Une puissance se retire, l’autre émerge

Nétanyahou déclare venu le temps de l’annexion des territoires, profitant de la fin de l’ère américaine. Au même moment, Merkel tend la main à Macron pour une avancée de l’Europe politique.


eux phrases viennent tout dire. L’une d’Angela Merkel, l’autre de Benyamin Nétanyahou, deux phrases pronon- cées la semaine dernière devant les Parlements allemand et israé- lien expriment à elles seules deux lentes mais profondes évolutions qui pourraient bien être en train de remodeler le monde.
Lorsque «Bibi», comme les Israéliens appellent leur Premier ministre, déclare dimanche à la Knesset que «le temps est venu» d’appliquer la loi israélienne sur des pans entiers de la Cisjordanie, autrement dit d’annexer les colo- nies, qu’entend-on en effet ? Eh bien, au-delà de l’habituelle profes- sion de foi des droites israéliennes pour lesquelles il n’est pas question de faire coexister deux Etats, israé- lien et palestinien, mais d’étendre les frontières d’Israël à ce que furent celles des temps bibliques, c’est la fin de l’ère américaine que signale cette déclaration.

La paix de la droite israélienne

Il avait été un temps où, vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale puis de la Guerre Froide, les Etats-Unis assumaient, bien ou mal, le rôle de gendarme du monde et donc

d’«honnest broker» au Proche- Orient. Alliés d’Israël et défenseurs des droits palestiniens, ils étaient l’intermédiaire de bonne foi entre ces deux peuples en guerre, celui qui tâchait obstinément de faire avancer une paix juste et durable et face auquel aucun Premier ministre israélien n’aurait officiellement pu dire qu’il préférait un décret d’annexion à un traité de paix. Puis leur embourbement afghan et le chaos créé par leur aven- ture irakienne ont convaincu les Etats-Unis qu’ils devaient s’occuper d’eux-mêmes et non plus du monde. Dès Barack Obama, la première puissance mondiale s’est retirée dans ses frontières pour ne plus se consacrer qu’à son bras-de-fer avec la Chine et, sous Donald Trump, le conflit israélo-palestinien est devenu simple enjeu de politique intérieure. Nationaliste et de droite, un président américain soutient sans nuances un Premier ministre israélien de droite et nationaliste que soutiennent aussi non pas les Juifs américains mais ces faiseurs de roi républicains que sont les Evangéliques aux yeux desquels la résurrection d’Israël annonce l’arrivée du messie.

Pour Donald Trump, la paix que les Etats-Unis doivent promouvoir est celle de la droite israélienne. C’est ce qu’il a donc fait. C’est pour

cela que Benjamin Nétanyahou, lorsqu’il annonce le temps de l’an- nexion, peut ne pas craindre de désaveu américain et prendre la responsabilité historique de faire courir à Israël le mortel danger de devenir un Etat d’apartheid dans lequel les Palestiniens ne seraient ni Israéliens ni Palestiniens mais apatrides, sans droits ni patrie.

L’unité européenne progresse par la crise

C’est le temps de l’irresponsabilité des Etats-Unis, la fin de l’ère amé- ricaine, que ce discours annonçait dimanche mais prenons mainte- nant les déclarations d’Angela Merkel. Mercredi, la chancelière a prononcé, elle devant le Bundestag, deux mots qu’aucun de ses prédé- cesseurs n’avait jamais prononcés, ceux «d’union politique». «Nous ne devons pas oublier, a dit «Mutti», «maman», comme l’appellent ses compatriotes, ce que Jacques Delors disait avant l’introduction de l’euro : il faut une union politique, une union monétaire ne suffira pas.» Il faut, a-t-elle ajouté «faire davan- tage en matière de politique éco- nomique afin de faire progresser l’intégration» de la zone euro.

Un mois et demi avant de prendre la présidence tournante de l’Union, la chancelière vient ainsi de se prononcer pour une avancée de l’Europe politique, de cette «Europe puissance» dont la France plaide l’émergence depuis le général De Gaulle. Angela Merkel vient de tendre la main à Emmanuel Macron. Cela s’est traduit, lundi, par l’expression commune d’une convergence franco-allemande sur l’Union et devrait bientôt conduire à un compromis des 27 sur le mode de financement et l’ampleur du plan de relance européen que prépare la Commission. La pru- dence allemande rejoint le lyrisme français et, nécessité faisant loi, Covid-19 oblige, le couple franco- allemand se reconstitue pour en- traîner l’Union vers ce qui pourrait progressivement devenir, après l’union monétaire et le marché commun, la troisième étape de son histoire : l’unité politique. La

route sera semée d’embûches mais, après tout, lorsqu’Helmut Kohl et François Mitterrand avaient lancé la monnaie unique sans même se soucier d’harmoniser les politiques économiques des Etats membres, ils n’ignoraient pas qu’ils mettaient la charrue avant les bœufs. Non, pas du tout.

Ils voulaient au contraire créer l’ir- réversible, la monnaie européenne qui contraindrait les Européens à faire converger leurs protections sociales, leurs investissements et leurs fiscalités, et la crise actuelle leur donne raison. Une fois de plus, l’unité européenne progresse par la crise car ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort et, tandis qu’une puissance s’éclipse, une autre émerge, petite lumière au bout du tunnel, vacillante et fragile mais résistante à toutes les tempêtes.