Rien n’a changé depuis la Déclaration historique des évêques catholiques de juillet 2009

La justice grandit la nation (Proverbes 14 :34). C’est le message clé que l’épiscopat avait adressé aux fidèles catholiques ainsi qu’aux hommes et femmes de bonne volonté sur la nécessité de combattre la corruption dans le pays, à l’issue de sa 45è assemblée plénière convoquée du 6 au 10 juillet 2009.

DANS CETTE LETTRE pastorale publiée au lendemain de la commémoration du 49è anniversaire de l’indépendance de la République démocratique du Congo, les évêques catholiques indiquaient « les choix fermes à opérer pour un Congo prospère et heureux ». À l’époque, les évêques catholiques posaient : « La restauration de la Nation (passe) par la lutte contre la corruption. » En introduction à leur message, on peut lire : « Le 30 juin 2010, notre pays la RDC célébrera les 50 années de l’existence de la Nation congolaise indépendante. Dès maintenant, nous sommes invités en tant que citoyens et chrétiens à une célébration de cet événement qui soit la plus digne et en même temps la plus fructueuse et la plus prometteuse de toutes pour l’avenir de notre pays. » 

Aussi actuel qu’important 

Dix ans après, ce message est aussi actuel qu’important. Jugeons-en plutôt. En 1960, avaient rappelé les évêques catholiques, leurs prédécesseurs l’avaient accueilli en ces termes : « L’Église salue avec grand espoir l’annonce de l’indépendance du Congo (…). Elle est convaincue qu’avec la loyale et généreuse collaboration de tous, notre pays peut devenir prospère et heureux, capable de tenir dans l’histoire de l’Afrique et du monde le rôle que la providence lui réserve ». 

Et d’ajouter : « C’est aussi dans cette direction que les pères de l’indépendance s’engageaient à faire avancer le pays vers ses destinées les meilleures pour le bien-être du peuple dans son ensemble. » 49 ans plus tard, quelles ont été les destinées de notre pays ? 

Certes, il y a eu des avancées indéniables, comme l’a reconnu le prélat catholique, « notamment la conscience d’appartenance à une même Nation, la cohésion sociale qui a permis de résister aux velléités  de balkanisation,  la mise en place des institutions démocratiques, l’émergence d’une élite autochtone de renommée incontestable ». Mais, force est de constater que la RDC a aussi beaucoup reculé. 

« Au fil des années, des antivaleurs ont déconstruit le tissu éthique de notre société.  Des guerres à répétition ont entraîné des milliers de morts. Les infrastructures sociales sont en cours d’effondrement inquiétant. L’administration publique, la territoriale, la magistrature, l’éducation nationale, l’armée, la police, etc. ne sont plus des structures qui donnent pleine satisfaction à la population. Le peuple est clochardisé et voué à la débrouillardise. Tout le monde se plaint de cette situation et la décrie », avaient écrit les évêques catholiques. 

Oui, dix ans après ce message, tout le monde continue à se plaindre. De la base au sommet, tout le monde se plaint des conditions de vie qui deviennent de jour en jour plus ardues pour la majorité de la population. « Dans ces plaintes et gémissements, le peuple en particulier pointe du doigt la corruption qui est devenue, comme nous l’affirmions dans un précédent message, ‘le cadre général de vie et d’action politique en RDCongo’. Aucune institution en RDCongo n’en est épargnée tant la pratique tend à devenir normale aux yeux de beaucoup de Congolais », avaient écrit les évêques. 

De l’école primaire à l’université, dans les cours et tribunaux comme dans d’autres instances de décision et d’exécution, soulignaient-ils, des réseaux maffieux continuent, imperturbables, d’opérer. « Une sous-culture marquée par la corruption est en train de s’installer dans la gestion de l’État. Comme un cancer, la corruption renforce le dysfonctionnement du système judiciaire. Tout le monde s’en plaint et la dénonce mais une réelle volonté de la combattre et de l’éradiquer fait encore défaut ».

Oui, l’absence de volonté politique réelle de combattre la corruption afin de l’éradiquer affaiblit l’autorité de l’État. « Malgré les engagements pris par le Gouvernement, nous ne voyons pas une détermination réelle des acteurs politiques de concevoir et de faire fonctionner un mécanisme et des modalités cohérents de prévention et de répression des actes de corruption. Comment comprendre cet état d’inertie quasi-totale ? », s’étaient interrogés les évêques. 

En effet, constataient-ils, « parmi les déformations du système démocratique, la corruption politique est une des plus graves, car elle trahit à la fois les principes de la morale et les normes de la justice sociale ; elle compromet le fonctionnement correct de l’État, en influant négativement sur le rapport entre les gouvernants et les gouvernés ; elle introduit une méfiance croissante à l’égard des institutions publiques en causant une désaffection progressive des citoyens vis-à-vis de la politique et de ses représentants, ce qui entraîne l’affaiblissement des institutions ».

Pour le prélat catholique, la responsabilité du gouvernement dans cette situation est engagée. Convaincus que la corruption est une des bases de la répartition inéquitable de la richesse nationale entre la classe opulente constituée d’autorités publiques et la majorité de la population qui vit misérablement. 

En plus, la corruption entretenue par l’impunité entraîne la dégradation des infrastructures de base, le découragement des opérateurs économiques, le mépris des textes et des normes, l’appauvrissement de l’État et son affaiblissement. 

L’affaiblissement de l’État

Pour les évêques, cet affaiblissement de l’autorité de l’État est ressenti davantage par la population dans nos quartiers et dans nos villages où des assassinats, des viols et des vols sont perpétrés dans l’impunité générale de même que des détournements des biens communs et des maigres salaires des fonctionnaires de l’État, des policiers, des militaires et des enseignants. 

Le Congolais fait l’expérience de l’abandon de l’État. Il est à la merci de tout. La prolifération des fondations et organisations non gouvernementales (ONG) créées par les Congolais eux-mêmes obéit à l’esprit de lucre. La plupart de leurs initiateurs ayant compris la faiblesse de l’État, s’ingénient et excellent dans le détournement des biens et des fonds destinés à la base. 

L’affaiblissement de l’autorité de l’État est dû également à des causes externes. 

« À bien observer, l’on dirait même qu’il est orchestré par des organisations et pouvoirs occultes qui veulent avoir la mainmise sur la RDC et ses richesses qu’elles tiennent à contrôler et exploiter à souhait. La plupart sont de mèche avec des Congolais qui placent leurs intérêts au-dessus du bien de l’ensemble de la population. Certains s’illustrent par leur cupidité et l’accaparement des richesses forestières et minières au détriment des populations locales. Il y a de sérieuses raisons pour douter de la sincérité de l’intention qu’ils affichent d’aider la RDCongo ». 

Et les évêques d’enfoncer le clou : « D’aucuns se demandent si l’on n’entretient pas des conflits et si l’on n’oppose pas des groupes ethniques les uns aux autres pour que perdure indéfiniment la présence en RDCongo de ces organisations et de ces pouvoirs occultes. Sur fond de la misère, des formes déviantes de religiosité sont en train de se développer étrangement dans notre pays au point de détourner l’attention des Congolais de leurs responsabilités dans la société. 

Elles font espérer que le changement viendra comme par un coup de baguette magique. Elles détournent la population du sens de ses responsabilités sociales pour s’assumer et  prendre en main son propre destin. »