TUMBA BOB, promoteur économique indépendant : « Il n’y aura plus de discours sur le développement, ni de planification économique, sans l’agriculture comme pierre angulaire »

L’activité économique se subdivise en trois secteurs : le primaire (l’agriculture et les mines), le secondaire (la transformation des produits issus du secteur primaire), et le tertiaire (l’ensemble des facilitations encadrant la production et la distribution des biens). La production reste cependant la clé, car c’est le bien à créer qui justifie et conditionne les services subséquents… Entretien.

Business & Finances : À bien lire votre livre, le bien originel est celui du secteur primaire…

Tumba Bob : Absolument ! C’est le produit de la terre, qu’il soit agricole ou minier. C’est lui qui ouvre la voie à la transformation, le secteur secondaire, et aux facilitations de tous genres, si vous voulez, le secteur tertiaire.

BEF : Dans ce cas, entre l’agriculture et les mines, qu’est-ce qui est le plus important ?

T. B. : Au sein du secteur primaire, l’agriculture impose sa préséance sur les mines, pour ces trois raisons essentielles : un, c’est elle qui, en le nourrissant, subvient quotidiennement au besoin physiologique élémentaire de l’homme. Deux, elle fournit ensuite les intrants du secteur manufacturier de l’agro-industrie. Et trois, au plan national, elle sécurise l’indépendance du ventre, car un pays peut manquer de mines mais pas d’agriculture. L’agriculture est le socle du maillage industriel de l’économie nationale. Seule, elle peut jouer le rôle de catalyseur au bénéfice de toute la pyramide de l’économie nationale.

BEF : Au vu de ses atouts géographiques et hydrographiques exceptionnels, écrivez-vous dans votre livre, est-ce qu’on peut dire que l’agriculture est un atout absolu pour la RDC ?

T. B. : J’irai plus loin en disant que l’agriculture constitue même pour la RDC un avantage comparatif certain, dans la perspective des échanges internationaux. Notre planète héberge à ce jour 7 milliards+ d’individus. En 2050, nous serons 9 milliards, dont 1.5 rien qu’en Afrique, soit autant de bouches à nourrir. En Occident, le problème du plafonnement de la production agricole se pose déjà sous deux angles : les surfaces cultivables sont inextensibles, et les rendements à l’hectare ont atteint la limite autorisée dans l’état actuel de la technologie. Le continent africain, par contre, est sous-exploité en termes agricoles, bien qu’il abrite plus de 60 % des terres arables en friche dans le monde, dont une bonne partie, 80 millions d’hectares, se trouve en RDC.

« L’Afrique peut devenir demain le grenier de l’humanité… encore faudra-t-il que les Africains, détenteurs de vastes étendues de terre vierge en friche, prennent conscience de cet avantage comparatif et s’organisent en conséquence. La solution à la sécurité alimentaire dans le monde passe bel et bien par notre continent. »  

BEF : À votre avis, c’est l’énigme du Sphinx à résoudre…

νT. B. : Le décor est planté. Organisée, l’Afrique peut devenir demain le grenier de l’humanité… encore faudra-t-il que les Africains, détenteurs de vastes étendues de terre vierge en friche, prennent conscience de cet avantage comparatif et s’organisent en conséquence. La solution à la sécurité alimentaire dans le monde passe bel et bien par notre continent. 

BEF : Mais c’est comme si les Africains sont encore poussifs, malgré le programme CAADP du NEPAD qui encourage les États membres de l’UA à consacrer au moins 10 % de leur budget annuel à l’agriculture…

T. B. : Les accords de Maputo signés en 2003 visent justement l’objectif de relever le défi mondial qui interpelle le continent. Mais sans attendre l’éveil des fermiers africains, handicapés par la lenteur des politiques gouvernementales de soutien à l’économie rurale, le grand capital, heureusement, vole au secours de l’agriculture sur le continent, en achetant à tour de bras des millions d’hectares de terre arable. Ce phénomène est connu sous le vocable de « land grabbing » (accaparement des terres).

BEF : Faut-il encourager ce phénomène ?

T. B. : Il faut encourager cet afflux d’investissements directs étrangers (IDE) dans l’agriculture continentale, pour deux raisons majeures : un, l’accès aux facilités bancaires, pour les promoteurs africains de la filière agroalimentaire, restera encore pour longtemps un rêve lointain, pendant que l’urgence toque déjà à nos portes. Et deux, un encadrement judicieux des IDE débouchera sur un transfert de technologies profitable, à long terme, à la main-d’œuvre africaine. Pourquoi ce qui est bon et utile pour les autres ne le serait-il pas pour nous aussi ? 

Fort heureusement, l’intérêt manifesté ces dernières années par les investisseurs internationaux pour l’agrobusiness africain se fait de plus en plus croissant. Ils sont surtout dans les cultures de rente ou vivrières d’exportation, qu’ils stimulent grâce à une forte mécanisation, mais moins dans les unités de transformation à vocation domestique.

BEF : Cependant, les statistiques de l’économie agro-industrielle restent encore insignifiantes dans toute l’Afrique…

T. B. : Vous avez raison… Le secteur ne représente qu’environ 15 % du PIB (produit intérieur brut ou ensemble des biens et services produits et commercialisés dans le pays) continental. Et au sein de la filière, en Afrique subsaharienne, l’agriculture s’arroge à elle seule 63 % de la valeur globale, contre 10 % dans les pays industrialisés. C’est dire combien est faible la transformation manufacturière des produits agricoles, le lien entre les secteurs primaire et secondaire étant quasi-inexistant dans une Afrique championne de l’exportation des matières premières à l’état brut. Quand ils ne sont pas exportés, les produits agricoles africains passent du champ à l’assiette presqu’à l’état naturel. 

BEF : Donc, il y a un sacré effort à faire pour la transformation…

T. B. : La révolution dans l’agro-industrie passe impérativement par une modification structurelle de la filière agricole traditionnelle. « Du champ à l’assiette » doit se muer en « du champ à l’usine, et de l’usine au marché ». L’introduction de la notion d’usinage est une cassure qui enterre la notion d’autosubsistance et fait disparaître l’assiette comme destination privilégiée du produit de l’agriculture. Ce produit emprunte désormais le chemin de l’usine, et, au sortir de la fabrique, il sera happé par le marché, concept plus large car il renvoie à un système de distribution en éventail entre les ménages, l’exportation, et les débouchés industriels. Le produit agricole engrange désormais une plus-value.

BEF : Un rapide tour d’horizon montre que seule une poignée de pays africains a fait l’effort de transformer localement environ le tiers de leurs exportations agricoles, lit-on dans votre ouvrage…

T. B. : On peut les citer : l’Afrique du Sud, le Côte d’Ivoire, l’Égypte, le Ghana, le Kenya, le Maroc, la Tanzanie et la Zambie. Et plus de dix ans après les accords de Maputo, par lesquels les chefs d’État et de gouvernement africains s’étaient engagés à allouer au moins 10 % de leur budget national à l’agriculture, seuls 13 États sur 54 ont tenu parole. Si l’agriculture est un vecteur sûr du développement économique durable, comme en ont fait l’expérience le Brésil, la Thaïlande et la Malaisie, il n’en est pas moins vrai que ce miracle est indissociable de la volonté politique.

BEF : Vu sous cet angle, il n’y a pas de volonté politique en RDC…

T. B. : En RDC, la promulgation, le 24 décembre 2011, de la loi-cadre n°11/022 sur l’agriculture, a jeté un pavé dans la mare et obligé la Fédération des entreprises du Congo (FEC, chambre de commerce et syndicat patronal) à protester officiellement pour dénoncer une incongruité législative. Trois chantiers parallèles s’interposent en tant que programmes transversaux indispensables au décollage de l’agrobusiness : le développement des infrastructures de transport, de communication et de l’information ; la maîtrise énergétique (eau et électricité) ; et l’amélioration du climat des affaires. Ces trois chantiers sont aussi les trois piliers pour la réalisation d’une intégration économique régionale ou marché commun africain. Ce n’est pas un effet du hasard. 

BEF : C’est dire qu’en définitive, la dialectique agriculture-culture, et notamment agriculture-culture-développement, est un pari plus que jamais actuel… 

T. B. : Il faut une action gouvernementale d’explication, de vulgarisation et d’éducation des masses populaires pour les préparer aux mutations vers la modernité. Le développement chemine parallèlement avec un changement des mentalités, et ne pourra jamais s’accommoder de certains reflexes ataviques enracinés dans un conservatisme culturel. Le rapport à la terre doit évoluer, si l’on veut en faire un capital-outil de développement.