurifère et de différentes taxes, il n’est pas exagéré de penser qu’en plus de dix années de guerre, les multiples dégâts causés par les différents acteurs précités s’évaluent à plus de 40 milliards $ US de réparation. Comme dans sa deuxième édition, Business et Finances pense que pour tirer cette affaire au clair, le Gouvernement congolais est appelé à commanditer une étude sérieuse, inattaquable sur le plan scientifique, pour chiffrer les dégâts réels de toutes les aventures guerrières, dont celle du M-23, ayant endeuillé la partie orientale de la RDC.