« Fake news » : pour un nouvel équilibre entre Gafa et médias

Les géants d’Internet veulent l’aide des rédactions de grands médias pour vérifier les informations. Pourquoi pas, si les Gafa sont prêts à financer ce travail.

Lesechos.fr

Depuis quelque temps, on s’inquiète du déluge de fausses informations déversé sur le Web et des risques qu’il fait courir sur la manipulation des foules et la démocratie. Non sans raison. Le phénomène est amplifié par le mécanisme des réseaux sociaux. Ceux-ci laissent peu de place à l’explication ; ils privilégient les messages courts (140 caractères au maximum pour Twitter), les photos chocs ; ils jouent sur l’émotion, misent sur l’instantanéité au détriment de la vérification. Une analyse de « BuzzFeed » (à lire ici en anglais) a montré que les 20 principaux posts de « fake news », au cours de la campagne électorale aux Etats-Unis de 2016, ont déclenché plus de réactions, commentaires et partages sur la Toile que les 20 principaux posts d’information sérieuse publiés par 19 grands médias.

Et beaucoup de politologues pointent déjà la responsabilité de ces réseaux sociaux dans le Brexit et la victoire de Trump. « Assez dingue », a répliqué Mark Zuckerberg à l’idée émise par les journalistes que les fausses rumeurs colportées sur Facebook aient pu avoir une influence sur les élections américaines.

Prise de conscience

Pourtant, quelques semaines plus tard, un début de prise de conscience semble voir le jour au sein des géants américains de l’Internet. Certains voudraient notamment s’appuyer sur les rédactions des grands médias pour vérifier l’exactitude d’informations suspectes signalées par les internautes sur leurs sites.  Un label mettant en garde le lecteur serait accolé à l’intox, ainsi qu’un lien vers un article correctif. Leurs algorithmes de mise en avant seraient corrigés en conséquence. Facebook et Google ont fait des annonces en ce sens, aussi bien en France qu’en Allemagne, à l’approche des élections dans ces deux pays.

Réticence des grands médias

Pourtant les dispositifs annoncés peinent à se mettre en place. La semaine dernière, Mathias Döpfner, patron du groupe de médias allemand Axel Springer, a même dit tout haut ce que beaucoup d’éditeurs pensent tout bas : « Je considère que c’est une erreur fondamentale d’aider les réseaux sociaux à régler ce problème de crédibilité. »  Car, enfin, n’y aurait-il pas un paradoxe à voir les médias historiques aider leurs deux principaux concurrents, qui captent à eux seuls plus des deux tiers de la publicité sur l’Internet fixe et plus de 90 % sur le mobile ? Mais, pour autant, peut-on continuer à voir se déverser ainsi des flots d’informations inexactes sans réagir sur ces carrefours de communication devenus incontournables ?

La puissance atteinte par les géants du Net leur confère une responsabilité sociétale considérable. Ils ne peuvent pas la fuir sous prétexte qu’ils seraient des « entreprises comme les autres ». Leur taille et leur influence le leur interdisent. Ils doivent être conduits à installer eux-mêmes les garde-fous pour prévenir l’usage dévoyé de leurs services.  Leur choix de s’appuyer sur des organisations de « fact checking » extérieures – car ils ne veulent pas devenir eux-mêmes, selon leurs propres termes, « des arbitres de la vérité » – est légitime. Mais il pose néanmoins rapidement la question du coût (et surtout du financement) de l’information de qualité. Les médias historiques s’appuient sur des rédactions de plusieurs centaines de journalistes qui enquêtent, analysent et vérifient leurs informations. Depuis plusieurs années, leur modèle économique est mis à mal par l’irruption de ces nouveaux acteurs qui charrient une information concurrente, gratuite, « commoditisée », parfois inexacte, avec laquelle ils captent la quasi-totalité des ressources publicitaires.