Tous les coups sont permis avec la contraception

La sociologue Cécile Thomé interroge la façon dont la légalisation des moyens contraceptifs a modifié nos pratiques sexuelles.

Comment la généralisation de la contraception a-t-elle modifié les pratiques sexuelles hétéros ? Si, auparavant, l’interdiction de la contraception façonnait la sexualité, de quelle façon sa légalisation l’a-t-elle modifiée ? Ces interrogations sont au cœur de la thèse que la sociologue Cécile Thomé a soutenue en novembre (1). Cet important travail de recherche propose une histoire des usages de la contraception et de ses effets sur la sexualité en France depuis les années 60.

Bien avant de devenir la championne de la pilule, la France a connu «une première révolution contraceptive» avec la méthode du retrait, qui a entraîné une baisse significative des naissances au XVIIIe siècle. Le retrait implique que les hommes prennent en charge la contraception. «Jusqu’aux années 70, l’idée qu’un vrai homme ne fait pas un enfant à sa femme tous les ans est très présente», souligne Cécile Thomé.

La pilule exonère les hommes de cette tâche, et entraîne une nouvelle responsabilité pour les femmes, d’autant moins valorisée qu’elle est naturalisée, alors que le retrait était perçu comme une compétence.

Si la pilule a bien permis une libération de la sexualité et entraîné une augmentation de la satisfaction sexuelle des femmes, cette prise en compte du plaisir féminin est antérieure à la loi Neuwirth.

«Dès la fin du XIXe siècle, l’entente au sein du couple devient importante, et elle doit aussi être sexuelle», explique Cécile Thomé, qui démontre que la pilule a autant été légalisée dans l’intérêt des hommes. «Il ne s’agit pas forcément de libérer les femmes, mais également de les mettre à disposition tout au long du cycle.»

La chercheuse a ensuite étudié les usages actuels. En France, la pilule a longtemps été «très largement dominante». Mais son utilisation diminue depuis les scandales médiatiques des pilules de troisième et de quatrième générations. Et les femmes se reportent alors sur d’autres méthodes, différentes selon leur classe sociale. «Celles qui ont moins d’informations se tournent vers le préservatif, ou des méthodes d’observation du cycle», tandis que pour les femmes de classes sociales plus favorisées l’usage du stérilet au cuivre se banalise. Or ces différentes méthodes ont des effets plus ou moins importants pour la sexualité.

Les travaux de Cécile Thomé soulèvent un paradoxe : la persistance de la «centralité de la pénétration» dans les pratiques hétérosexuelles, malgré la «diversification des répertoires sexuels» à l’œuvre depuis une soixantaine d’années. La banalisation des mal nommés «préliminaires» (sexe oral, caresses…) s’accompagne désormais de la possibilité de pénétration tout au long du cycle. «Globalement, on pense qu’un rapport sexuel sans pénétration ce n’est pas faire l’amour», explique Cécile Thomé, qui a mené plus de 70 entretiens avec des personnes âgées de 20 ans à 84 ans. «La pénétration est vue comme un acte qui témoigne d’une vraie intimité, et hommes comme femmes y restent très attachés, alors qu’elle procure moins de plaisir à ces dernières que les caresses et les pratiques bucco-génitales.»

Dernier point intéressant relevé par la chercheuse Cécile Thomé : l’effort réalisé par les femmes pour créer les «conditions de la spontanéité sexuelle». Cécile Thomé décrypte le travail, souvent invisible, pour «faire monter le désir». S’occuper de la contraception, s’épiler, porter de jolis sous-vêtements… «Quand on dit que les femmes ont moins de désir, on oublie que ce sont elles qui préparent le terrain.»

(1) «La sexualité aux temps de la contraception. Genre, désir et plaisir dans les rapports hétérosexuels (France, des années 60 aux années 2010)».