Twitter, Facebook et consorts : l’heure de la normalisation

Les géants d’Internet ont acquis une telle importance systémique dans nos sociétés qu’ils sont désormais sous le feu des Etats. Ils doivent adapter leur comportement social et fiscal sous peine de subir les foudres de la réglementation.

Les résultats trimestriels impressionnants des grandes compagnies de haute technologie montrent qu’elles sont loin de saturer les marchés, d’épuiser leur cycle d’innovation ou d’atteindre un plateau de croissance. Leur bilan illustre également leur importance systémique croissante, qui n’est pas sans inconvénients.

Prospères et innovants, ces géants de la technologie font maintenant face à la perspective d’efforts redoublés de la société et des Etats pour réglementer leur activité et les empêcher d’ optimiser leur fiscalité. Plus il leur faudra de temps pour reconnaître leur importance systémique, plus grande sera la probabilité d’un retour de bâton brutal qui affectera leur capacité d’innovation au service des consommateurs.

Retour de bâton

Ces entreprises ont démontré leur capacité à atteindre une croissance exceptionnelle, elles peuvent facilement attirer des investissements massifs. Elles peuvent ainsi non seulement renforcer leur position sur les marchés correspondant à leur coeur d’activité, mais également innover dans de nouveaux domaines en faisant main basse sur des concurrents potentiels ou réels de taille plus modeste. Certaines sont même capables de remettre régulièrement en question leur propre position acquise – ce qui leur permet de rester à la pointe dans le domaine technique.

La percée inouïe des géants de la technologie est encore renforcée par les nombreux services qu’ils proposent ostensiblement en toute gratuité aux consommateurs, ce qui contribue à leur adoption rapide. Le fait que ces services fonctionnent souvent avec la même facilité à l’étranger que dans leur pays d’origine (au point que le concept d’étranger est devenu quelque peu élastique) va dans le même sens.

Avec le temps, le pouvoir que ces géants ont acquis sur les marchés a donné naissance à des oligopoles dans certains secteurs et plus rarement à des monopoles. Leur influence sociale, économique et même politique s’est parfois étendue. Facebook et Twitter, par exemple, ont joué un rôle clef pour galvaniser les manifestants lors du printemps arabe de 2011.

« Fake news »

Cela comporte de graves risques : aussi bénéfiques soient les innovations des entreprises de haute technologie, elles peuvent servir d’outils importants à des acteurs étatiques ou non étatiques pour parvenir à des objectifs nuisibles. L’année dernière, lors de la campagne présidentielle américaine, certains médias sociaux ont involontairement contribué à diffuser de fausses informations. Plus dangereux, des mouvements extrémistes comme l’organisation Etat islamique utilisent les médias sociaux pour faire de la propagande et recruter.

Il n’est donc pas étonnant que les géants de la haute technologie soient souvent plus rapides à agir que les gouvernements et les régulateurs. Ce qui a été au début une attitude de laisser-faire (essentiellement par ignorance et inattention) se transforme en quelque chose de beaucoup plus lourd. L’attitude à l’égard des géants d’Internet change désormais profondément.

Données et vie privée

Ce changement est de plus en plus manifeste depuis quelques années, ces firmes étant de plus en plus critiquées pour leur pratique en matière de concurrence, de fiscalité, d’utilisation des données et derespect de la vie privée. Les projecteurs se braquent aussi sur leur contribution au déplacement de la main-d’oeuvre et sur leur impact en matière de hausse des salaires. Et l’on admet de plus en plus fréquemment que les ruptures technologiques exigent de réformer l’éducation et d’améliorer la formation et la mise à niveau des travailleurs.

Pourtant, le secteur de la haute technologie lui-même semble sous-estimer son importance systémique. Cela pourrait expliquer que les firmes en cause tardent parfois à admettre la nécessité de revoir leur fonctionnement, leurs ressources et leur état d’esprit, en accord avec leur transformation de petite entreprise génératrice d’une rupture technologique en acteur puissant, chargé de responsabilités. Autrement dit, au-delà de tout l’intérêt qu’elles portent à l’innovation, il leur revient de développer un modèle d’entreprise global et intégré, avec le soutien de personnes de talent expérimentées dans un large éventail de domaines.

Plus long sera ce processus, plus grand sera le risque que ces firmes perdent le contrôle du discours tenu sur elles. Cela pourrait se traduire par davantage de régulation et de supervision externe et par une réaction négative de la part des consommateurs.