TUMBA BOB : la priorité agricole

Le ministre de l’Agriculture, a proposé et obtenu du conseil des ministres deux choses : l’organisation des états-généraux et du recensement général de l’agriculture. Il s’agit de faire, pour l’une, un « diagnostic global » du secteur, et, pour l’autre, de combler le « déficit des données fiables » sur le même secteur. Pourquoi faire, quand tout le monde sait que tout a été déjà dit, à moins d’être frappé d’amnésie ?

DANS son plaidoyer devant le conseil des ministres, Jean-Joseph Kasonga Mukuta, le ministre de l’Agriculture, a mis en avant « l’immense challenge assigné au secteur agricole de nourrir la population congolaise et les facteurs à l’origine des faibles performances de ce secteur ». Les membres du gouvernement ont donc été séduits par son propos et ont décidé la validation de sa proposition d’organiser un forum national sur les états-généraux de l’agriculture. « Il s’agit de faire un diagnostic global du secteur en tant que clé de la croissance durable, de la réduction de la pauvreté, de la sécurité alimentaire, de la lutte contre le chômage, particulièrement en milieu des jeunes », a souligné David Jolino Diwanpovesa Makelele ma-muzingi, le ministre d’État, ministre de la Communication et des Médias, et porte-parole du gouvernement. 

Faisant d’une pierre deux coups, le ministre de l’Agriculture a aussi obtenu le quitus du gouvernement pour l’organisation du recensement général de l’agriculture. Objectif : combler le déficit en données fiables sur le secteur agricole et remettre en place les infrastructures stratégiques de base pour une production régulière et continue des statistiques agricoles. 

Et le porte-parole du gouvernement de préciser : « Le gouvernement de la République a besoin d’une photographie précise des principales caractéristiques du secteur rural, et ce dans le but de servir de base pour l’amélioration de la production et de la diffusion des stratégies de l’alimentation et de l’agriculture en vue de répondre aux besoins en données des politiques de développement rural durable. » 

Dans ma quête de comprendre ce que veut vraiment entreprendre le gouvernement – parce que, à y regarder de près, il n’y a rien de nouveau sous le soleil, sinon réactualiser les données -, mais aussi dans ma quête de l’information, je me suis souvenu d’un excellent livre écrit par Tumba Bob Matamba : « La priorité agricole, RDCongo/Afrique ». Préfacé par le professeur écrivain Lye M. Yoka, pour qui j’ai de l’estime vraie sur les plans intellectuel et humain, cet ouvrage publié en 2014 me paraît encore et toujours d’actualité.

Le professeur Lye M. Yoka souligne : « Les spécialistes des questions de développement s’accordent à dire qu’il n’y aura de développement agricole en Afrique, sans révolution culturelle, autrement dit sans évolution des mentalités ; que le rapport socio-philosophique à la terre-mère comme source et ressource de vie et de survie est en proportion avec la justice distributive, avec la justesse et les réajustements économiques, et même écologiques. »

Parmi ces spécialistes, d’après lui, il faudra compter sur Tumba Bob Matamba. Lui aussi pense désormais qu’il n’y aura plus de discours sur le développement, ni de planification économique, sans l’agriculture comme pierre angulaire. L’ouvrage de Tumba Bob qui se présente comme un « plaidoyer » et comme une « profession de foi », me paraît être une contribution à la fois efficiente et efficace au débat qui est projeté par le gouvernement sur l’avenir de l’agriculture dans notre pays. Comme quoi, le message contenu dans ce livre semble prémonitoire. Pourvu qu’il trouve un écho favorable à ces assises en perspective.

Révolutionnaire

Mais qui est ce Tumba Bob Mutamba ? « On ne le présente plus », me disait un jour un confrère. Soixante-douze ans (en juin prochain) d’une vie aussi palpitante qu’un scénario de film hollywoodien, un humour à vous couper le souffle et une écriture qui détone… la parfaite recette en somme d’un statut de révolutionnaire intellectuel (ayant fait sien ce verbatim d’André Gide : « Quand je cesserai de m’indigner, j’aurai commencé ma vieillesse ») que cet enfant de père mineur à Kipushi (Katanga) maîtrise sur le bout des doigts. 

Après des études d’économie à l’université de Kinshasa qu’il termine avec brio en 1971, il renonce à l’enseignement académique et embrasse la carrière professionnelle : directeur général de la première usine sidérurgique du Congo dans la bourgade de Maluku (Est de Kinshasa), promoteur économique indépendant, directeur général puis président de la filiale d’une société multinationale de téléphonie cellulaire (Tigo). Comme on peut le constater, sa longue carrière n’a jamais croisé ni la Fonction publique, ni la politique.

Recruté par la Banque mondiale et les partenaires au développement pour lancer le Fonds fiduciaire environnemental Okapi en RDC, il en est aujourd’hui le président du comité exécutif. Un fonds créé officiellement en novembre 2013, et dédié à la conservation des aires protégées de la RDC. 

Depuis 2014, il n’a plus sorti de livre majeur, mais ses trois premiers essais – « Le développement du Congo » (en 2006), « La renaissance économique de l’Afrique » (en 2013) et « La priorité agricole, RDCongo/Afrique » (en 2014) –  témoignent de la profondeur de « sa quête lancinante du développement ». Une « soif dévorante de changement qualitatif du vivre ensemble ».

Et « cette quête se fait d’autant plus obsessionnelle que les pièces du jeu de puzzle économique à construire, bien qu’étant éparses sur le tablier national, sont cependant annotées ostensiblement. Il ne reste plus au joueur de la partie que l’effort d’une lecture intelligente et systématique de l’univers ambiant, doublé de la volonté de positiver ». Comprendre d’abord, et ensuite entreprendre rationnellement, invite-t-il. Pour lui, intelligence, volonté et action (IVA) constituent la trilogie des ingrédients qui fondent l’alchimie du développement. Et ce n’est pas du tout sorcier. 

Tumba Bob Matamba est un gentleman qui fait attention à ses interlocuteurs. C’est dans un café de Gombe (Le Surcouf) très fréquenté, le soir, par des élites de ce pays que nous avons souvent eu des échanges sur l’avenir de notre pays, sur l’avenir de l’Afrique en général. Sur l’ensemble : il connaît le monde, et tout particulièrement le Sud avec ses enjeux et ses angoisses de développement. Plus que jamais, il est militant du développement.

De l’enfer au paradis

D’après lui, le terme développement recouvre une réalité complexe et globalisante, assimilable à un stade très avancé du couronnement des aspirations communautaires dans tous les secteurs de la vie : économique, social, culturel, spirituel et moral. 

En somme, une esquisse du paradis sur terre. « Au niveau du ressenti individuel, souligne-t-il, le développement est perçu comme un environnement de plein épanouissement où tout un chacun jouit de la possibilité d’une totale et libre expression de son potentiel, sous l’aile protectrice des institutions nationales ». 

Tumba Bob défend qu’en matière économique, la transition de l’enfer vers le paradis passe par le changement du modèle économique existant : modification de la structure des circuits de distribution, en privilégiant la consommation intérieure et le marché régional. La filière de l’agroalimentaire n’échappe pas à cet impératif de restructuration. Elle en est même le soubassement.

L’agriculture, dit-il, n’est pas seulement une priorité pour l’essor économique de l’Afrique, elle est aussi une priorité sociale. Seule une intégration des marchés africains pourrait favoriser et accélérer les effets d’entraînement de l’agriculture continentale sur les industries locales de l’amont (les machines-outils, les engrais) et celles de l’aval (la transformation en biens de consommation finale). Une division du travail est même envisageable entre, d’une part, l’élevage intensif dans la zone sahélienne et, d’autre part, la culture des céréales, fruits et légumes près des côtes et dans la zone tropicale.

Cependant, insiste-t-il, l’intégration économique continentale ne peut que procéder d’une volonté politique commune affichée. Jusqu’ici, l’Afrique subit passivement les chocs de l’économie mondiale, même si ces derniers peuvent par moments lui être favorables, comme la montée des prix des matières premières. Par contre la levée des obstacles au développement de l’agrobusiness exigera une concertation préalable au niveau du continent, prélude à une stratégie commune.