Une énième hausse à la pompe est inévitable

Le prix du litre d’essence et/ou de gasoil pourrait connaître une augmentation d’au moins 80 francs. C’est ce qu’envisagerait le gouvernement, prétextant des contraintes majeures qui obligent à s’aligner sur une tendance désormais internationale. 

 

Aucune date n’est avancée concernant le réajustement des prix du carburant à la pompe, même si cela ne fait plus l’ombre d’aucun doute. Les sources proches du dossier parlent d’« un léger ajustement », selon certains, de 80 francs. Rappel des faits. En septembre 2017, le Comité de suivi des prix des produits pétroliers (CSPP), un organe technique consultatif du gouvernement, placé sous l’autorité du ministre de l’Économie et composé d’experts des institutions du gouvernement impliquées, ainsi que de la profession pétrolière, remet un rapport au ministre d’État et ministre de l’Économie nationale, Joseph Kapika Dikanku. Le rapport porte sur la nécessité d’actualiser les prix du carburant.

Depuis un certain temps, les pétroliers distributeurs font pression pour réajuster les prix à la pompe à la suite de la dévaluation continue de la monnaie nationale. Après avoir épluché ce rapport du CSPP, Joseph Kapika n’approuve pas les propositions, sous prétexte que l’État a beaucoup fait en consentant des allégements fiscaux aux pétroliers afin de leur permettre d’équilibrer leurs états financiers. De leur côté, les pétroliers soutiennent que l’inflation ne leur permet pas d’équilibrer les comptes. D’où, il faut revoir à la hausse les prix du carburant à la pompe. En septembre, le CSPP aurait proposé le litre d’essence à 1 815 francs et celui de gasoil à 1 805 francs. Mais le gouvernement a fixé les prix à 1 740 francs pour l’essence et 1 730 francs pour le gasoil. Avec le réajustement à l’horizon, on revient pratiquement dans les mêmes proportions.

Après une courte accalmie, le franc reprend sa descente aux enfers. Il s’est déjà déprécié d’au moins 26 % depuis début janvier. Au-delà, la tendance est désormais à la hausse du prix du baril à l’international. Or, la République démocratique du Congo n’est pas un pays producteurs de pétrole, fait remarquer le gouvernement. Le pays produit une quantité insignifiante (environ 30 000 barils par jour), qu’il ne raffine pas. Dans cette situation, il subit l’évolution des cours mondiaux du pétrole. Des pays de la région, comme le Nigeria et le Gabon, producteurs de pétrole, ont déjà revu à la hausse leurs prix à la pompe. Tous ces facteurs n’offrent aucune alternative à la RDC.  Toutefois, l’exécutif mise sur l’envolée des cours des matières premières pour contrebalancer les effets d’une éventuelle hausse des prix des produits pétroliers. Depuis le dernier trimestre 2016, le secteur minier bénéficie d’une reprise des cours, avec une tonne de cuivre négociée à 5 770 dollars en janvier 2017 contre 4 320 en janvier 2016. Cela montre que le cours a gagné 33 % en l’espace d’une année. L’on comprend l’intérêt porté actuellement sur la révision du code minier en pleine période de boom.

Les faits économiques sont têtus 

Ils n’obéissent qu’aux règles du marché, c’est-à-dire à la loi de l’offre et de la demande. Certes, la force est à l’État, mais la raison n’est pas toujours dans son camp. La raison est à la vérité ou la réalité. C’est bien cela la logique économique.

En tant que produits stratégiques, les produits pétroliers (tout comme l’eau, l’électricité et le transport en commun) ne se vendent pas comme tous les autres produits. Le gouvernement a mis une soupape de sécurité en vue de trouver avec la profession pétrolière le juste milieu dans la tarification. Le désaccord actuel porte essentiellement sur le taux de change, avait laissé entendre le vice-président du regroupement des sociétés pétrolières en RDC, Emery Bope, sur les antennes de la Radio Okapi. Certes, il a reconnu que le gouvernement fait beaucoup d’efforts pour stabiliser le taux de change qui a baissé de 1 700 à 1 560 francs mais qui est actuellement à 1 640 francs le dollar.

Les sociétés pétrolières demandent de rapprocher le taux de change de la réalité, si l’on ne peut pas l’atteindre. En d’autres termes, les sociétés pétrolières demandent un taux de change qui leur permette d’accéder aux devises afin de refaire leurs stocks de carburant. La dépréciation du franc a laissé des séquelles dans la trésorerie de ces sociétés qui ne savent plus se réapprovisionner auprès des fournisseurs, car elles vendent à perte. Selon Emery Bope, si on parvient à « corriger » le taux de change de manière à permettre aux sociétés pétrolières de rétablir l’équilibre financier dans la trésorerie et d’avoir directement accès aux devises auprès de la Banque centrale, alors, la situation va rapidement se décanter à ses yeux. C’est un problème technique, a-t-il souligné, et c’est sur les éléments techniques justement que portent les discussions en cours entre le gouvernement et la profession pétrolière.

Des réserves en stocks pour plus de 90 jours

Actuellement, le temps de couverture est de plus de 90 jours quand on prend en compte les deux terminaux ouest, SEP Congo et SOCIR dont les installations sont utilisées pour le stockage. C’est dire qu’il n’y a péril en la demeure. Pour rappel, les stocks en consignation à SEP Congo et à SOCIR sont la propriété des entreprises privées, notamment étrangères basées à Genève et Londres ou nationales, qui font le trading ou la fourniture des produits pétroliers.

L’attentisme des transporteurs

En attendant l’issue des négociations, la surchauffe continue à la pompe dans les stations-service. Latentes au début de la crise actuelle du franc, des tensions autour du prix du carburant sont devenues de plus en plus manifestes. Les pétroliers ont exigé d’abord l’application du deuxième palier de la hausse des prix à la pompe. Ils l’obtenu car il est entré en vigueur le 7 juin, deux mois seulement après un premier réajustement. ça maugrée déjà chez les transporteurs qui jusque-là n’ont pas bougé leurs tarifs. Et ça ne saurait tarder, ont fait savoir des représentants de l’Association des chauffeurs du Congo (ACCO). Ce n’est pas tant la hausse à la pompe que redoutent tant les Kinois, mais l’emballement général des prix par effet de domino. En effet, le gouvernement et la profession pétrolière n’émettent pas sur la même longueur d’onde à ce sujet. « Les paramètres ont changé parce que les produits pétroliers importés nécessitent la disponibilité des devises, qui doivent être achetés sur le marché. », avait expliqué Modeste Bahati Lukwebo, alors ministre de l’Économie nationale.

Or, les devises se font rares entraînant ainsi la dépréciation continue du franc et le pays traverse une zone des turbulences politiques. Tout cela a une incidence négative sur les paramètres macroéconomiques, particulièrement sur les prix. Il va sans dire qu’un réajustement des prix du carburant est inévitable. Depuis le début de 2017, la profession pétrolière réclame l’application du principe de « vérité de prix ». Pour obtenir un réajustement des prix, les sociétés pétrolières procèdent souvent par « sevrage » dans la distribution des produits en réduisant les heures de vente dans les stations-service.

Comme le dit un expert, le gouvernement parie que le prix du litre ne franchira pas la barre de 2 000 francs d’un seul trait. La RDC est l’un des pays au monde où le prix du carburant est le plus élevé. Il y a peu, le prix du litre avoisinait les 2 dollars. Le prix du carburant est fonction du prix moyen frontière (CIF), de la fiscalité, de la parafiscalité mais aussi du taux de change. Cependant, la problématique de la vérité de prix n’a jamais fait l’objet des discussions en profondeur entre le gouvernement et la profession pétrolière.

À Kinshasa, la dépréciation du franc par rapport au dollar n’est jamais perçue comme une bonne chose. Les prix (essence et gasoil) du carburant ont tendance à s’aligner automatiquement sur le taux de change, et les conséquences sur le marché sont très redoutées. En effet, ils entraînent avec eux les prix des denrées alimentaires et les tarifs dans le transport en commun. Depuis toujours, le gouvernement cherche à éviter l’ire populaire en bloquant les prix par la subvention. Ce fut le cas pour le carburant à une certaine période.