Survivre au chaos de la présidence Trump

A la Maison-Blanche comme au Congrès, jamais la politique américaine n’avait offert un spectacle aussi affligeant. Mais le danger le plus grave est celui d’un conflit avec l’Iran ou la Corée du Nord. Tous les efforts doivent être mobilisés pour l’empêcher. 

 

Les Etats-Unis sont prisonniers d’un chaos politique, incapables de mener un programme économique intérieur ou une politique étrangère cohérente. La Maison-Blanche est en plein tumulte, le Congrès est tétanisé pendant que le monde entier, sidéré, observe ces événements avec effroi. Pour survivre et venir à bout de cette débâcle, il faut en connaître les causes.

Il y a deux lieux de pouvoir à Washington : la Maison-Blanche et le Capitole. Les deux sont en déroute, mais pour des motifs différents. Le dysfonctionnement de la Maison-Blanche est dû en grande partie à la personnalité de celui qui y réside, Donald Trump. Selon beaucoup d’experts, son comportement – caractérisé entre autres par une vision grandiloquente de son propre personnage, une mythomanie galopante, une absence de remords ou de culpabilité, etc. – présente tous les symptômes d’un trouble de personnalité narcissique. Les conséquences pourraient être désastreuses. Les personnes atteintes de pathologies narcissiques ont tendance à se lancer dans de violents conflits et des guerres (pensez à Lyndon Johnson pour le Vietnam).

Washington espère que les « adultes dans la salle » corrigeront les tendances dangereuses de Trump. Or, ce sont de hauts gradés de l’armée plutôt que des civils qui jouent le rôle des « adultes » dans l’administration Trump, dont trois généraux (le nouveau chef de cabinet de la Maison-Blanche John Kelly, le conseiller à la Sécurité nationale H.R. McMaster et le secrétaire d’Etat à la Défense James Mattis). Des dirigeants civils expérimentés sont d’ordinaire la clef de voûte de la paix, surtout quand l’on sait que la vaste machine guerrière des Etats-Unis a toujours le pied sur l’accélérateur – il n’y a qu’à se rappeler les conseillers militaires de John F. Kennedy, qui prônaient la guerre pendant la crise des missiles de Cuba.

Le chaos politique au Congrès est moins alarmant, mais quand même grave. Il ne s’agit pas ici de trouble de la personnalité, mais d’argent. Le pouvoir législatif s’est fait corrompre en profondeur par les lobbies et les donateurs des campagnes. Deux industriels, les frères David et Charles Koch, dont la fortune cumulée s’élève à 100 milliards de dollars, sont pratiquement les détenteurs des votes et de l’orientation politique du président de la Chambre, Paul Ryan, et du chef de la majorité au Sénat, Mitch McConnell. Le résultat pervertit la vie politique. Ryan et McConnell font preuve d’une grande diligence lorsqu’il s’agit d’adopter les projets de loi préconisés par les frères Koch sans vraiment se préoccuper des intérêts des Américains ordinaires. Les tentatives d’abrogation de l’Obamacare n’avaient rien à voir avec les opinions ou les intérêts des électeurs ; elles étaient tout simplement dictées par ce que voulaient les frères Koch, et d’autres contributeurs des républicains.

Résilier son compte Twitter

Entre le narcissisme de Trump et l’argent des frères Koch, l’appareil gouvernemental des Etats-Unis est totalement désorganisé. Dans tout ce cirque, on peut entendre de nouveaux airs de fanfare militaire en préparation d’une guerre, dirigés contre l’Iran et la Corée du Nord. S’agit-il d’effets de manches ou de véritables semonces ? Personne ne le sait. Les politiques étrangère et militaire de Trump sont annoncées dans des tweets intempestifs au petit matin, sans bénéficier de la prescience de l’exécutif ou des hauts fonctionnaires de la Maison-Blanche. La situation est périlleuse et se dégrade de jour en jour.

Je propose trois correctifs immédiats et un quatrième de plus longue haleine.

La première chose à faire est de résilier le compte Twitter de Trump. Les Etats-Unis – et le monde – doivent élaborer leurs politiques publiques par l’entremise de consultations et de délibérations, et non par le filtre de l’état de santé mentale d’un seul individu.

Deuxièmement, il faut que les membres du Congrès parviennent à un accord bipartisan visant à faire obstacle aux fortes tendances belliqueuses de Trump. La section 8 de l’article I de la Constitution des Etats-Unis confère au Congrès le pouvoir de déclarer la guerre, et il faut absolument que le Congrès réaffirme ce pouvoir maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.

Troisièmement, les grandes puissances mondiales doivent au plus vite indiquer très clairement que toute attaque unilatérale américaine sur l’Iran ou la Corée du Nord constituerait une atteinte grave et illégale à la paix, et que les questions liées à la guerre et à la paix doivent être entérinées par le Conseil de sécurité de l’ONU.

La quatrième mesure, à plus long terme, serait une réforme de la Constitution des Etats-Unis pour que son régime présidentiel instable se transforme en régime parlementaire, ou au moins en régime mixte, présidentiel et parlementaire, comme en France. Les pouvoirs du président – et par le fait même le risque d’une présidence imprévisible – sont actuellement beaucoup trop vastes.

Il y a aussi beaucoup à faire pour rétablir la légitimité démocratique aux Etats-Unis, notamment en imposant des limites plus strictes sur le financement des campagnes et les activités de lobbying. Mais, avant tout, nous devons survivre aux multiples périls de la présidence de Trump en faisant tout pour préserver la paix.