Sokimo : polémique autour d’un pactole de 9 milliards de dollars

Une société junior canadienne intègre dans son capital les parts de la société d’État dans les mines d’or de l’Ituri. L’opération fait grand bruit. La société civile locale crie au bradage.

CES DERNIÈRES semaines, la société civile congolaise a dénoncé un protocole d’accord signé le 18 janvier 2020 par une société « junior », cotée aux bourses de Francfort et de Vancouver. En vertu de ce contrat, AJN intégrera dans son capital les parts de la Société Minière de Kilo-Moto (SOKIMO), propriété de l’État congolais, dans plusieurs mines d’or de la province de l’Ituri. Une ressource estimée à 6 millions d’onces, soit 9,6 milliards de dollars.

Le PDG d’AJN, le géologue allemand Klaus Peter Eckhof, « star » des milieux boursiers, revendique une expérience de 20 ans dans les mines du Congo. Il se targue d’avoir levé des fonds pour financer divers projets, dont Moto Goldmines, Alphamin et Amani Gold. 

Il a aussi développé, à la tête d’une « junior company » australienne, AVZ Minerals, le vaste gisement de lithium de Manono, dans la province du Tanganyika, qui pourrait faire de la RDC « l’Arabie saoudite du lithium », avec une ressource équivalant à 15 % des réserves mondiales de ce métal, recherché pour les batteries de véhicules électriques.

Mauvais précédents

L’hostilité à cet accord de la société civile et des syndicats de travailleurs de la SOKIMO s’explique par le fait que celle-ci a déjà conclu quantité de partenariats avec des sociétés étrangères sans que ne s’améliore sa situation financière catastrophique. 

Le 27 février dernier, les travailleurs ont défilé à Kinshasa pour réclamer le paiement de 80 mois d’arriérés de salaire. La veille, la « Coalition pour la Gouvernance des Entreprises Publiques du secteur extractif (COGEP), rassemblant des ONG travaillant sur les ressources naturelles, avait demandé au 1ER Ministre, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, d’annuler le protocole d’accord avec AJN. La COGEP estime la transaction « très défavorable » à la SOKIMO, qui aurait cédé ses parts dans ces gisements pour 17 millions de dollars; « un véritable bradage », dit-elle. Selon la COGEP, le protocole d’accord violerait le code minier révisé qui impose, avant tout octroi de concession minière, la publication d’un appel d’offres. S’exprimant au nom de la coalition « Le Congo n’est pas à vendre », l’avocat Jimmy Munguriek estime le partenariat déséquilibré car la SOKIMO, bien que détenant 60 % des parts dans AJN, n’aura que deux membres sur cinq au conseil d’administration, ce qui réduit son droit de contrôle. En outre, prévient l’avocat, la SOKIMO n’est pas à l’abri d’un élargissement du capital d’AJN qui verrait diluer ses parts.

La COGEP et les syndicats de la SOKIMO réclament aussi des sanctions contre la présidente de cette société, Annie Kithima Nzuzi, fille de l’apparatchik mobutiste Kithima Bin Ramazani. Son limogeage est réclamé par les députés et sénateurs de l’Ituri, qui l’accusent d’avoir vendu illégalement à la société Pianeta Mining, inconnue de la profession, des parts de la SOKIMO dans une société dénommée Nzani-Kodo.

Rapport des forces

Politiquement, toutefois, la position d’Eckhof est solide, compte tenu du rapport de forces entre le camp du président Félix Tshisekedi et celui de son prédécesseur, Joseph Kabila, dont les partisans détiennent une majorité écrasante au Parlement et au gouvernement. Les acteurs principaux de l’entrée de la SOKIMO dans le capital d’AJN sont en effet des gens de Kabila, à commencer par Annie Kithima, qui ne peut s’engager sans l’aval des ministres des Mines et du Portefeuille, Willy Kitobo et Wivine Mumba, également kabilistes.

Klaus Ekhof lui-même a cultivé des relations étroites avec le camp Kabila. L’attribution du permis de lithium à sa société AVZ Minerals en 2016 fut arrangée par Thomas Mahuku, un homme d’affaires proche du frère cadet du président, Zoé Kabila (actuellement gouverneur de la province du Tanganyika). L’actionnaire principal d’AVZ Minerals, Cong Mao Huai, a été surnommé le « Dan Gertler chinois », allusion au businessman israélien longtemps partenaire en affaires de l’ex-Président. Une société contrôlée par Zoe Kabila, la Générale industrielle et commerciale au Congo (GICC), aurait presté des services à une autre compagnie d’Eckhof, Moto Goldmines. Lorsque, plus tard, Randgold Resources racheta l’actif de Moto, GICC aurait encaissé un bénéfice de 4.4 millions de dollars, de quoi consolider « l’amitié ».

Interrogé par La Libre Afrique.be, Eckhof rétorque que Moto Goldmines était alors une société par actions et que tous les contrats qu’elle a passés ont été annoncés correctement. Pour lui, les accusations de la COGEP relèvent d’un malentendu. La SOKIMO ne vendra aucun de ses actifs. La transaction entre la compagnie congolaise et AJN permettra à la SOKIMO d’accéder aux marchés internationaux, de créer de la valeur monétaire pour ses actifs, de rembourser ses dettes et de payer ses employés. 

Le géologue allemand justifie la majorité de membres d’AJN au conseil d’administration de la société par le fait qu’ils ont meilleure réputation que ceux de la SOKIMO et que cela compte pour lever de l’argent. 

À terme, il n’exclut pas d’y faire entrer plus de représentants de la SOKIMO. Interpellé sur cette affaire par la société civile, le président Tshisekedi, reste muré dans le silence.