Sur le 737 MAX, le patron de Boeing passé au gril du législateur américain

Dennis Muilenburg a dû s’expliquer mardi 29 octobre, devant la Commission des transports du Sénat américain, sur les circonstances des deux accidents impliquant un Boeing 737 MAX. Le premier avait eu lieu au large de l’Indonésie, et l’autre en Éthiopie, faisant au total 346 victimes.

AVECdes dizaines de proches de disparus dans la salle, posters avec les visages des leurs en main, le décor était planté. On allait demander des comptes à Boeing lors cette audition devant le Sénat. Un an jour pour jour après le premier crash de l’histoire du Boeing 737 MAX 8 (survenu un an après sa mise en service), sept mois après le deuxième accident, les blessures sont encore vives et les zones d’ombre nombreuses. 

Le visage contrit et réclamant à nouveau le pardon aux familles, Dennis Muilenburg a reconnu qu’il avait « beaucoup de questions qui attendent encore des réponses ». Des questions graves. Que savait Boeing et quand sur les dysfonctionnements du MCAS, le système anti-décrochage mis en cause dans les deux crashs ? L’avionneur a-t-il menti sciemment au régulateur américain ? Que compte faire le groupe concrètement pour éviter de tels drames à l’avenir ?

Plusieurs enquêtes de presse ont ces dernières semaines laissé à croire que oui, les dirigeants de Boeing en savaient plus long qu’ils ne l’avouaient jusqu’ici. Pressé par des questions maintes fois répétées et reformulées par les sénateurs, Dennis Muilenburg a fini par céder. Il a reconnu qu’il était au courant des inquiétudes de ses pilotes maison sur les failles du système avant même le deuxième crash fatal.

Préparé pendant des semaines à cette confrontation, le désormais directeur général de Boeing a répété que des mesures avaient été prises. « Pour aider les communautés et les familles affectées, nous avons consacré un million de dollars et nommé des experts pour qu’ils en fassent bénéficier les familles au plus vite », a-t-il redit. Ce fonds de compensation des victimes, doté au total de 100 millions de dollars, est mis en place indépendamment de toutes procédures judiciaires.

Un changement de mentalité

« Nous nous sommes remis en question et nous avons changé après ces accidents, a affirmé Dennis Muilenburg. Des erreurs ont été commises, certaines choses n’allaient pas. Nous nous améliorons. […] Nous avons mis en place un comité dédié à la sécurité au sein de notre conseil d’administration, ainsi qu’une nouvelle organisation pour permettre à tous nos ingénieurs de rapporter directement à l’ingénieur en chef de Boeing » les incidents et améliorations à apporter aux appareils, a poursuivi l’ingénieur de formation.

Mais il y a de la coupe aux lèvres, semble lui rétorquer des sénateurs qui ont remis en question à plusieurs reprises la sincérité des déclarations et des engagements du groupe. C’est que Boeing doit faire sa révolution et sortir d’un modèle de développement l’ayant mené à la catastrophe. Et il faudra plus qu’un changement de quelques têtes au sommet du groupe. « Ce qu’il faut, c’est une autre mentalité, orientée vers la qualité de la production et la sécurité, et ensuite seulement penser au profit des actionnaires », défend Bjorn Fehrm, ancien pilote et expert du secteur chez l’agence américaine Leeham News.

C’est exactement cette critique qui a motivé le dépôt de plainte d’un des ingénieurs ayant travaillé sur le développement du 737 MAX et qui a pointé l’inclination des dirigeants du groupe à privilégier les problématiques de coûts et de délai plutôt que la sécurité. « Ce qu’on peut retenir de cette catastrophe, c’est qu’il faut donner du temps aux programmes d’avion, énonce Bjorn Fehrm. Laisser les ingénieurs travailler et leur donner du temps pour apporter les modifications nécessaires au lieu de leur mettre la pression comme l’a fait Boeing au nom de la compétition avec Airbus », affirme l’ancien pilote.

La FAA aussi responsable

Alors qu’une enquête criminelle se poursuit aux États-Unis sur les crashs et que les investigations en Indonésie ont été bouclées, Boeing mettra du temps à se relever. Mais Dennis Muilenburg n’entend pas laisser son groupe assumer seule toute la responsabilité de la catastrophe. Celui qui s’est vu retirer sa casquette de président du conseil d’administration ce mois-ci a pointé la FAA, l’agence fédérale américaine de l’aviation.

Des experts internationaux et les enquêteurs indonésiens ont jugé qu’elle avait failli dans son rôle de certification. C’est en partie dû à une spécificité américaine, appelée la « délégation de certification » (DOA en anglais). « La FAA a toujours agi pour assurer le développement industriel des constructeurs américains, explique Pierre Condom consultant en aéronautique. Cette collusion est allée un peu plus loin qu’elle n’aurait dû aller. Il y a une partie des avions nouveaux qui sont certifiés par des employés du constructeur qui devient donc juge et partie, et ça n’est pas acceptable », dénonce l’expert.

Un système créé par le Parlement 

Mais si ce système existe, c’est que le législateur l’a voté et l’a même étoffé en faveur des constructeurs l’an dernier. Désormais, les Sénateurs affirment vouloir revenir sur ce système, fruit du lobbying intense de Boeing notamment. Ils veulent redonner à la FAA les moyens de sa mission. Le même message devrait être porté ce mercredi 30 octobre lors de l’audition de Dennis Muilenberg devant la Chambre des représentants.

Pour l’heure, soucieuse de préserver sa crédibilité, la FAA prend son temps pour faire certifier les changements apportés par Boeing sur le MCAS et sur le nouveau programme de formation des pilotes. Des centaines de Boeing 737 MAX sont toujours cloués au sol. En conséquence, au troisième trimestre, les bénéfices de Boeing ont été réduits de moitié.

Cette crise inédite aurait déjà fait perdre 10 milliards de dollars au groupe. Mais elle sera encore longue et coûteuse. Il faudra retisser la confiance avec les clients pour ne pas les laisser filer chez le concurrent Airbus. Et il faudra aussi les dédommager, au même titre qu’il faudra dédommager les familles au terme des procédures judiciaires.